Quelles sont vos impressions générales sur ce tout nouveau CCAG relatif à la maîtrise d’œuvre ? Répond-il aux préoccupations des maîtres d’œuvre ?
Benjamin Valoire : Nous sommes satisfaits de la création d’un CCAG MOE d’une part et de certaines des évolutions qu’il apporte d’autre part. En particulier, les clauses qui adaptent le marché aux exigences de la MOE, comme les seuils de tolérance ou le passage du prix provisoire au prix définitif, et celles qui rapprochent les conditions de celles du CCAG travaux, le dispositif inspiré des prix nouveaux par exemple, vont dans le bon sens. Il y a aussi des ouvertures vers des mécanismes originaux et intéressants comme la possibilité de prévoir une prime pour performance financière.
Globalement, le CCAG MOE est donc bien plus adapté à ces marchés particuliers que ne pouvait l’être le CCAG PI (prestations intellectuelles, NDLR). Cela a pour conséquence de créer un cadre cohérent pour l’exécution des marchés de MOE. C’est une clarification qui sera probablement très utile aux professionnels et notamment aux jeunes chefs de projet qui trouveront dans le CCAG MOE une sorte de mode d’emploi sur la conduite à tenir face à une situation donnée, réflexes qui devaient s’acquérir principalement de manière empirique jusque-là. Il s’avère donc important de réfléchir aux actions de formation qui devront accompagner la publication de ce nouveau CCAG.
Avez-vous observé des changements entre la version soumise à consultation publique en janvier dernier et la version finale ?
Benjamin Valloire : Oui, la prise en compte des observations des contributeurs, dont les nôtres, semble avoir été importante y compris dans cette dernière étape. En particulier, nous avions alerté sur la rédaction de la clause en cas d’allongement de la durée du chantier qui était à la fois trop pénalisante pour le MOE et porteuse de contentieux futurs. La rédaction finale est un compromis entre les intérêts des parties et leur permettra de résoudre les difficultés causées par les allongements de durée de chantier qui ne sont pas du fait du MOE.
Nous avions également souligné l’intérêt qu’il pouvait y avoir à insérer des clauses qui répondent aux exigences du Code de la commande publique pour les cas où les documents particuliers ne les contenaient pas. L’insertion des seuils de tolérance sur le respect des coûts (en phase « études » et en phase « travaux ») répond favorablement à cette proposition.
D’autres voix ont également été entendues et il nous semble en effet justifié de limiter le plafond de pénalité aux seules pénalités de retard. Il faut souligner ici la qualité des travaux de concertation menés par l’administration depuis l’automne 2019. Cela a permis d’améliorer sensiblement les textes.
L’un des objectifs de cette réforme des CCAG est de rééquilibrer les relations entre les maîtres d’ouvrage et les opérateurs titulaires des marchés. Pensez-vous que l’objectif est atteint ?
Benjamin Valloire : L’instauration de certains principes comme le contradictoire avant d’appliquer une pénalité ou en cas de décision de réfaction ou de rejet des prestations rééquilibre de manière évidente les droits et obligations des parties, sans porter préjudice à l’acheteur public. Il en va de même pour le plafonnement des pénalités, uniquement de retard - ce qui est raisonnable. Fixé à 10%, aucune entreprise n’y verra une opportunité pour laisser filer les délais. Concernant le CCAG MOE, nous avons obtenu la possibilité d’interrompre les prestations en cas de retard abusif dans les paiements ou encore la mensualisation des acomptes susceptible d’améliorer la trésorerie des entreprises d’ingénierie. L’instauration de deux mécanismes d’admission tacite, l’un après un délai de deux mois et l’autre à compter du déclenchement de l’élément de mission suivant, contribue à une saine gestion contractuelle.
Ne craignez-vous pas que les acheteurs publics dérogent de façon systématique à certaines mesures dans les documents particuliers des marchés ?
Christophe Mérienne : C’est une réaction légitime de s’interroger sur le jeu des dérogations. Lorsqu’un CCAG est atteint d’obsolescence, il peut avoir besoin d’être amélioré par des dérogations, ce qui ne concerne donc pas les CCAG de 2021. Les acheteurs et maîtres d’ouvrage ont participé à leur élaboration et ont été entendus. Le résultat est au moins un compromis si ce n’est un consensus. Il n’y a donc pas de risque démesuré pour les acheteurs dans ces conditions de marché : le plafonnement des pénalités est à un seuil raisonnable et valable uniquement pour les pénalités de retard, le MOE ne peut refuser un ordre de service modificatif que s’il n’est pas valorisé ou que trop sont en attente de régularisation, il ne peut interrompre ses prestations que si le retard de paiement excède trois mois, etc.
Il s’agit donc de permettre au titulaire de se protéger de comportements manifestement abusifs. Et aussi de diminuer les causes de différends entre les parties qui nuisent à la conduite des projets car chronophages pour les deux parties ; l’énergie du maître d’œuvre, et celle du maître d’ouvrage, ont besoin d’être mobilisées prioritairement au service du projet. Les prérogatives de puissance publique sont aussi préservées notamment à travers les pouvoirs de modification et de résiliation unilatéraux de l’acheteur public.
Nous saluons, par ailleurs, l’initiative de créer dans le CCAG MOE un article spécifique sur les clauses de réexamen. En effet, cette nouveauté directement issue des directives européennes est encore trop peu utilisée. Or elle constitue un outil puissant de qualité dans l’achat public en permettant au maître d’ouvrage d’anticiper les événements et d’en cadrer les conséquences dans le marché initial. C’est la maîtrise d’œuvre qui constitue le terrain fertile de ces clauses de réexamen avec la détermination du prix définitif et la prise en compte des conséquences financières de l’allongement de délai du chantier.
Ceci étant rappelé, nous pensons que la tentation de déroger systématiquement aux CCAG de 2021 sera écartée et que les dérogations seront motivées et justifiées par les particularités des marchés, au cas par cas.
Les relations entre les maîtres d’œuvre et les entreprises de travaux sont-elles bien régies dans ce nouveau CCAG ?
Christophe Mérienne : Le CCAG travaux est une des pièces applicables au contrat de maîtrise d’œuvre dans les dispositions qui concernent le rôle du maître d’œuvre. Cette nouveauté du CCAG MOE est somme toute cohérente avec le rôle éminent du maître d'oeuvre tel que décrit au CCAG travaux et qui est en réalité la consécration d’une pratique déjà très répandue.
Le CCAG travaux prévoit, par exemple, une autorisation préalable du maître d'ouvrage pour les ordres de service à incidence sur les délais et sur les coûts, ce qui est la pratique courante déjà prévue dans les contrats de MOE. Nous attirons l’attention sur l’importance de cadrer le processus de dialogue entre MOE et MOA en fixant un délai maximal d’instruction par l’acheteur de la proposition de prix nouveaux de son MOE au-delà duquel celle-ci serait réputée acceptée aux yeux de l’entreprise. Cela permettrait de satisfaire à la nécessaire réactivité opérationnelle.
Comme les autres CCAG, le CCAG travaux s’étoffe et intègre notamment des mécanismes de dialogue contradictoire nouveaux. En conséquence, le MOE sera fortement mobilisé aux côtés du MOA pour l’assister dans le traitement de ces observations. Il importe donc d’en tenir compte dans l’estimation de la mission DET lorsque les marchés de travaux viseront le CCAG de 2021.
Avez-vous des regrets ?
Christophe Mérienne : Nous sommes conscients de la nouveauté du CCAG MOE, il faudra un peu de temps pour voir comment il fonctionne sur le terrain. Nous espérons que les CCAP compléteront utilement le CCAG avec notamment le renvoi aux prix du marché pour l’application de la clause de réexamen relative à l’allongement de délais.
Il reste à proposer des outils contractuels pour les marchés globaux et notamment les marchés de performance parce qu’ils ne font l’objet ni d’un CCAG propre ni de stipulations spécifiques dans le CCAG travaux. Nous avons compris que des premières recommandations pourraient être publiées à l’occasion d’un guide à paraître sur les nouveaux CCAG et avons des retours d’expérience intéressants à partager en la matière.