Interview

CCAG MOE: "La question du dérapage de la durée des chantiers a été abordée, c'est une avancée absolument majeure", Thierry Nabères, Cnoa

Le Conseil national de l'Ordre des architectes salue le travail réalisé sur le tout nouveau CCAG dédié aux marchés publics de maîtrise d'œuvre. Thierry Nabères, référent en matière de commande publique, entrevoit néanmoins quelques difficultés à venir. 

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Thierry Nabères, architecte
Thierry Nabères, référent commande publique au Cnoa, décrypte le tout premier CCAG relatif à la maîtrise d'oeuvre

Êtes-vous satisfait de ce tout premier CCAG relatif à la maîtrise d’œuvre ? Rétablit-il l’équilibre entre les parties comme le souhaitait Bercy ?

Nous sommes très contents du CCAG MOE que l’on attendait depuis plus de dix ans. Nous avons, en effet, toujours considéré que le CCAG PI [prestations intellectuelles, NDLR] n’était pas bien adapté à nos pratiques. Plusieurs points clés ont été améliorés. Par exemple, précédemment, quand le maître d’œuvre n’était pas payé pour ses factures, il n’avait aucun moyen de réagir face à cette situation. L’intérêt général primait, en quelque sorte, sur le contrat, et le maître d’œuvre devait continuer de réaliser ses prestations ad vitam aeternam. Maintenant, il y a un dispositif qui autorise l’interruption des prestations pour retard de paiement excessif (article 25.1). 

On note également une progression sur le sujet des avances, même si, à notre sens, nous restons moins bien lotis que les entreprises. La temporalité est, en effet, différente. Si le taux est passé de 5% à 20%, il faut diviser ce taux sur la durée du contrat de maîtrise d’œuvre (en moyenne quatre ans, y compris la garantie de parfait achèvement), qui est par principe beaucoup plus longue que la durée du chantier.

De plus, la question du dérapage de la durée des chantiers et de son impact sur la maîtrise d’œuvre a été abordée, ce qui constitue une avancée absolument majeure.

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Entre la consultation publique sur le projet de CCAG et le résultat final, avez-vous pu faire entendre votre voix une dernière fois ?

Il faut en premier lieu saluer le process de travail collaboratif mis en place par Bercy, qui a été ouvert et productif.  Toutefois nous regrettons de ne pas avoir pu faire bouger un peu plus les choses sur le sujet des avances – nous avions suggéré un seuil à 30%.

En revanche, nous avons réussi à convaincre la Direction des affaires juridiques de Bercy sur deux points. Tout d’abord, concernant la problématique du dérapage de la durée des chantiers, l’article 15.3.5 prévoit désormais un rapprochement des parties lorsque la durée du marché de travaux est 10% plus longue que celle prévue initialement. A l’origine, dans le CCAG mis en consultation, il était inscrit 10% du marché de maîtrise d’œuvre, cela a donc été rectifié.

Par ailleurs, les principes issus du livre 4 du Code de la commande publique, ex-loi Mop, apparaissent mieux dans le CCAG (passage du prix provisoire au définitif, dans le cadre d'une clause de réexamen non plafonnée, taux de tolérance, etc.).

Le plafonnement des pénalités de retard à 10% a apporté son lot de commentaires. Quel est votre avis sur la question ? 

Dans le cadre du CCAG travaux, nous avions défendu, par souci d'efficacité, l’idée d’un plafonnement des pénalités en proposant toutefois plutôt 15 ou 20%. Par effet de rebond, nous avons bénéficié de la même clause, c’est une bonne chose. En revanche, nous pensons que le dispositif prévu à l’article 19.2.4 pour l’application de ces pénalités n’est pas compatible avec la dynamique d’un chantier. Il implique en effet un système d’aller-retour entre le maître d’ouvrage et le titulaire qui doit présenter des observations, ce qui pourra prendre des semaines, voire des mois.

En outre, cet article 19.2 du CCAG travaux ne se réfère qu'au maître d'ouvrage dans le processus d'application ; le maître d’œuvre a disparu de la rédaction alors qu’il y figurait initialement. Il est donc clair que le MOE a quasiment perdu son pouvoir de coercition directe vis-à-vis de l'entreprise qui ne remplirait pas ses obligations ; il faudra qu'il sollicite le maître d'ouvrage (qui n'aime généralement pas prendre ce genre de responsabilités et n’a pas de temps pour cela) pour faire appliquer les pénalités, et de plus dans un processus beaucoup trop long. Il ne faudra définitivement pas nous reprocher de ne pas "tenir nos chantiers" si on ne nous en donne pas les moyens !

L’achat public durable prend de l’ampleur avec cette refonte. Qu’en pensez-vous ?

Si le plus important levier d'action du maître d’œuvre demeure dans la conception et le suivi de réalisation des projets dont il a la charge, il n'en demeure pas moins que son activité propre doit contribuer à une vision environnementale vertueuse : tri et récupération des déchets et matériels usagés (consommables et informatique par exemple), modalités de déplacements, mais également apparition de préoccupations au niveau du "poids"énergétique des data et des systèmes de sauvegarde qui tendent à favoriser la multiplication des datacenters et leur imposante facture énergétique. Tout reste à faire sur ces sujets, mais il est intéressant que le CCAG en pose les bases.

Concernant le volet social, il serait intéressant que la clause soit ouverte, dans le cadre du CCAP, au-delà du secteur géographique du chantier qui ne correspond pas forcément à la géolocalisation de la maîtrise d’œuvre. En effet, il y a par exemple chez les architectes des personnes en difficulté, en nombre non négligeable, qui pourraient bénéficier de ces mécanismes. Ceux-ci sont connus et identifiés par l'Ordre, au travers du process de collecte de cotisations. C'est une piste de réflexion qui mériterait d'être approfondie, pour mettre en relation une offre (les architectes en charge de contrats avec clause d'insertion) et une demande (des architectes en difficulté, volontaires pour contribuer à ces projets).

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