Mark Farmer : Oui. J’expliquais en 2016 dans mon rapport que cette industrie rencontrait des problèmes importants et qu’elle devait absolument changer ou faire face à des conséquences désastreuses, comme cela s’est vu le 15 janvier avec la faillite de Carillion. Il y a deux choses qui doivent absolument changer.
D’abord, l’organisation structurelle « basique » des entreprises de BTP. Ce que la débâcle de Carillion a dévoilé au grand jour, c’est un modèle d’entreprise avec un chiffre d’affaires et des liquidités élevées mais une piètre rentabilité. Le groupe dépendait d’un large réseau de sous-traitants, qui générait près de 80% de ses revenus. Ce modèle traditionnel à haut risque et avec des marges faibles est cassé. La chaîne transactionnelle est inefficace : on a de trop nombreux niveaux, des coûts multiples de gestion, de ressources humaines… Il va falloir que les grandes entreprises du secteur utilisent moins de sous-traitants, réembauchent directement du personnel et fonctionnent beaucoup plus sur le long terme. Le deuxième grand changement requis, c’est la modernisation. L’industrie britannique du BTP fonctionne aujourd’hui de la même façon qu’il y a 100 ans. Elle requiert une forte intensité de main-d’œuvre, qui n’est par ailleurs pas assez qualifiée, elle s’expose à trop de risques de retards, de surcoûts ou de mauvaise gestion de ses projets. Il va falloir se mettre aux dernières méthodes modernes de construction, comme le BIM, la gestion numérique des chantiers...
La crise du secteur a-t-elle atteint un paroxysme?
M.F. : Il y a une accumulation de problèmes en ce moment dans le BTP. Jamais les entreprises n’ont eu autant de mal à trouver de la main d’œuvre qualifiée : la force de travail est vieillissante, les groupes ne parviennent pas à attirer suffisamment de compétences et de jeunes. Il y a également une opportunité technologique qui ne demande qu’à être saisie, un utilisateur final mécontent -surtout dans le résidentiel-, avec des standards de construction qui ne sont pas suffisamment élevés. Le drame de Grenfell (71 personnes décédées dans l’incendie de cette tour de 24 étages le 14 juin 2017 à Londres, NDLR) avait par exemple souligné le besoin de nouvelles réglementations incendie.
Tout cela rappelle étrangement la crise financière d’il y a 10 ans …
M.F. : Il y a effectivement quelques parallèles à faire avec les causes de la faillite de Lehman Brothers. Les grandes entreprises de la construction, comme les grandes banques, ont délaissé leur cœur d’activité, la construction, et se sont orientées vers les services, la promotion immobilière, le financement de projet, les PFIs (PPP à l’anglaise, NDLR), etc. Cela crée plus de complexité, un équilibre fragile et là, le château de cartes s’écroule.
Le modèle PFI, justement est montré du doigt, notamment par l’opposition travailliste…
M.F. : Oui et pourtant c’est le Labour lui-même qui l’a introduit ! L’idée était de soulager les comptes du gouvernement en ôtant les dépenses d’infrastructures élevées comme la construction d’écoles, d’hôpitaux etc. pour que le gouvernement rembourse ses partenaires privés petit à petit sur le long-terme. Le modèle reste valide. Le problème, ce sont les prix élevés désormais demandés par les constructeurs, qui peuvent être parfois un mauvais deal pour le contribuable. Mais pour les sociétés aussi : dans le cas de Carillion, par exemple, certains projets en PFI étaient mal évalués et leur taux de rendement trop faible.
Peut-on s’attendre à un effet systémique et d’autres faillites dans les semaines et mois qui viennent ?
M.F. : Oui, Carillion ne devrait hélas pas être le dernier grand nom de la construction à « tomber », parce que le modèle que j’évoquais avec des problèmes sous-jacents de rentabilité se retrouve chez de nombreux concurrents. Je ne serais pas surpris, si ce modèle était examiné de plus près, que des clients ou des banques créancières commencent à exiger plus de détails et de garanties.
Quid des filiales locales des constructeurs français ?
M.F. : Quand il y a une crise, il y a une opportunité. Le marché français de la construction opère de façon différente, et c’est d’ailleurs pour cela qu’il a pu être difficile pour ses acteurs de percer le marché britannique. Ce que je vois, avec des entreprises comme Bouygues UK, ce sont des modèles beaucoup plus intégrés et efficaces, focalisés sur les marges, la technologie, l’innovation.
Les Français pourraient capitaliser là-dessus et influencer les britanniques avec leurs meilleures pratiques. L’approche « progressive » de Fabienne Viala, la présidente de Bouygues UK, par exemple, m’impressionne assez, avec cette idée de créer des plateformes de management collaboratif pour les projets de construction, qui permettent de construire de façon beaucoup plus efficace.