Effectuer un chantier à l'étranger, sortir de ses bases est une attitude atypique pour les petites et moyennes entreprises françaises du BTP. Selon les liasses fiscales 2004, seulement 7 674 PME du secteur ont effectué au moins une mission hors de France, soit moins de 2 % de ces entreprises. Pire : 70 % du chiffre d'affaires international est réalisé par les grands groupes. Cela se justifie aisément : activité de proximité, la construction se prête mal aux missions à l'étranger. De plus, le marché domestique étant florissant, pourquoi s'éloigner de ses zones classiques de contrat ? Mais ces chiffres traduisent aussi une certaine frilosité du BTP hexagonal. « En Pologne, prendre le camion avec quelques ouvriers et le matériel pour partir effectuer un chantier à plusieurs centaines de kilomètres n'est pas un problème. En France, c'est tout de suite plus compliqué », avance Urszula Majorkiewicz, secrétaire générale de la CCI polonaise en France.
Pourtant, il existe des PME françaises qui s'envolent plusieurs fois dans l'année vers des destinations lointaines. Ouest Acro (travaux d'accès difficile) envoie régulièrement ses salariés aux quatre coins du monde, comme récemment sur le pont de Rion-Antérion en Grèce ou sur une cimenterie en Tanzanie. « L'étranger ne se conçoit que sur du service à haute qualité de main-d'œuvre et de technicité », explique Luc Boisnard, son dirigeant. Les cordistes français sont ainsi performants sur la sécurisation des sites. C'est notre vraie valeur ajoutée. « Posséder un savoir-faire introuvable parmi les entreprises du cru constitue le sésame pour l'étranger. Il permet ainsi à SOE Stuc & Staff, une Scop parisienne, de réaliser des chantiers de ''rêve'', comme le grand auditorium de Portzamparc au Luxembourg, des villas à Tel-Aviv et Long Island ou un loft à Manhattan. Sans ce « petit plus » - que l'on peut créer de toutes pièces, comme l'entreprise de TP Matière qui préfabrique des ouvrages d'art lourds brevetés et taillés pour l'export - inutile de chercher à partir au-delà des frontières du pays.
Attention au paiement. Mais une spécialité recherchée ne fait pas tout. Travailler à l'étranger exige d'avoir les reins solides. Et d'abord financièrement. « L'export n'est pas fait pour les pauvres, car il faut se porter caution. J'ai payé pour le savoir, notamment au Mexique où nous n'avons jamais été réglés », met en garde Philippe Matière, directeur de la société du même nom. Il ne faut y aller que si le paiement est effectué par un grand groupe français ou s'il existe une ligne de financement de l'Union européenne. Autre risque : se faire subtiliser son savoir-faire, c'est-à-dire la richesse de l'entreprise. « Au Moyen-Orient, des Français ont expliqué la technique du stuc et du staff aux ouvriers philippins. Résultat : le marché des émirats est perdu pour nous », explique Michel Auroux, président de SOE Stuc et Staff. S'ajoutent les questions de droit du travail (choix pour les salariés entre le détachement, l'expatriation et la mise à disposition), la logistique (importance de l'affréteur), la sécurité physique des personnes, les assurances rapatriement.
Comme le résume Philippe Matière, « si les choses se compliquent trop, il vaut mieux renoncer, même si le marché est gigantesque et les marges alléchantes ». Jean Félix, délégué général de Syntec Ingénierie, est lui aussi très prudent : « Il existe un marché à l'international dans notre profession, mais l'export est un métier à part entière qui impose une démarche à long terme. L'histoire de l'ingénierie française est pleine d'histoires de boîtes parties pour un simple coup et qui ont tout perdu dans l'affaire. »