En 2022, sur les 8 600 demandes de reconnaissance des communes du régime Cat Nat [catastrophe naturelle] au titre de la sécheresse, 74 % d'entre elles ont reçu un avis favorable. Du jamais vu », s'alarme José Bardaji, directeur statistiques et recherche économique chez France Assureurs. Au total, 6 370 communes ont été reconnues Cat Nat pour ce motif, contre 4 437 en 2003. L'année dernière, le coût des dégâts causés sur les constructions par la sécheresse en France a atteint 3,5 milliards d'euros, un chiffre qui vient d'être revu à la hausse.
Le phénomène de retrait-gonflement des argiles (RGA) qui fragilise les maisons individuelles coûte de plus en plus cher. L'année 2016 a marqué une rupture. « La part afférente à la sécheresse parmi les différents périls couverts par le régime Cat Nat a atteint 60 % sur les huit dernières années », détaille Sarah Gérin, directrice de la Mission risques naturels (MRN), une association créée par les assureurs. Et la situation ne devrait pas s'améliorer. Sur la période 2020-2050, la facture pourrait atteindre « 43 milliards d'euros, soit trois fois plus que les trente années précédentes », indique Florence Lustman, présidente de France Assureurs.
L'épineuse question des critères. Environ 11 millions de maisons, soit la moitié du parc français, sont exposées à ce risque. « Or le RGA est un impensé de la catastrophe naturelle », déplore le député (Renaissance) du Nord Vincent Ledoux. Son rapport, qu'il vient de remettre à Elisabeth Borne, estime qu'il faudrait mettre sur la table au moins 100 M€ par an pour rattraper la situation. Et créer « un véritable pilotage national, une task force de haut niveau pour la prévention et la remédiation du RGA ».
Le parlementaire propose aussi d'élargir les critères de reconnaissance de l'état Cat Nat. Un point sur lesquels les assureurs se montrent vigilants. « On ne peut pas trop abaisser les critères, alerte Edouard Vieillefond, directeur général de la Caisse centrale de réassurance. Un évènement qui était anormal il y a vingt ans peut devenir suffisamment récurent et régulier dans les années qui viennent pour qu'il ne soit pas pris en compte dans le régime Cat Nat afin qu'un cas véritablement catastrophique puisse, lui, l'être. » Parmi les autres préconisations : faciliter le travail d'instruction grâce à un maillage de « 1 000 stations météo du sol » dans les communes les plus à risque pour produire des données objectives, impartir un délai maximal de six mois pour la remise du premier rapport de l'expert ou encore reconnaître la prise en charge de l'aggravation d'une fissure déclarée avant l'année de reconnaissance de l'état de Cat Nat.
Réparer à l'identique ? Concernant plus directement la construction, le rapport Ledoux recommande de supprimer les injonctions contradictoires, de repenser les normes de construction mais aussi les autorisations ou documents d'urbanisme « afin de chasser toutes les mesures qui sont néfastes pour la maison sur sol argileux, comme la plantation de certains arbres à proximité des murs », développe le député. Il souhaite aussi que les futurs propriétaires de maisons neuves soient incités « à choisir les études G2 PRO plutôt que les règles forfaitaires de construction, [en prévoyant] la possibilité d'un contrat préalable au CCMI, dont l'unique objet serait la réalisation d'une G2 PRO, sans que le maintien du client et du prestataire dans une relation commerciale soit de droit ».
Enfin, une question fondamentale traverse le rapport : faut-il réparer à l'identique ? Le principe de l'assurance est la reconstruction en l'état, en raison de l'interdiction de l'enrichissement sans cause. « Mais il serait absurde de ne pas en profiter pour adapter globalement sa maison aux conséquences du changement climatique », explique en substance le député. L'idée serait donc d'accompagner les propriétaires vers les aides publiques, pour embarquer par exemple une rénovation énergétique dans les travaux.
« C'est un excellent rapport, très fouillé », reconnaît Edouard Vieillefond. Ce dernier rappelle cependant les évolutions récentes apportées par les lois Baudu relative à l'indemnisation des catastrophes naturelles de 2021 et 3DS de 2022. « On ne peut pas changer les critères tous les ans », prévient-il. Un appel à la prudence qu'il ne faut pas voir comme un plaidoyer pour l'immobilisme. Selon les mots de sa présidente Florence Lustman, France Assureurs vient ainsi de franchir « un pas de géant » avec le lancement d'un test grandeur nature baptisé « Initiative sécheresse ». Son objectif : évaluer sur cinq ans l'efficacité de quatre types de solutions (et plus particulièrement les techniques dites horizontales qui visent à agir sur l'environnement dans lequel s'inscrit la bâtisse) pour lutter contre ce fléau. La course contre la montre est engagée.
Chiffres
- 3,5 Mds € : coût record de la sécheresse pour l'année 2022, soit 1,6 Md € de plus que le précédent record.
- 6 370 communes reconnues Cat Nat au titre de la séchersse en 2022, soit 44 % de plus que le précédent record.
- 3 ans en moyenne entre la constatation du dommage par l'assuré et la réparation.
Source : France Assureurs.
« Sensibiliser architectes et constructeurs », Sébastien Burlon, directeur d'études chez Terrasol (groupe Setec) et président de la Commission de normalisation pour la justification des ouvrages géotechniques
« La réalisation de sondages est fondamentale, surtout pour les maisons individuelles vis-à-vis du RGA. Toutefois, les missions de conception G2 PRO, encouragées par la loi Elan, représentent un coût non négligeable pour une maison individuelle. Des mesures forfaitaires reposant sur des recommandations établies par la profession géotechnique et mises en œuvre dans le cadre de la norme
« Nous avons installé notre propre station de contrôle », Bruno Ficheux, maire d'Estaires (Nord)
« Le phénomène de RGA touche une centaine de maisons sur les 3 300 habitations de ma commune. Face à des citoyens désemparés, parfois sans indemnisation de leur assureur, je me suis demandé comment agir. Avec Albert Dehaudt, président de l'association Cat Nat Flandres, nous ne comprenions pas pourquoi nous étions reconnus Cat Nat sécheresse certaines années et d'autres non, tout comme les communes voisines. L'idée a donc germé d'installer notre propre station de contrôle pour compléter les données de Météo France qui ne répondent pas aux besoins des sinistrés. C'est chose faite depuis le début de l'année, notamment via une sonde de mesure des températures et de l'humidité dans le sol, ce que ne propose pas Météo France. Cela représente un investissement minime de 3 000 euros. Que ce type d'installation soit désormais préconisé dans le rapport Ledoux représente une victoire d'étape et une vraie reconnaissance de notre action. »