Décryptage

Bâtiment : la polyvalence des équipes, clé du virage de la rénovation

Face au repli du neuf et aux enjeux de décarbonation, les employeurs déploient des stratégies pour faire évoluer leurs salariés vers de nouvelles missions. Le développement de la réhabilitation en site occupé entraîne l'émergence de nouveaux métiers.

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Logement-rénovation
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Crise du neuf oblige, les grandes entreprises de bâtiment mobilisent une partie de leurs collaborateurs sur l'activité en croissance de la rénovation. « Malgré le contexte, nous avons maintenu l'ensemble des emplois », témoigne Adeline Azhari, DRH d'Eiffage Construction, qui connaît des situations contrastées selon les régions ou les entités concernées. « Certaines filiales peinent à atteindre leurs objectifs de recrutement, tandis que d'autres rencontrent des difficultés d'occupation de leurs salariés », développe-t-elle.

Le groupe a ainsi entrepris de travailler sur la transformation des métiers. « Les effets du ralentissement dans le neuf et de la hausse de la demande en réhabilitation ont commencé à se faire sentir entre 2022 et 2023 en Picardie », évoque Aurélie Barthélémy, DRH d'Eiffage Construction pour la Normandie et les Hauts-de-France qui emploie 1 000 salariés, dont 500 ouvriers. « Pour renforcer l'employabilité de nos compagnons dans l'entreprise, nous avons lancé avec un groupement d'établissements publics locaux d'enseignement (Greta) et Manpower un cursus en ITE qui s'adresse également aux chefs d'équipe et débouche sur la délivrance du titre professionnel de façadier. Nous organisons aussi des sessions sur les menuiseries extérieures et les travaux d'intérieur », détaille-t-elle. Avec 17 % de compagnons formés à la réhabilitation, la Normandie et les Hauts-de-France ont, chez Eiffage Construction, un temps d'avance sur les autres entités. Mais d'autres zones leur ont emboîté le pas, à l'image de la région Bourgogne-Franche-Comté et du Grand Ouest.

Réhab' en site occupé

Dans le cadre de sa stratégie de décarbonation, et en réponse aux attentes de ses clients, Bouygues Bâtiment France a également anticipé les mutations en cours. « La part croissante du marché de la réhabilitation, en particulier en site occupé, nous amène à travailler sur la capacité des compagnons à passer, au gré des chantiers, d'un cœur de métier constitué auparavant du gros œuvre à une activité impliquant d'intervenir tous corps d'état : menuiserie, bardage… » décrit Valérie Ferrand, directrice développement RH et engagement solidaire.

Pour renforcer la polyvalence des salariés, l'entreprise recourt au dispositif d'actions de formation en situation de travail, qui consiste à identifier des experts en interne pour transmettre les savoir-faire aux ouvriers et aux chefs d'équipe directement sur site. Comme le souligne Myriam Billerot, responsable du développement RH, travailler alternativement sur des chantiers de neuf et de réhabilitation présente un autre intérêt pour les salariés concernés : « En plus d'acquérir de nouvelles compétences, ils peuvent intervenir sur un périmètre plus proche de leur domicile que s'ils étaient spécialisés dans une typologie d'ouvrage. »

Apparition de nouveaux métiers

Dans le sillage du développement de la réhabilitation en site occupé, de nouveaux métiers apparaissent comme chargé des relations locataires chez GCC ou pilote chantier chez Eiffage. C'est aussi le cas du chargé des relations résidents chez Bouygues. « Un professionnel clé sur les chantiers, alors que nous comptons doubler notre activité dans l'habitat réhabilité entre fin 2022 et fin 2026 », commente Valérie Ferrand. Parmi ses missions figurent l'information des occupants sur les modalités de réalisation des travaux, la gestion des clés, l'état des lieux… Ces salariés, parmi lesquels figurent d'anciens ouvriers, chefs de chantier ou assistantes de gestion, sont tous formés à la « gestion des situations complexes » et à « l'excellence relationnelle ». Chez Eiffage Construction, 12 compagnons de la zone Nord-Ouest ont été affectés à un poste de pilote chantier. « Cet interlocuteur fluidifie les rapports avec les occupants, en veillant notamment à les rassurer. Il joue de la sorte un rôle de facilitateur pour l'encadrement et les compagnons, en particulier s'agissant de la gestion du planning », indique Aurélie Barthélémy. Là aussi, des formations sur la relation avec les résidents et la gestion des conflits s'imposent.

Autres profils concernés par l'évolution des métiers : les conducteurs de travaux. Pour un professionnel œuvrant dans le neuf depuis plusieurs années, un passage à la rénovation en site occupé - secteur porteur de sens pour un jeune diplômé -revêt des enjeux d'attractivité. « Certaines personnes nourrissent en effet une perception négative liée d'une part à l'environnement des chantiers de logements sociaux, parfois sensible voire hostile, et d'autre part aux interactions avec les occupants auxquelles ils ne sont pas forcément accoutumés », pointe Myriam Billerot. L'entreprise mise ainsi, pour déconstruire les stéréotypes, sur des témoignages délivrés en interne par des professionnels. « Une fois que les collaborateurs ont basculé vers la réhabilitation, ils ne souhaitent d'ailleurs généralement pas revenir en arrière. »

« Plus de la moitié des ouvriers sont prêts à évoluer », Stève Noël, DRH de Rabot Dutilleul Construction

« Compte tenu du retournement du marché du neuf, mais aussi dans le cadre de notre stratégie liée à la transition écologique, la part de la réhabilitation représente à ce jour plus de la moitié de notre activité. Nous avons basculé au bon moment, ce qui nous a permis d'occuper nos compagnons qui exerçaient sur la partie gros œuvre. Nous avons en effet profité d'importantes opérations de rénovation lourde pour former sur le tas des salariés volontaires. Forts de cette expérience, et alors que plus de 50 % de nos ouvriers se disent motivés pour évoluer dans leur métier, nous souhaitons formaliser cette démarche en bâtissant des parcours de formation pour accompagner le développement de leurs compétences en rénovation-réhabilitation.

Nos collaborateurs intervenant en amont de l'acte de construire - vente, études de prix et directions techniques -ont, eux, suivi des modules conçus avec le CD2E [le pôle d'excellence de l'écotransition des Hauts-de-France, NDLR]. De quoi leur permettre notamment de mieux chiffrer et commercialiser une opération en valorisant le recours aux matériaux dédiés à la performance énergétique. »

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 « Une agence désormais spécialisée dans la réhabilitation », Eric Spielmann, DRH de GCC

« Epaulés par un organisme de formation, nous avons monté le programme “Réussir avec assurance une opération de réhabilitation en site occupé” que 50 collaborateurs – conducteurs de travaux et chargés de relations locataires, un nouveau métier – ont déjà suivi. Quelque 25 personnes, dont certaines officiaient dans une filiale spécialisée dans la promotion immobilière, ont ainsi évolué vers les métiers de la rénovation. Dans la réhabilitation lourde, qui mobilise une part importante de gros œuvre, les mobilités sont plus nombreuses, mais n’impliquent pas forcément de changement de métier stricto sensu : il s’agit plutôt d’adaptations. Sur le terrain, les anciens transmettent leur savoir-faire aux plus jeunes, et un point de vigilance particulier est apporté à la prévention. Nous avons par exemple spécialisé dans la réhabilitation une agence parisienne de 85 personnes et nous songeons à faire de même avec une autre entité.

La part de la rénovation-réhabilitation au sein du groupe, passée de 17 % à 46 % entre 2017 et 2025, va continuer à croître. Nous vivons une période d'inquiétude en raison des nombreuses incertitudes économiques, mais elle nous amène ainsi à nous reposer des questions et à faire preuve d'agilité. »

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