Une véritable typologie des groupements d’entreprises peut se décliner en fonction de la notion de solidarité, fiction juridique issue du Code civil, mais parfois lourde de conséquences pour les entrepreneurs.
Les différents types de groupements d’entreprises
Trois cas peuvent être distingués.
• Chaque entreprise peut simplement être tenue de réaliser une partie des travaux. Le mandataire commun assure alors une mission de représentation envers le maître d’ouvrage, ainsi qu’une certaine mission de coordination de l’activité des autres membres du groupement. Mais aucune des entreprises n’est tenue à solidarité envers le maître d’ouvrage.
• Chaque entreprise est tenue de réaliser sa partie de travaux. Toutefois, le mandataire commun, en plus de sa mission de représentation, est solidaire des autres entreprises, envers le maître d’ouvrage.
• Enfin, chacune des entreprises peut être tenue de réaliser sa partie de travaux, et en même temps être solidaire des autres, envers le maître d’ouvrage.
Une exception pour le lot technique indivisible
Le simple fait que le maître d’ouvrage ait passé un marché en groupement d’entreprises est insuffisant pour rendre les entreprises solidaires envers celui-ci.
L’ dispose : « La solidarité ne se présume point ; il faut qu’elle soit expressément stipulée. » Les entreprises seront donc tenues, ou non, envers le maître d’ouvrage en fonction des dispositions figurant dans les cahiers des charges des marchés. Les juridictions judiciaire et administrative font application de ce principe.
Toutefois, la règle selon laquelle la solidarité ne se présume pas doit être nuancée, eu égard aux dispositions de l’ concernant l’engagement pour le tout de ceux qui ont contracté une dette indivisible. En effet, s’il existe dans le marché un lot technique indivisible, les entreprises qui auront réalisé ensemble cette partie pourront voir chacune leur responsabilité engagée envers le maître d’ouvrage pour le tout, même si le marché fait état d’un simple engagement conjoint.
Etendue de la solidarité
Le maître d’ouvrage est le seul bénéficiaire de la solidarité, à l’exclusion des entreprises groupées les unes envers les autres, ou bien de tiers, avec qui elles auraient pu contracter (fournisseurs, sous-traitants, assureurs…).
L’objet de la solidarité est la bonne réalisation de l’ensemble des travaux par les entreprises groupées. Cependant, les tribunaux peuvent avoir à procéder à l’analyse des pièces du marché, afin de déterminer jusqu’où s’étend exactement la solidarité, compte tenu des clauses insérées dans le marché. Il a ainsi été jugé que la solidarité s’étendait au paiement éventuel de pénalités de retard (Conseil d’Etat, 25 juin 1971, Recueil Lebon p. 482). La cour administrative d’appel de Paris, dans un arrêt du 18 novembre 1999 (n°97PA00790), a estimé que la solidarité du mandataire d’un groupement conjoint relevant du CCAG travaux de 1976, ne pouvait s’étendre aux conséquences financières d’un incendie qui s’était déclaré au cours de la réalisation des travaux.
Autre exemple : s’appuyant sur les dispositions du marché, le Conseil d’Etat a jugé que la solidarité pouvait s’étendre aux dommages causés à un tiers lors de la réalisation des travaux et que le maître d’ouvrage disposait d’un recours solidaire envers les deux entreprises groupées (CE, 4 juin 1976, « Société toulousaine immobilière », Recueil Lebon, p. 303).
Durée de la solidarité
S’il ne fait guère de doute que la solidarité concerne la période d’exécution des travaux, la question peut se poser pour les garanties du marché. En analysant les cahiers des charges usuels des marchés privés et des marchés publics, les juridictions ont considéré que :
• en matière de marché passé avec des entreprises groupées conjointes, l’obligation solidaire du mandataire s’étend à la période de garantie de parfait achèvement, mais ne concerne pas la période de responsabilité décennale. En revanche, lorsque des réserves ont été formulées sur les travaux, la responsabilité solidaire du mandataire d’un groupement conjoint peut être engagée sur le plan contractuel, jusqu’à la levée des réserves par le maître d’ouvrage ().
• en matière de marché passé avec des entreprises groupées solidaires, l’obligation solidaire pèse sur toutes les entreprises, jusqu’à la fin du délai de responsabilité décennale.
Solidarité concernant une entreprise défaillante
En cas de défaillance de l’une des entreprises groupées dans l’exécution de ses obligations envers le maître d’ouvrage, les autres entreprises solidaires (dans les groupements solidaires) ou le mandataire commun seul solidaire (dans les groupements conjoints), devront remédier à cette défaillance.
La défaillance de l’une des entreprises peut se produire :
• soit pendant l’exécution des travaux, lorsqu’une entreprise n’est plus en mesure de poursuivre leur réalisation ;
• soit durant le délai de responsabilité décennale, lorsque le maître d’ouvrage veut obtenir réparation de dommages portant atteinte à la solidité ou à la destination de l’ouvrage.
Dans le premier cas, les entreprises solidaires (ou le mandataire solidaire d’un groupement conjoint) doivent exécuter, au prix du marché, les travaux inachevés de la défaillante ou les faire réaliser par un tiers. Dans le second cas, les entreprises solidaires doivent exécuter elles-mêmes ou faire réaliser par un tiers, et à leur frais, les réparations de nature à mettre fin aux désordres décennaux.
Les entreprises disposent, certes, d’un recours à l’encontre de l’entreprise défaillante. Mais, très souvent, celle-ci a déjà déposé le bilan et n’est plus en mesure de faire face aux demandes d’indemnité.
Pas d’exonération sans convention contraire à l’engagement solidaire !
Les conséquences financières résultant de la défaillance de l’une des entreprises groupées solidaires sont souvent lourdes et inattendues. Cette situation donne souvent lieu à des procès. Pour s’exonérer des effets de la solidarité, les entreprises soutiennent parfois ne pas avoir exécuté la partie des travaux affectée des désordres décennaux mis en cause.
Ainsi, dans une affaire récente, des entreprises groupées, solidaires, avaient effectué pour le compte d’un maître d’ouvrage public, des travaux de restructuration et d’extension d’un lycée professionnel. A la suite de l’effondrement d’un bâtiment, l’une des entreprises soutenait qu’elle n’avait pas réellement participé aux travaux de ce bâtiment et que sa responsabilité devait être écartée. La cour administrative d’appel de Bordeaux lui a donné raison mais le Conseil d’Etat () a annulé cette décision. Se fondant sur sa jurisprudence constante, la haute juridiction a estimé d’une part que l’engagement solidaire vaut autant pour l’exécution du marché que pour les réparations financières éventuelles. Elle a estimé d’autre part que seule une convention contraire à l’engagement solidaire, à laquelle serait partie le maître d’ouvrage, aurait pu exonérer l’entreprise tenue au même engagement solidaire avec les autres entreprises : « Considérant qu’un constructeur ne peut échapper à sa responsabilité conjointe et solidaire avec les entreprises cocontractantes au motif qu’il n’a pas réellement participé aux travaux révélant un tel manquement que si une convention, à laquelle le maître d’ouvrage est partie, fixe la part qui lui revient dans l’exécution des travaux. »
Or, en l’espèce, il n’y avait pas eu de convention. Dans ce cas, le groupement solidaire d’entreprises doit le rester en toutes circonstances.
