Assurance construction : La bombe à retardement de la LPS

Les défaillances d'assureurs en libre prestation de services se multiplient. une menace pour des milliers d'entreprises du BTP qui avaient souscrit des contrats low cost.

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La réglementation française impose que les assureurs provisionnent suffisamment de fonds pour couvrir les risques dans le temps.

Sur le papier, l'assurance en libre prestation de services (LPS) portait de belles promesses. En permettant à un assureur européen de vendre ses contrats dans un autre pays membre de l'Espace économique européen, sans implanter de filiale dans le pays ciblé, elle devait faciliter l'activité économique dans cette vaste zone. De fait, nombre d'assureurs utilisent la LPS, à l'image de SMABTP, qui commercialise certains de ses contrats en Belgique par ce biais.

Mais un dérèglement s'est produit en France. Il a pris racine dans la longue crise du BTP (2008-2016) : certains assureurs européens ont utilisé la LPS pour contourner la réglementation hexagonale et réaliser moins de provisions qu'exigé, profitant du fait que leur régulateur national était peu informé de la particularité de la décennale française. Cette protection « gourmande » exige en effet un provisionnement en capitalisation nécessaire pour faire face aux éventuels sinistres, sur une durée de dix ans après la réception.

Crise profitable

Et les huit années de crise ont été profitables aux assureurs en LPS. Dans un marché global en net recul, ils ont enregistré une croissance moyenne de 30 % de leur chiffre d'affaires (des primes encaissées) durant cette période, selon SMABTP, principalement en « cassant » les prix d'un tiers. En 2016, ces assureurs auraient encore collecté 200 M€ de primes, soit 10 % environ des parts de marché de l'assurance construction (responsabilité décennale et dommages ouvrage).

Mais après les récentes défaillances (lire ci-dessous), des langues se délient. Pour Marie-Capucine Walbert, présidente du courtier Kohler Assurances, qui travaille avec les assureurs historiques du marché depuis 1978, « la boulimie de CBL [l'un des principaux acteurs en LPS, NDLR], avec le rachat de deux acteurs, SFS et EISL, et la souscription de très nombreux et importants risques longs, nous a toujours interrogés, au regard de leur taille et de leur expérience du marché français. Leur faillite ne m'a pas surprise. Mais je ne pensais pas qu'elle arriverait si vite ». Depuis les retraits et les défaillances de ces derniers mois, il ne reste à ce jour que deux assureurs LPS sur le marché français de l'assurance construction, ainsi qu'une poignée d'intermédiaires, qui essaient de trouver de nouveaux assureurs partenaires.

Pour les professionnels du BTP qui subissent les conséquences de ces faillites, inutile de compter sur le Fonds de garantie des assurances obligatoires (FGAO) pour prendre en charge les sinistres qui pourraient ne pas être assumés par les assureurs défaillants. Le FGAO n'interviendra en effet que pour les particuliers assurés en dommages ouvrage, à partir de juillet 2018, comme le précise une ordonnance du 27 novembre 2017. Face aux risques élevés que ces défaillances font peser sur les acteurs du BTP, qui pourraient être contraints de payer sur leurs fonds propres les réparations d'un sinistre à la place de leur assureur défaillant, les professionnels du secteur sont en train de prendre les choses en main et de proposer des solutions pour limiter la casse.

Inquiétude

Dans un marché du BTP en pleine reprise, cette mauvaise série inquiète les assureurs historiques. Et pour cause : si les garanties souscrites subsistent en théorie, les fonds des acteurs en LPS pourraient ne pas suffire à faire face aux engagements, qui courent dix ans après la réception du chantier. En cas de sinistres, l'assureur du maître d'ouvrage ne pourrait donc pas, potentiellement, exercer son recours contre l'assureur défaillant du constructeur. Et risqueraient même de devoir prendre en charge une partie des sinistres, craint Michel Klein, directeur des sinistres de la Mutuelle des architectes français assurances (MAF) : « Ces défaillances récentes sont un véritable sujet d'inquiétude pour nous, car nos assurés sont souvent appelés en garantie du fait de leur rôle central et de leur “devoir de conseil”, de plus en plus élargi, alerte-t-il. Lorsqu'une condamnation est prononcée in solidum, et en cas de défaillance de l'entreprise ou de son assureur, celui de l'architecte ou du bureau d'études peut être amené à prendre en charge le coût des réparations de façon “solidaire”. Et même en présence d'une clause d'exclusion de l'in solidum, la présomption de responsabilité en décennale interdira toute limitation ou exclusion de responsabilité, ce qui constitue un vrai risque pour nous. Nous avons plusieurs dossiers de ce type en cours, suite à la défaillance de Gable Insurance… » Comment en est-on arrivé là ? Les torts sont partagés. Certaines entreprises de BTP, en grandes difficultés pendant la crise, ont en effet privilégié le low cost à la qualité des garanties. D'autres ont joué avec le feu, en s'assurant en connaissance de cause auprès d'acteurs peu regardants sur l'analyse des risques. Quant aux distributeurs de ces contrats, principalement les courtiers, certains ont manqué à leur devoir de conseil, en ignorant les insuffisances de solvabilité ou de fonds propres de ces assureurs étrangers. Des primes parfois inférieures de 30 % au prix du marché auraient pourtant pu les alerter…

Face à la colère qui monte, certains intermédiaires se défendent. Ils expliquent qu'il est difficile pour un petit courtier généraliste d'obtenir le droit de vendre et de distribuer des contrats d'une compagnie. La raison ? Des exigences fortes en termes de chiffre d'affaires et d'ancienneté de la part des gros assureurs. Passer par des acteurs en LPS était l'une des seules façons d'accéder à des garanties construction et de pouvoir répondre aux demandes d'assurance des jeunes artisans qui frappaient à la porte des petits courtiers.

Les assureurs historiques ont aussi leur part de responsabilité. En se retirant progressivement de la couverture des risques considérés comme « aggravés » (création d'entreprise, résiliés pour sinistres… ), ils ont ouvert la porte à des acteurs moins re gardants. Bertrand de Surmont, président de la Chambre syndicale des courtiers d'assurance (CSCA), le confirme : « La place prise par les acteurs en LPS a été rendue possible par le retrait massif des porteurs de risques traditionnels sur la branche construction. »

« Double peine »

Les assureurs historiques sont aussi mobilisés dans ce « sauvetage préventif », anticipant une possible obligation de couverture imposée par le Bureau central de tarification (BCT). « C'est difficile pour les professionnels ayant fait l'erreur de s'assurer chez ces acteurs LPS défaillants, car c'est pour eux une double peine. Le meilleur conseil qu'on puisse leur donner est de jouer la prudence et de payer une nouvelle prime, entre 1 et 1,5 % du montant du chantier, comprenant la responsabilité civile et la responsabilité civile décennale, estime Evrard de Villeneuve, président de Chevreuse Courtage. Le marché vient de vivre quatre défaillances en quelques mois. Je souhaite tirer la sonnette d'alarme pour que les professionnels du bâtiment ouvrent enfin les yeux. »

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