Architecture et patrimoine : un premier bilan mitigé pour la loi LCAP

La commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale a remis son rapport d’information sur l’évaluation de la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Seules les mesures phares du texte ont été passées au crible des parlementaires.

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Assemblée nationale
Les députés dressent un premier bilan mitigé pour la loi LCAP

Trois ans après son entrée en vigueur, l’heure est au premier bilan pour la loi dite « LCAP » du 7 juillet 2016. Les députés publient dans un rapport d’information déposé à l’Assemblée nationale le 25 septembre 2019 l’évaluation des dispositions « architecture » et « patrimoine » du texte. Si des progrès sont à saluer du côté de l’archéologie préventive et de la protection du patrimoine, le volet architecture est, lui, loin d’être satisfaisant.

Archéologie préventive, entre progrès et problèmes d’interprétation

S’agissant de l’archéologie préventive, l’ensemble des acteurs reconnaît que le renforcement par l’Etat du contrôle scientifique et technique de l’archéologie préventive et les dispositions relatives au fonctionnement des commissions territoriales de la recherche archéologique constituent un progrès et sont plutôt bien acceptées par les opérateurs publics et privés. Pour rappel, l’article 70 de la loi LCAP a instauré une procédure d’agrément pour les opérateurs privés et a créé un dispositif d’habilitation pour les services archéologiques des collectivités.

En revanche, l’application de la procédure d’analyse préalable des offres pose des difficultés. L’aménageur, maître d’ouvrage des fouilles, doit dorénavant faire valider, par les directions régionales des affaires culturelles (Drac), les projets scientifiques d’intervention (lesquels déterminent les modalités d’exécution des cahiers des charges) figurant dans les offres de prestation des opérateurs avant la signature du contrat. Avant la loi LCAP, ce contrôle n’intervenait qu’après la signature du contrat entre l’aménageur et l’opérateur. Si cette mesure permet de sécuriser juridiquement le maître d’ouvrage, la procédure est appliquée différemment selon les régions, certains services régionaux se substituant même parfois au maître d’ouvrage dans le choix de l’entreprise qui interviendra. Or, « l’Etat doit se contenter de vérifier la recevabilité des offres en écartant celles qui ne sont pas conformes aux prescriptions de fouilles », rappellent les rapporteurs.

Davantage de visibilité et de cohérence pour la protection patrimoniale

Côté patrimoine, la mission souligne un premier bilan encourageant concernant la mise en place des nouvelles commissions consultatives (art. 74 de la loi LCAP). En instaurant une commission nationale du patrimoine et de l’architecture (CNPA) et des commissions régionales (CRPA), le législateur « a contribué à donner une meilleure visibilité à la protection patrimoniale et à apporter une plus grande cohérence aux différents régimes juridiques de protection existants ». En outre, avoir confié la présidence de ces commissions à des élus s’est révélé « un choix judicieux », gage d’un dialogue plus fécond avec les collectivités.

Les rapporteurs regrettent en revanche que ces commissions n’utilisent pas pleinement leur pouvoir d’auto-saisine, en particulier sur certains dossiers problématiques comme le chantier du contournement du village de Beynac (Dordogne).

Le régime des abords mieux adapté aux enjeux de terrain

Autre point positif : la redéfinition du régime des abords des monuments historiques, mieux adaptée aux enjeux de terrain. Pour les rapporteurs, en créant un nouveau dispositif de concertation, d’adaptation et de délimitation du périmètre de protection autour des monuments historiques, la loi LCAP « a contribué à accroître la lisibilité du rôle des services de l’Etat ». Ce nouveau régime des abords a de fait permis l’établissement d’un dialogue plus intense entre les parties prenantes (architectes des bâtiments de France [ABF], collectivités, associations et citoyens).

Un « détricotage » des acquis

En revanche, la mission d’évaluation s’interroge sur la pertinence des récentes évolutions législatives issues de la loi Elan du 23 novembre 2018, laquelle a notamment apporté des modifications en ce qui concerne le régime des travaux applicables aux abords. Désormais, en cas de recours formé par l’autorité locale contre un refus de l’ABF, le silence du préfet vaut approbation du projet de décision. Cette mesure correspond à celle qui préexistait avant l’entrée en vigueur de la loi LCAP. Les rapporteurs dénoncent un « détricotage des acquis de la législation issue de la loi LCAP » et font part de la difficulté des acteurs du patrimoine à s’approprier pleinement les dispositions nouvelles. Ces derniers demandent donc « pour l’avenir, en cas de nécessité d’une modification normative, à circonscrire précisément les sujets, afin de ne pas étouffer les acteurs sous une marée normative ». Ils appellent également à l’instauration d’un nouveau principe de non-régression du droit du patrimoine, afin d’assurer le maintien du niveau de protection.

Le recours obligatoire à un architecte, une avancée incontestable pour la profession…

Mais c’est sur le volet architecture que le bilan s’avère le plus mitigé. S’agissant de l’obligation de faire appel à un architecte pour établir le projet architectural, paysager et environnemental exigé pour l’instruction des permis d’aménager les lotissements de plus de 2500 m² (art. 81 de la loi LCAP), le rapport reconnaît que cette mesure, « analysée comme une avancée incontestable pour la profession d’architecte », a permis d’améliorer, de façon générale, la qualité des aménagements (intégration du bâti à l’environnement, qualité des constructions, etc.). Et les craintes de certaines professions (géomètres-experts) qui intervenaient sur ces opérations de voir leurs parts de marché disparaître ne se sont finalement pas réalisées. Quant au surcoût (environ 300 euros par lot en moyenne) lié à l’intervention d’un architecte, il apparaît comme mesuré « eu égard aux bénéfices apportés en matière de qualité architecturale ».

… Mais gare aux signatures de complaisance

Pour autant, des difficultés et des craintes demeurent : l’intervention de l’architecte lors du dépôt du permis d’aménager est jugée trop tardive et l’empêcherait de réellement peser sur le projet, « situation qui peut également faire craindre l’existence de signatures de complaisance ». Les rapporteurs recommandent donc aux services instructeurs d’apporter une attention spécifique aux dossiers sur ce point.

Par ailleurs, les mesures incitatives dans le domaine de la maison individuelle (recours obligatoire à un architecte à partir de 150 m2 ; et réduction des délais d’instruction des permis de construire en cas de recours à un architecte alors que le particulier n'y serait pas contraint) n’ont eu qu’un faible impact.

Permis d’innover ou de faire, trop risqués, trop complexes

Quant aux mesures visant à favoriser l’innovation et la création architecturales (permis d’innover et permis de faire), elles n’ont pas encore trouvé leur public. En cause notamment la question de la responsabilité juridique de l’innovation en cas de sinistre. Selon les rapporteurs, « il n’est pas certain que le système assurantiel actuel puisse absorber une telle évolution, qu’il s’agisse des architectes, des organismes chargés d’attester de la viabilité d’une solution d’effet équivalent [SEE] ou de leurs contrôleurs techniques ». Le risque apparaît donc trop grand pour les architectes qui craignent de s’exposer à des recours. Autre frein : la complexité des procédures applicables et le surcoût représenté par la recherche d’une SEE.

Les parlementaires notent cependant que "ces  deux  dispositifs  ont  connu  des  évolutions  récentes  qui  rendent  leur évaluation malaisée". La loi Elan a en effet élargi le champ du permis d'innover, et remplacé le permis de faire par un permis d'expérimenter beaucoup plus vaste.

Pour lire le rapport d'information parlementaire, cliquer ici.

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