Du permis de faire au permis d’expérimenter en passant par le permis d’innover, le droit s’adapte au besoin d’innovation du secteur du bâtiment et de la construction. Invités à en débattre le 9 juillet 2019 lors du nouveau rendez-vous de l'innovation du Moniteur, les professionnels ont salué ce changement de paradigme dans les règles de la construction mais ont déjà soulevé quelques motifs d'inquiétudes qui pourraient nuire à l'efficacité du permis d'expérimenter.
Moins de prescriptions et davantage de performances
Prévu par la loi Essoc (ou Confiance) du 10 août 2018, le permis d’expérimenter est régi par une ordonnance du 30 octobre 2018 et son décret d’application du 11 mars 2019. Entré en vigueur le 13 mars, il s’agit, rappelle Emmanuel Acchiardi, sous-directeur de la qualité et du développement durable dans la construction à la Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP) du ministère de la Cohésion des territoires, de « permettre à un maître d’ouvrage qui aurait une solution innovante à proposer, de faire la preuve qu’il respecte la réglementation avec des solutions alternatives ». L’idée est d’avoir quelque chose de moins prescriptif et de plus performantiel ».
Pour Alejandro Alvaro, chargé de mission innovation et environnement à l’Epamarne - signataire de la Charte d’engagement volontaire en faveur du permis d’expérimenter -, « le champ d’application du permis d’expérimenter est très vaste et donc pas vraiment contraignant ou restrictif. Il peut être efficace, notamment pour challenger les maîtres d’ouvrage et donc les maîtres d’œuvre ». Se pose toutefois la question du calendrier « puisque l’on ajoute des étapes supplémentaires par rapport à une démarche classique », tempère-t-il.
Principe d’entonnoir
De son côté, Aurélie Dauger, avocate associée chez LPA-CGR Avocats, reconnaît qu’« il faut saluer ce permis d’expérimenter parce que l’on passe d’une culture de moyens à une culture de résultat. Peu importe la manière dont on arrive aux résultats du moment que les objectifs sont atteints ». Pour autant, l’avocate regrette le champ encore trop restrictif de ce dispositif et son « principe d’entonnoir ». Le permis d’expérimenter permet de déroger à neuf séries de règles (accessibilité, sécurité incendie, acoustique, etc.). Sur ces neuf séries de règles, il y a encore des restrictions. Par exemple, précise-t-elle, « on peut déroger à la sécurité incendie mais seulement pour les bâtiments d’habitation et les établissements recevant du public ; ou encore aux règles d’aération mais seulement dans les logements ». Il faut donc bien se rapporter à la liste des dérogations prévue par l’ordonnance et le décret du 11 mars 2019 pour s’assurer qu’on est bien dans le cadre du dispositif, conseille-t-elle.
Entreprises laissées de côté
Autre critique : le moment de l’expérimentation. L’avocate regrette que l’innovation arrive en phase conception et donc très (trop ?) tôt dans le processus de construction. « Le dispositif laisse ainsi les entreprises de côté alors que souvent l’innovation peut venir d’elles », souligne-t-elle.
Sur ce point, la DHUP précise que les opérateurs pourront toujours intégrer l’innovation dans la phase d’exécution par un permis de construire modificatif. « On a souhaité laisser ouverte l’innovation jusqu’à la réception du chantier », indique une représentante du ministère.
Quelle assurance pour l'attestateur ?
Enfin, dernier sujet d’inquiétude : les questions d’assurance et plus particulièrement de celle de ce nouvel intervenant sur le chantier qu’est l’attestateur, c'est-à-dire l'organisme compétent pour délivrer les attestations d'effet équivalent (1). Les textes indiquent seulement qu’il doit être assuré mais sans préciser quel type d'assurance, responsabilité civile ou responsabilité civile décennale. Pour Aurélie Dauger, « les textes ne sont pas clairs et si ces organismes n’ont pas une couverture d’assurance efficace, cela bloquera le mécanisme ». L'ordonnance II de la loi Essoc, attendue d'ici février 2020, qui généralisera le droit de déroger et réécrira la partie législative du livre 1er du Code de la construction et de l'habitation, sera peut-être l'occasion de clarifier ces points...