Appels d'offres : la ruée vers l'atome des entreprises de BTP

La relance des programmes nucléaires neufs aiguise l'appétit des grands groupes. Pour espérer emporter les marchés lancés par EDF, tous se mettent en ordre de bataille.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
Les travaux préparatoires des deux nouveaux réacteurs de Penly en Seine-Maritime (à gauche sur cette image virtuelle) doivent commencer cette année. Au pic de l’activité, environ 8 000 ouvriers seront présents sur le chantier.

C'est la promesse d'un eldorado. La construction annoncée de six nouveaux réacteurs sur des sites nucléaires existants fait saliver les grandes entreprises du BTP. Trois fois deux paires qui doivent en effet s'installer à Penly (Seine-Maritime), à Gravelines (Nord) et dans le Bugey (Ain), concrétisation des annonces d'Emmanuel Macron à Belfort, en février 2022. Il n'y a pas de temps à perdre : le président de la République a décidé la mise en service du premier réacteur d'ici 2035.

Sans surprise, pour EDF, la maîtrise des coûts constitue un enjeu majeur. Selon « Les Echos », la facture totale pourrait s'élever à 67,4 Mds €, contre 51,7 Mds € initialement prévus. Si le maître d'ouvrage ne commente pas ce chiffre, il a néanmoins lancé en fin d'année dernière un « plan de compétitivité » pour que les acteurs de la filière débusquent des optimisations économiques. Pour autant, rien ne semble remettre en cause cette montée en puissance de l'atome puisque l'énergéticien vise « 70 % de contrats signés ou prêts à signer fin 2024 ».

Aux majors les macrolots de génie civil. Le défi s'annonce immense pour les entreprises de construction. Pourtant, il ne pourrait s'agir que d'un début. Face à la demande croissante en électricité décarbonée, « il ne faudra pas 6, pas 14, mais 20 réacteurs », lançait il y a peu Xavier Huillard, P-DG du groupe Vinci. « Le nucléaire neuf sera l'un des enjeux principaux pour Bouygues Construction dans les années à venir, en France et à l'international », commente, pour sa part, son directeur général délégué Jean-Philippe Trin, alors que, côté Eiffage, la promesse s'est déjà concrétisée le 16 novembre dernier. Première à décrocher la timbale, la major a remporté le marché de réalisation des deux unités de production de Penly, incluant 69 ouvrages, pour un montant supérieur à 4 Mds €.

Chez les géants du BTP, les stratégies diffèrent à l'heure d'aborder les macrolots de génie civil. Si Eiffage fait cavalier seul, Vinci et Bouygues préfèrent postuler en duo. C'était le cas à Penly, ce le sera encore dans le futur. « L'alliance avec Vinci sur le génie civil perdurera, confirme le P-DG de Bouygues Construction, Pascal Minault. C'est la meilleure option au regard des ressources à mobiliser et des risques financiers à assumer, mais aussi dans la perspective de faire jouer l'effet de série. » Objet d'une contractualisation par site, le génie civil restera la chasse gardée des majors, seules à être retenues après la phase d'appel à candidatures. « Cela dépasse notre capacité actuelle et nous n'avons pas vocation à intervenir dans un groupement en qualité de sous-traitant », concède sans mal le directeur du nucléaire civil chez NGE, Olivier Cabot. « Pas question non plus d'assumer le risque des génie-civilistes », complète Laurent Renac, directeur opérationnel de cette activité au sein du groupe.

Des marchés annexes plus ouverts. Pour autant, le nouveau programme nucléaire n'est pas réservé aux seuls mastodontes du secteur. En plus du génie civil, « il existe de nombreux marchés annexes auxquels nous pouvons répondre, dont certains peuvent représenter plusieurs centaines de millions d'euros, voire avoisiner le milliard », précise Olivier Cabot. Un type de marchés d'autant plus intéressant pour les entreprises que leur périmètre pourrait chaque fois que possible concerner tous les sites. « La stratégie consiste à contractualiser pour les trois paires d'EPR2 en même temps et à bénéficier ainsi pleinement des économies d'échelle que permettent l'approvisionnement et la construction en série », précise-t-on chez EDF.

Parmi ces lots, celui de terrassement, fondation et amélioration de sol est particulièrement convoité. Intégré au marché confié à Eiffage à Penly, il fera l'objet d'une consultation séparée sur Gravelines et le Bugey. Un allotissement justifié par des enjeux d'amélioration de sol plus importants sur ces deux sites qu'en Seine-Maritime. « Nous sommes ambitieux sur ce lot car nous avons la certitude de pouvoir le réussir », assure Laurent Renac chez NGE. Mais d'autres, à l'instar de Spie Batignolles, lorgnent aussi ce marché dont la notification doit intervenir en ce premier semestre 2024. Les marchés de conduites de refroidissement CRF, de conduites SEC ou de travaux de prise d'eau qui concernent les trois sites, éveillent aussi les convoitises. « Plus raisonnables que le macrolot terrassement et génie civil, ils n'en restent pas moins très significatifs pour un groupe comme le nôtre », poursuit Laurent Renac. Et avec l'intégration récente de Sade, avec lequel il avait fait acte de candidature, NGE a d'autant plus de raisons de croire en ses chances. Spie Batignolles, lui, annonce s'être positionné sur deux appels d'offres concernant les centrales de Penly. « L'un d'eux, de plus de 250 M€, porte sur le rejet d'eau en mer de l'EPR. Il s'agit de construire une station de pompage pour refroidir le réacteur », explique Guillaume Galant, président de Spie Batignolles Technologies.

Mais les majors n'entendent pas s'arrêter au génie civil. Une dernière typologie de travaux, plus modeste, est aussi dans leur viseur : celle des VRD provisoires et d'aménagements définitifs. Ici comme ailleurs, les grands groupes ne sont jamais loin. Pas rassasié, Eiffage assure rester « attentif aux autres opportunités dans le nucléaire compte tenu de ses multiples expertises dans le domaine ». Même son de cloche chez Bouygues. « Au-delà du génie civil, nous nous positionnons avec des équipes dédiées sur les travaux préparatoires, qui seront nécessaires sur certains sites dans un calendrier anticipé. Et nos cousins d'Equans se placent sur les lots électricité et ventilation », détaille Jean-Philippe Trin. Une façon de rappeler que les services multitechniques auront aussi voix au chapitre. Ces expertises seront d'ailleurs nécessaires pour la suite, au stade de l'exploitation, lorsque la France aura su renouer avec une construction en série de réacteurs nucléaires.

« EDF jouera un rôle d'intégrateur sur le chantier », Stéphane Moreau, chargé de la direction génie civil et infrastructures du projet EPR 2 Penly chez EDF.

Les entreprises de travaux ont-elles nourri votre réflexion ?

Nous avons mené une phase préalable d'études d'optimisation de la constructibilité avec les soumissionnaires. Elle a permis de dégager certaines améliorations liées à l'implantation et à l'organisation du chantier. Par exemple, nous avons intégré au projet une plateforme de préfabrication proposée par l'un des candidats. Ensuite, la procédure s'est déroulée sous la forme d'un dialogue compétitif avec comme objectif principal d'intégrer les retours d'expérience des autres chantiers, d'identifier les méthodes et les démarches d'optimisation techniques. C'est un point de départ collectif à partir duquel nous pilotons le lancement de l'EPR 2.

Comment allez-vous coordonner et contrôler le chantier ?

Notre pilotage visera à s'assurer du respect des éléments techniques, des coûts et du calendrier définis ensemble. Nous jouerons également un rôle d'intégrateur sur le chantier, car Eiffage ne sera pas seul. Nous devrons coordonner toutes les parties prenantes pour s'assurer que chacune occupe bien les zones dévolues. Au-delà des dispositions contractuelles sur la sécurité, nous avons créé un club avec les premières entreprises.

La configuration en multiples plateformes nous conduit aussi à nous montrer attentifs à la circulation des engins. Dernière condition pour obtenir les meilleurs résultats : une numérisation accrue.

Au pic de l'activité, combien d'ouvriers seront présents sur le chantier ?

Environ 8 000, toutes activités confondues, dont la moitié sur la phase de génie civil. Le dispositif Grand Chantier EPR 2 - qui sera répliqué pour Gravelines et le Bugey - vise à dynamiser le territoire, soutenir la formation et favoriser l'insertion locale. Nous portons une attention particulière aux dispositions mises en place par Eiffage sur ces points qui feront l'objet d'un système de bonification dans le cadre du marché.

Comment vous assurerez-vous du respect de la trajectoire financière ?

Un certain nombre d'activités, comme les études et les installations de chantier, sont rémunérées au forfait, mais le mode de facturation est principalement basé sur le mécanisme de prix unitaire associé au volume. Le travail d'EDF visera aussi à s'assurer que les métrés sont en phase avec les éléments issus des données d'entrée. Il ne faut pas perdre de vue l'ampleur du projet : 5 millions de m3 de terrassement, 1 million de m3 de béton et 200 000 t de ferraillage pour 70 bâtiments.

 

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !