A Marseille, la lutte conte l’insécurité sur les chantiers devient une priorité

La mise en place d’un lot «sûreté» sur des chantiers Anru devrait voir le jour à titre expérimental en 2016 et prolonger la lutte contre la délinquance sur les chantiers engagés par les pouvoirs publics et la profession.

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La profession et les représentants de la police et de la justice réunis lors d’une table ronde le 22 octobre à Marseille.

Chantage à l’embauche, rackets, vols, intimidations, destruction de matériels, entreprises qui refusent de répondre aux appels d’offres dans les quartiers sensibles… A Marseille et dans plusieurs autres villes des Bouches-du-Rhône, l’insécurité sur les chantiers a pris des proportions inquiétantes: selon la Fédération du BTP 13, le préjudice économique pour le secteur a atteint 50 millions d’euros en 2014, touchant tous les chantiers et pouvant représenter dans les cas les plus extrêmes jusqu’à 5% de leur montant.

Mais là comme dans d’autres domaines, attention aux amalgames. «Le phénomène n’est pas spécifiquement marseillais et on l’observe un peu partout sur le territoire et dans les grandes zones urbaines» précise André Ribes, vice-procureur près le TGI de Marseille. Pour ne pas que soit collée à la cité phocéenne l’étiquette peu envieuse de «capitale des vols et de l’insécurité dans le BTP» et décourager investisseurs et entreprises, la profession et les pouvoirs publics se sont emparés depuis plusieurs années du dossier. Il y a eu d’abord à Marseille puis dans les Bouches-du-Rhône le dispositif «Ras le Vol» initié en 2004 -il a ensuite été étendu au plan national- puis musclé en 2013. Il a permis, entre autre, un renforcement de la prévention, la mise en place de correspondants «sûreté» au sein de la Fédération et de référents «sûreté» au sein des services de police et de gendarmerie pour accompagner les entreprises, les informer, permettre le dépôt de préplainte en ligne, etc.

Peur de porter plainte

En janvier dernier, Brice Robin, procureur de Marseille, a mis en place un Groupe local de traitement de la délinquance (GLTD) avec deux personnes dédiées au parquet et une dizaine d’enquêteurs au sein d’un Groupement de la voie publique (GVP), le bras armé policier de ce GLTD. Le dispositif a été créé dans le cadre de la montée en puissance des chantiers Anru et du projet de la L2 dans les quartiers nord, sur lesquels planaient des forte menaces pour les entreprises. «Le GLTD, c’est sur un territoire ciblé, une réponse adéquate police-justice pour s’attaquer à une délinquance particulière» rappelle Pierre-Marie Bourniquel, directeur départemental de la sécurité publique.

Ce GLTD fondé sur des relations encore plus étroites entre la police et la profession (mise à disposition d’informations sur le quartier et son environnement, numéros de téléphone dédiés au sein des services de police pour les entreprises, intervention rapide, etc.) fonctionne: des plaintes ont été déposées, des auteurs de faits interpellés et bientôt jugés, avec des condamnations exemplaires attendues pour envoyer un message en direction de cette délinquance. «Nous enregistrons actuellement 20 à 30 plaintes par an, six enquêtes ont été menées à bien et 5 dossiers avec leurs auteurs vont être jugés» précise Pierre Marie Bourniquel.

«Le principal problème auquel nous sommes confrontés, c’est la crainte des victimes de déposer plainte par peur d’éventuelles représailles. Nous nous adaptons à cette situation en recueillant simplement des témoignages qui sont suffisants pour permettre à la police et à la justice d’agir. Mais dans ce type d’affaire, l’important est que nous intervenions rapidement» ajoute Jean-Baptiste Corti, commissaire, adjoint au chef de la division de sécurité de proximité Nord.

Le lot «sûreté» arrive

La prochaine étape dans ce renforcement des dispositifs contre l’insécurité dans le BTP va être la mise en place à titre expérimental sur des chantiers Anru à Marseille d’un lot «sûreté», réclamé depuis longtemps par la profession. «C’est une réponse globale qui est une avancée dans la prévention des vols et de la délinquance. Car il est anormal aujourd’hui que des entreprises refusent de répondre à des appels d’offres ou que des salariés soient contraints de démissionner à cause de l’insécurité» note Philippe Deveau, président du BTP 13. A Marseille, ce lot «sûreté» va être testé sur les chantiers de réhabilitation de deux cités: La Castellane et Airbel. Le dispositif sera pris en charge par l’Etat et une mise au point est en cours entre la préfecture, l’Anru, Marseille Rénovation Urbaine et les ministères concernés. «Nous devrions être prêts dès 2016. Le dossier est complexe car les lignes de financement sont multiples. Actuellement une analyse des risques a été demandée pour adapter le dispositif. Mais il sera bien à la charge du maître d’ouvrage et non des entreprises» confirme le préfet de police Laurent Nuñez.

Cette question du financement de ce lot «sûreté» inquiète et divise les professionnels. Car si demain il est généralisé, qui devra le prendre en charge ? Devra-t-il reposer exclusivement sur le maître d’ouvrage ou être partagé entre maître d’ouvrage et entreprises ? Pour Bernard Oliver, président de l’Association régionale HLM Paca Corse représentant les bailleurs sociaux, «les maîtres d’ouvrage publics ne peuvent pas être comptables des risques pesant sur les entreprises et payer deux fois, car elles les répercutent déjà dans leurs coûts». Il faudra donc en faire appel au sens des responsabilités des uns et des autres. «L’objectif n’est pas de renchérir les coûts de construction mais d’avancer collectivement dans des situations difficiles et en gérant différemment les mesures et les dépenses de sécurité d’un chantier» rétorque Philippe Deveau.

Si gardiennage, vidéo-surveillance, clôture des chantiers peuvent protéger les entreprises et les matériels, comment s’opposer aussi de tentatives de rackets et autre pressions à l’embauche ? «Nous ne pouvons pas construire dans un quartier sans se préoccuper de son environnement, des populations qui l’habitent. Nous devons être à la fois volontariste et très rigoureux sur l’insertion» juge Jean Luc Aubert, directeur régional d’Eiffage Construction Provence.

A Picon-Busserine, un chantier sous tension et du personnel qui démissionne

La construction de 35 logements à Picon-Busserine (14e arrondissement) pour le bailleur social Logirem a été une épreuve pour le directeur de projet de Campenon Bernard Provence. Il raconte: «En juillet et septembre 2014, des menaces et des violences nous ont contraints à arrêter le chantier. En janvier 2015, nouvelle agression et les armoires électriques ont été volées. En mars 2015, un logement a été détruit puis un bâtiment saccagé. Un conducteur de travaux a démissionné. A la suite, un gardien a été agressé et une pelle mécanique volée. Des personnels ont mis en œuvre leur droit de retrait. Le chef de chantier a démissionné.» Pour l’entreprise, ce chantier s’est soldé par un préjudice de 90 000 euros, un retard dans la livraison, des équipes qu’il a fallu reconstituer… Dans cette affaire, des plaintes ont été déposées et les auteurs des faits interpellés. Ils seront jugés en novembre prochain.

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