Les territoires insulaires d’outre-mer sont particulièrement vulnérables face aux aléas climatiques. « Il y a quelques jours encore, nous faisions face à des pluies torrentielles », raconte Minarii Galenon Taupua, la ministre des Solidarités et du Logement de Polynésie. Elle s’est exprimée lors de la matinée de restitution des Assises de la construction durable en outre-mer, initiée dans le cadre du programme Ombree (1), qui s’est déroulée à Paris ce mardi 20 février 2024.
En amont, entre septembre et décembre 2023, près de 290 contributeurs locaux se sont mobilisés au travers d’ateliers afin de partager leurs connaissances et réfléchir à des propositions coordonnées. L’objectif de cette mobilisation sans précédent : établir des référentiels techniques adaptés aux spécificités des territoires d’outre-mer, afin de massifier des réalisations et réhabilitations de logements efficients.
Des bâtiments résilients et économes en énergie en outre-mer
Le programme inter outre-mer pour des bâtiments résilients et économes en énergie (Ombree) a été lancé en 2020 par l’État. Son consortium est piloté par l’Agence qualité construction (AQC). Il fait partie des huit projets du Programme de la filière pour les économies d’énergie dans le logement (Profeel), financé par le dispositif CEE. Il a pour objectif de participer à la réduction des consommations d’énergie dans les bâtiments ultramarins via des actions de sensibilisation, d’information et de formation des professionnels de la construction, en s’appuyant sur les acteurs locaux, et vise à faire émerger des solutions concrètes.
Caractériser le climat
Les premières propositions portent sur la nécessité de reconnaître les spécificités insulaires. Pour cela, l’enjeu consiste tout d’abord à prendre en compte les études scientifiques menées localement dans l’évolution des normes. « Ces contributions ont déjà eu un impact sur des procédés aujourd’hui applicables. Elles ont notamment abouti à l’adaptation de la réglementation thermique pour les outres-mers où à la production d’autres référentiels comme « Perene », pour la conception thermique des bâtiments à La Réunion », note Frédéric Chanfin, directeur du Centre d’innovation et de recherche du bâti tropical (Cirbat).
« Pour autant, la caractérisation des contraintes climatiques et l’étude des comportements mécaniques des matériaux restent, pour le moment, marginales », déplore-t-il. Tant pour les produits que pour leur mise en œuvre. Les documents techniques unifiés (DTU) pensés pour l’Hexagone ne sont aujourd’hui que partiellement transposables. Par exemple, l’avis technique d’un bardage rapporté ne pourra être utilisé outre-mer, moyennant une Atex pour qualifier sa résistance à l’arrachement face à des vents plus forts. « Dès lors que la norme est absente, cela implique en tant qu’assureur de se réapproprier ces enjeux pour répondre à l’assurabilité de l’ouvrage au regard de la garantie décennale », précise Hervé Leblanc, directeur général adjoint SMABTP.
Interopérabilité géographique des normes
A Saint-Pierre-et-Miquelon, nous ne pouvons pas utiliser les matériaux du Canada parce que les règles canadiennes diffèrent des françaises et européennes.
— Bernard Briand
Une seconde proposition forte vise à ce que les réglementations existantes composent avec celles issues de zones géographiques proches. « Bien que Saint-Pierre-et-Miquelon se trouve être voisine du Canada, nous ne pouvons pas utiliser leur matériau parce que les règles canadiennes diffèrent des règlementations françaises et européennes. Ce frein législatif nous impose d’importer notamment le bois outre-Atlantique, ce qui implique un surcoût économique comme écologique insoutenable », déplore Bernard Briand, président de la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui appelle à l’interopérabilité des normes et des référentiels.
Des actions inspirantes sont mises en place sur certains territoires, comme en Nouvelle-Calédonie où s’est tenue fin mai 2023 la semaine internationale de la normalisation qui a rassemblé les représentants de 25 pays de la zone Pacifique. Les collaborations du Bureau de normalisation (BNTEC) avec les fédérations du bâtiment à La Réunion et en Nouvelle-Calédonie sont également à souligner.

De gauche à droite, étaient présents à la restitution des Assises de la construction durable en outre-mer : Minarii Galenon Taupua, Ministre des Solidarités et du Logement de Polynésie. Guillaume Gontard, Sénateur de l’Isère et co-rapporteur du dernier rapport sénatorial Outre-Mer sur le logement. Vaimu'a Muliava, Ministre en charge de la Construction, Urbanisme, Habitat du gouvernement de la Nouvelle Calédonie. Hervé Mariton, président de la FEDOM et ancien ministre de l’Outre-Mer. Nadia Bouyer, Présidente du programme PROFEEL et directrice générale d’Action Logement. Hervé Leblanc, directeur général adjoint SMABTP. Philippe Estingoy, directeur général de l’AQC.
De son côté, Jean-Yves Bonnaire, animateur du projet Batisolid - qui vise à adapter les normes techniques françaises pour les Antilles et qui est porté par les Cellules économiques régionales de la construction (CERC) de la Guadeloupe et de la Martinique - , rappelle que « la mesure 10 issue des travaux du Comité interministériel de l’outre-mer (CIOM) ambitionne de faciliter les importations régionales de matériaux de construction grâce à un marquage « RUP » en substitution du marquage « CE ». Une victoire attendue.
Le local en peine
A chaque fois que nous avons cherché à transposer le mode constructif métropolitain à nos territoires, nous avons obtenu des conceptions aberrantes
— Nejia Ferjani
Au-delà de ce qui est transposable et importable, d’importantes réflexions sont menées autour des matériaux locaux, biosourcés et géosourcés, et de l’architecture vernaculaire qu’il faut valoriser et protéger. Leur intégration dans la construction peine à être référencée. Or, « à chaque fois que nous avons cherché à transposer la réglementation ou le mode constructif métropolitain à nos territoires, nous avons obtenu des conceptions aberrantes, totalement inadaptées au mode de vie, aux contraintes climatiques et énergétiques de territoires insulaires », déplore Nejia Ferjani, directrice du bureau d'étude en construction durable réunionnais Imageen.
Un constat amer, qui l’a amené à piloter le projet Coco, des réalisations d’habitat en chaux et fibre de coco locale. D’autres actions isolées existent déjà. « Nous travaillons au déploiement de matériaux comme le bambou, la brique de terre et le béton de chanvre avec d’autres acteurs ultra-marins », indique de son côté Djamil Abdelaziz, directeur du référentiel de la construction de la Nouvelle-Calédonie au gouvernement local.
Des marchés de taille restreinte
Mais ces ressources doivent composer avec la petite taille des marchés, qui rendent les innovations techniques et l’adaptation normative difficiles à rentabiliser pour un industriel par exemple. « Sourcer des matériaux de construction dans les bassins géographiques des territoires ultramarins aurait assurément un impact bénéfique sur le coût de la construction dans ces différents territoires », avance Jean-Yves Bonnaire.
À ce titre, « la mise en place de cellule locale de validation de conformité qui doit se faire durant les prochains mois, est essentielle pour permettre les validations techniques dont les assureurs ont besoin, à des coûts les plus maitrisés possibles », projette Hervé Mariton, président de la Fédération des entreprises de l’outre-mer (Fedom) et ancien ministre de l’outre-mer.
L’outre-mer comme laboratoire d’innovation
Au travers de chacune de ces propositions, « l’habitat ultra marin doit devenir un modèle d’adaptation face à un changement climatique critique, et un laboratoire d’innovation qui doit servir à l’ensemble », espère Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère et co-auteur du rapport Reconstruire la politique du logement en outre-mer paru en juillet 2021.
Ces problématiques et propositions pour mettre en œuvre un système de production de référentiels ultramarins communs et solidaires seront réunies dans un livre blanc dont la publication est attendue pour octobre prochain.
Le Plan d’investissement volontaire outre-mer d’Action Logement
Action Logement poursuit son Plan d’investissement volontaire Outre-Mer de 2023 à 2027. Initié en 2019, ce programme vise à apporter des financements important pour la rénovation et la construction neuve outre-mer. Il a déjà permis de soutenir 20 000 constructions neuves et 12 000 rénovations avec plus d’un milliard d’euros investit dans ces territoires. « Il soutient des démarches d’innovation, avec développement d’Atex sur certains matériaux pour les rendre assurable, des travaux sur des bâtiments à énergie positive ou des travaux liés à la gestion de l'eau, ou apporte un soutien financier aux filières locales », complète Nadia Bouyer, présidente du programme Profeel et directrice générale d’Action Logement.