2. BEA, AOT, Vefa : des montages réellement complexes ?

Construction -

Réservé aux abonnés

Trois montages sont principalement utilisés par les maîtres d'ouvrage publics et leurs intervenants. Qu'il s'agisse d'un bail emphytéotique administratif (BEA), d'une autorisation d'occupation temporaire (AOT) ou d'une vente en l'état futur d'achèvement (Vefa), des conditions et un régime spécifique s'appliquent dès lors que ces outils sont utilisés dans le cadre de la domanialité publique.

Le bail emphytéotique administratif

L'introduction, en droit français, du bail emphytéotique administratif repose sur la loi du 5 janvier 1988, n° 88-13. Les dispositions définissant le BEA sont actuellement codifiées aux articles L3111-2 et suivants du code général des collectivités territoriales (CGCT).

L'objet du BEA est de permettre aux collectivités de confier à un tiers la réalisation et l'exploitation d'installations immobilières, à charge pour la collectivité, sur l'ensemble de la durée du contrat, de verser un « prix » incluant notamment les amortissements financiers de l'ouvrage. Les dispositions concernant l'exploitation étant recueillies dans une convention d'exploitation non détachable, il s'agit donc d'un montage essentiellement financier.

Le BEA doit être rapproché du bail à construction puisqu'il permet d'édifier un ouvrage en octroyant au partenaire privé un droit réel susceptible d'hypothèque ou de saisie. Ce droit réel permet au partenaire privé d'obtenir un financement bancaire en offrant des garanties suffisantes.

Champ d'application

En vertu des articles L1311-2et L1311-4 du CGCT, seuls les collectivités territoriales, leurs établissements publics et leurs groupements peuvent conclure un BEA. En revanche, le preneur peut être indifféremment une personne privée ou une personne publique. Le bail doit constituer une véritable emphytéose (bail immobilier de très longue durée), conformément aux conditions exigées par la jurisprudence de la Cour de cassation. La durée doit être comprise entre plus de 18 ans et 99 ans, un droit réel immobilier doit être constitué, une redevance doit être versée et le preneur a l'obligation de mettre en valeur le fonds objet du bail. Un BEA ne peut être établi que pour réaliser une opération d'intérêt général relevant de la compétence du bailleur, de l'accomplissement d'une mission de service public ou de l'affectation à une association culturelle d'un édifice du culte ouvert au public. Il ne peut être conclu que sur une dépendance du domaine public et hors du champ d'application de la contravention de voirie ; les voies publiques et ferrées ainsi que le domaine public portuaire ne pourront faire l'objet d'un BEA. Ainsi, un terrain entouré de voies affectées à la circulation publique et utilisé essentiellement et de façon permanente comme parc de stationnement n'a pu faire l'objet d'un BEA car il avait le caractère de dépendance de la voirie routière (Conseil d'État, 18 octobre 1995, Commune de Brive-la-Gaillarde, n° 116316).

Régime

Le BEA est un contrat administratif par détermination de la loi. Tous les litiges relatifs au bail seront donc soumis au juge administratif. Si le versement d'une redevance modeste par le preneur est l'une des conditions du bail emphytéotique tel qu'il est conçu à l'origine dans le code rural, il semble admis qu'un BEA puisse fixer une redevance importante dès lors que la personne publique verse un loyer conséquent pour contrepartie de la mise à disposition du bien construit par l'emphytéote (c'est-à-dire la personne qui jouit d'un fonds par bail emphytéotique). En raison du caractère d'intérêt général ou de service public qui motive l'opération, il est également fréquent de constater la présence de clauses de résiliation au profit de la personne publique. Cette faculté, légale, autorise la personne publique à stipuler la possibilité d'un retrait de l'autorisation avant terme, soit pour inexécution des clauses et conditions de ladite autorisation, soit en toute autre circonstance sous réserve d'une juste indemnisation du preneur. Dans ce cas, les créanciers du preneur auront tout intérêt à exiger une disposition stipulant que leurs droits seront reportés sur l'indemnité que le preneur percevra en cas de résiliation anticipée. Enfin - c'est là son principal intérêt -, le BEA est constitutif de droits réels au profit du preneur. Ce droit réel est bien entendu cessible, mais après agrément de la personne publique. Le caractère cessible du droit réel est indispensable au montage financier en ce qu'il permet pour l'emphytéote de financer la réalisation de l'équipement en ayant recours au crédit-bail. De la même manière, le droit réel conféré au preneur et les biens édifiés pour l'intérêt propre de l'occupant sont également susceptibles d'hypothèques pour garantir les emprunts contractés par le preneur, en vue de financer la réalisation des ouvrages. Enfin, précisons qu'en cas d'appel en garantie par un créancier hypothécaire, la situation conduit nécessairement à une reprise en régie du bail et de l'activité support ou à sa cession à une personne présentant des garanties de capacité suffisantes pour assurer la poursuite de l'activité.

Modalités de passation

Actuellement, le droit interne ne prévoit pas d'obligation particulière de publicité ou de mise en concurrence préalable pour le choix, par la collectivité territoriale, de son cocontractant, dans le cadre d'un BEA.

Lors de la conclusion d'un tel contrat, la collectivité territoriale n'assure pas la maîtrise d'ouvrage des projets de construction et n'est donc soumise ni aux règles du code des marchés publics ni à celles prévues par la loi du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports à la maîtrise d'œuvre privée, n° 85-704.

En revanche, en droit communautaire, l'article 2b de la directive 2004/18/CE du 31 mars 2004 indique que les marchés publics de travaux « sont des marchés publics ayant pour objet soit l'exécution, soit conjointement la conception et l'exécution de travaux, soit la réalisation, par quelque moyen que ce soit, d'un ouvrage répondant aux besoins précisés par le pouvoir adjudicateur ». Cette directive permet donc d'inclure dans la définition des marchés de travaux publics ceux qui sont réalisés sous maîtrise d'ouvrage publique ou privée, dès lors qu'ils répondent aux besoins spécifiés pour une collectivité publique.

En application de la directive précitée, les BEA sont donc soumis à des règles de publicité et de mise en concurrence, dès lors que leur montant dépasse le seuil communautaire de 5 150 000 euros HT. Pour les BEA d'un montant inférieur à ce seuil, il est vivement recommandé de procéder à une mise en concurrence organisée par la personne publique, dans des formes qu'elle pourra élaborer avec une certaine souplesse.

L'Autorisation d'occupation temporaire avec convention de mise à disposition des biens

Les AOT du domaine public constitutives de droits réels peuvent être délivrées par une collectivité territoriale, un de ses établissements publics ou un de ses groupements. L'AOT aura pour support les dépendances du domaine public. Le montage consiste à attribuer une AOT à un opérateur privé, à charge pour lui de réaliser des équipements qui seront, une fois réalisés, mis à la disposition de l'État ou d'une collectivité locale.

Codifié aux articles L1311-5 à L1311-8 du CGCT, le champ d'application d'une AOT est limité à deux cas : soit il s'agit d'accomplir pour le compte de la collectivité une mission de service public, soit il s'agit de réaliser une opération d'intérêt général relevant de la compétence de ces personnes publiques. Le titulaire d'une AOT dispose, sauf mentions contraires, d'un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu'il réalise pour l'exercice d'une activité autorisée par ce titre.

L'intérêt de l'AOT est également financier. La personne publique peut envisager de faire construire pour ensuite les louer, avec option d'achat, des immeubles de bureaux. Les droits réels conférés à l'occupant peuvent même s'accompagner d'une description détaillée des éléments de programme correspondant aux conditions d'une utilisation adéquate par l'administration gestionnaire du domaine. À l'issue de l'occupation, les biens qui ont été mis à disposition de la personne publique deviennent sa propriété.

L'AOT doit comporter une durée d'autorisation qui ne peut dépasser 70 ans. Le droit réel conféré à l'occupant lui donne les prérogatives et obligations du propriétaire. Les constructions qui sont édifiées sur la parcelle objet de l'AOT doivent être détruites par l'occupant au terme de l'autorisation, sauf prescription contraire du titre obtenu. Les droits et ouvrages construits ne peuvent être cédés ou transmis à une tierce personne sans l'agrément de la personne publique et sans qu'il soit démontré que l'utilisation de l'AOT est compatible avec le domaine public correspondant. Les droits et ouvrages peuvent également faire l'objet d'une hypothèque pour garantir les emprunts contractés par le titulaire de l'autorisation en vue de financer la réalisation de l'ouvrage. En cas de retrait de l'AOT, les droits des créanciers régulièrement inscrits à la date du retrait anticipé sont reportés sur cette indemnité.

La vente en l'état futur d'achèvement

La Vefa est une formule contractuelle issue des dispositions du code civil. L'article 1601-3 dudit code dispose ainsi que : « La vente en l'état futur d'achèvement est le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l'acquéreur ses droits sur le sol ainsi que la propriété des constructions existantes. Les ouvrages à venir deviennent la propriété de l'acquéreur au fur et à mesure de leur exécution ; l'acquéreur est tenu d'en payer le prix à mesure de l'avancement des travaux. Le vendeur conserve les pouvoirs de maître de l'ouvrage jusqu'à la réception des travaux. »

La Vefa a pour principal avantage, lorsqu'elle est utilisée par une administration, de transférer la maîtrise d'ouvrage sur une autre personne jusqu'à la réception de l'ouvrage. Elle permet d'éviter les procédures spécifiques prévues par la loi MOP. L'encadrement de l'utilisation de la Vefa par les collectivités publiques est donc assez strict. Par un arrêt du 8 février 1991 (Conseil d'État, Région Midi-Pyrénées, n° 57679) confirmé par un avis du 31 janvier 1995, n° 356960, le Conseil d'État a considéré qu'une personne publique pouvait avoir recours à la formule définie par les articles L1601-1et L1601-3 du code civil, de la vente en l'état futur d'achèvement, pour la construction d'un ouvrage sur un terrain ne lui appartenant pas. Toutefois, certaines conditions doivent être réunies. Le détournement de procédure est manifeste « lorsque, tout à la fois, l'objet de l'opération est la construction même d'un immeuble pour le compte de la personne publique en cause, l'immeuble est entièrement destiné à devenir sa propriété et qu'il a enfin été conçu en fonction des besoins propres de la personne publique » (Conseil d'État, 8 février 1991, Région Midi-Pyrénées, n° 57679).

Dans le cadre de la réalisation d'un équipement public, le recours à la Vefa n'est possible que si l'opération porte sur « une partie » de l'ouvrage. In fine, il est admis que l'administration peut recourir à la Vefa et se faire construire un immeuble sans être elle-même maître d'ouvrage dès lors que la vente ne porte que sur une partie d'un immeuble destiné principalement à d'autres propriétaires et qui, tout au moins pour cette partie, n'a pas été conçue en fonction de ses besoins propres. C'est la solution retenue par la cour administrative de Bordeaux dans un arrêt du 19 mars 2002 (CAA Bordeaux, Communauté urbaine de Bordeaux, n° 97BX01384). En l'espèce, la juridiction administrative d'appel a admis le recours à la vente en l'état futur d'achèvement pour la réalisation, par la communauté urbaine de Bordeaux, d'un parc public de stationnement. La cour indique que le contrat de Vefa ne constitue pas un marché de travaux irrégulièrement conclu dès lors que le contrat n'a pas pour objet la construction d'un immeuble que la communauté urbaine aurait conçu en fonction de ses besoins propres et selon les caractéristiques qu'elle aurait elle-même définies, et que la vente ne concernait qu'une partie d'un ensemble immobilier sur l'édification duquel la communauté urbaine n'exerçait aucun contrôle ni surveillance particulière. En l'état actuel du droit, rien ne s'oppose à ce qu'une collectivité cède un bien en utilisant le procédé de la Vefa (réponse du ministère de l'intérieur JOAN du 03/12/2001 à la question de Sylvia Bassot n° 61146, JOAN du 21/05/2001). La Vefa peut également, sous réserve du respect des dispositions relatives à l'aide à l'immobilier d'entreprise, être un moyen de réaliser des équipements dans le cadre d'une opération de développement économique.

Abonnés
Baromètre de la construction
Retrouvez au même endroit tous les chiffres pour appréhender le marché de la construction d’aujourd'hui
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires