Quand les sénateurs en sont encore à remettre en question les modalités d’application de l’objectif de zéro artificialisation nette et de la loi Climat et résilience de 2021, la mission de l’Assemblée nationale sur l’articulation des politiques publiques ayant un impact sur la lutte contre l’artificialisation des sols travaille, elle, à trouver des outils de mise en œuvre sur les territoires, et surtout un modèle économique.
Partant pourtant du même constat que les sénateurs – qu’en l’état celui-ci est difficilement applicable –, les députées Sandrine Le Feur (Renaissance, Finistère), présidente de la commission du Développement durable, et Constance de Pélichy (Liot, Loiret) tracent un chemin différent, préférant « accompagner les élus locaux (...) pour leur permettre d’être à nouveau maîtres de l’aménagement sur leur territoire » quand la proposition de loi Trace du Sénat les dépossède à nouveau et « dénature le ZAN », explique la seconde à l’occasion de la présentation de leur rapport, mercredi 9 avril 2025. Soit un peu moins d’un mois après le vote du texte du Sénat.
Un ZAN territorialisé
Ce rapport qui porte 30 propositions, fruits de cinq mois d’échanges avec les élus locaux métropolitains et ultramarins, les acteurs économiques et les administrations (DHUP, DGCL et direction de la législation fiscale), se veut ainsi « une feuille de route pour rendre le ZAN opérationnel et territorialisé », explique Constance de Pélichy. Les deux rapporteures y proposent notamment une « réforme ambitieuse de la fiscalité locale pour mieux inciter à la sobriété foncière » l’ensemble des acteurs concernés et prendre en compte, enfin, l’enjeu de la lutte contre l’artificialisation.
« Ce travail aurait dû être fait depuis 2021 : la loi Climat et résilience demande, dans les six mois, un rapport au gouvernement sur ce sujet », tance la députée Liot. Leur rapport arrive donc avant celui du Sénat qui a lancé il y a plus d’un an une mission sur le modèle économique du ZAN et avant celui du gouvernement qui a annoncé la sienne à l’occasion des vœux d’Agnès Pannier Runacher, en janvier 2025.
Les piscines pourraient trinquer
En matière de fiscalité, les deux députées proposent de mettre fin à des exonérations fiscales artificialisantes en « recentr[ant] les exonérations de taxe foncière sur les propriétés bâties majoritairement sur les opérations de construction sur des zones déjà artificialisées ». En conséquence, elles suggèrent de supprimer, sur vote des collectivités, l’exonération de taxe foncière pour les constructions nouvelles ou en cas d’affectation de terrains à des usages commerciaux ou industriels ainsi que les exonérations de taxe d’aménagement applicables dans différents cas (pour les entrepôts, les hangars, les stationnements couverts, pour les premiers mètres carrés bâtis des résidences principales, les constructions nouvelles ou pour les constructions et aménagements (à la charge de l’aménageur) destinés aux services publics réalisés dans les périmètres des OIN, des ZAC ou de PUP).
Elles demandent également d’augmenter la taxe d’aménagement applicable aux aménagements considérés comme « consommateurs d’espace » comme les piscines, les stationnements et les terrasses.
Toujours sur la taxe d’aménagement, la mission entend « fortement » renforcer le pouvoir de variation de taux dont disposent les collectivités (en passant le taux maximal de la part communale ou intercommunale de droit commun de 5 à 10%) et en créant un taux spécifique de lutte contre l’artificialisation des sols pouvant aller jusqu’à 50% dans les secteurs ouverts à l’urbanisation sur des Enaf.
Tout en proposant « par cohérence » « que les recettes issues de la taxe d’aménagement puissent venir utilement financer les actions de lutte contre l’artificialisation des sols (lutte contre l’étalement urbain, renouvellement urbain, optimisation de la densité, qualité urbaine, préservation et restauration de la biodiversité, protection des sols, renaturation) ».
Au-delà de la taxe d’aménagement et de la TFPB, les deux rapporteures balaient l’ensemble des taxes immobilières en proposant des évolutions : la taxe sur les friches commerciales (à généraliser, « sauf opposition de la commune », avec une augmentation du taux maximal applicable et la création d’une taxe similaire sur les friches industrielles), la taxe sur les surfaces commerciales (à étendre aux entrepôts logistiques et aux aires de stationnement en renforçant la modulation possible de son taux), la taxe locale sur la cession de terrains devenus constructibles et la taxe nationale sur la cession à titre onéreux de terrains nus rendus constructibles (à fusionner en relevant le taux à 60% et en supprimant le critère de durée de la détention), la taxe foncière sur les propriétés non bâties (en exonérant les projets favorables à la biodiversité comme les baux ruraux à clauses environnementales ou comportant des obligations réelles environnementales et les fonciers situés sur des zones humides ou sur des Enaf).
Sur la taxation des logements vacants, elles proposent de fusionner la taxe d’habitation sur les logements vacants et la taxe sur les logements vacants pour créer une taxe locale facultative. En cohérence avec la taxe d’habitation sur les résidences secondaires, les deux rapporteures suggèrent une majoration pouvant aller de 5% à 60% (comme la THRS aujourd’hui) « pour éviter les phénomènes à l’œuvre d’optimisation fiscale entre ces deux taxes » ainsi qu’une majoration progressive spécifique ZAN sur la THRS et la THLV, ciblant particulièrement les multipropriétaires.
Elles préconisent également « la mise en place d’un dispositif fiscal incitatif sous forme de crédit d’impôt de 25% pour encourager les particuliers à engager des travaux d’amélioration sur des logements vacants depuis au moins cinq ans, afin de les réintroduire rapidement sur le marché locatif ou en résidence principale ».
Bonification des projets sobres en foncier
Outre ces leviers fiscaux, ce sont aussi les dotations de l’État (DGF, DETR, Dsil…) qui doivent intégrer cette notion de sobriété foncière et « supprimer les critères de répartition qui ne sont pas compatibles » avec celui-ci. Sandrine Le Feur et Constance de Pélichy plaident également pour la création d’« une dotation spécifique au sein de la DGF, récompensant les communes exemplaires en matière de préservation des Enaf » et pour « une bonification explicite des dotations d’investissement pour les projets sobres en foncier ».
Il faut également, pour elles, renforcer les dispositifs existants comme le fonds vert et les outils d’ingénierie à destination des collectivités comme les EPF à mobiliser davantage en leur « assur[ant] une meilleure stabilité financière par un accroissement pérenne des taxes affectées proposées par ce rapport » et en élargissant leur couverture à l’ensemble du territoire national. Un serpent de mer.
Les deux rapporteures estiment également « qu’il est urgent de changer radicalement d’échelle » sur les expérimentations « marginales et limitées » (expérimentation Objectif ZAN de l’Ademe, Territoires pilotes de sobriété foncière et 55 sites clés en main France 2030 de l’ANCT, programme Démonstrateurs de la ville durable de la Banque des territoires et l’Anru…) et « souhaitent la mise en place d’un parcours destiné aux collectivités souhaitant s’engager vers une politique de sobriété foncière » dès 2025 dans plusieurs régions pilotes avant d’être élargi à l’échelle nationale en 2026.
Cet accompagnement en ingénierie pourrait être piloté par l’Ademe et mobiliser des aides financières pour des études et des modules d’accompagnement au changement, actionnables en fonction de la maturité du porteur de projet, imaginent-elles, avec les moyens constants du fonds vert. Elles suggèrent également, sur le modèle des programmes Action cœur de ville, Petites Villes de demain… de « financer spécifiquement la mobilisation d’un chef de projet dédié au sein des intercommunalités ou structures supra-communautaires rurales comme les pôles d’équilibre territorial et rural » pour mieux travailler cette question de la sobriété foncière.
« Assouplir certaines règles d’urbanisme »
Autre levier opérationnel que les députées entendent mobiliser : le droit de l’urbanisme et notamment celui de sursis à statuer sur la demande d’autorisation d’urbanisme, qui doit être généralisé et prolongé « pour sécuriser la réalisation des objectifs de sobriété foncière fixés par les documents en cours de révision », et le droit de préemption qui doit être complété par un nouveau droit spécifique aux Enaf « afin de protéger ces terrains de la spéculation foncière ».
« Il est aussi crucial d’assouplir certaines règles d’urbanisme afin de favoriser la densification au détriment de l’étalement urbain », écrivent-elles en avançant plusieurs pistes, comme l’instauration d’une densité minimale (plutôt que maximale) dans les documents d’urbanisme et l’élargissement des dérogations applicables (en termes de hauteur, d’emprise au sol, de gabarit…) pour les transformations de friches ou dans les communes situées en zone France ruralités (ex-ZRR).
Pour faciliter le recyclage de friches, les rapporteures proposent de renforcer les obligations légales de dépollution des industriels « en facilitant l’extension de [leur] responsabilité à l’ensemble du groupe d’entreprises concerné, et non plus uniquement à l’entité directement propriétaire ou exploitante du site pollué », et de simplifier les conditions de la mise en jeu de cette responsabilité environnementale, comme le propose le gouvernement dans un amendement adopté au Sénat, lors de l’examen du projet de loi Simplification de la vie économique.
La question de la sortie de l’indivision successorale et celle des biens abandonnés ou sans maître « doi[vent] être exploité[es] » également en réduisant à dix ans (contre trente actuellement) le délai pour déclarer un bien issu d’une succession sans maître, par exemple.
Divergences sur la première échéance intermédiaire
Si ce n’est pas l’essentiel du rapport, Sandrine Le Feur et Constance de Pélichy proposent plusieurs « assouplissements » du dispositif ZAN mais en laissant apparaître leurs divergences : quand Sandrine Le Feur « estime que l’édifice législatif et réglementaire doit être stabilisé et préconise de ne pas modifier une troisième fois les échéances de la loi Climat et résilience de 2021 » pour ne pas artificialiser davantage, Constance de Pélichy recommande, elle, « un report des échéances intermédiaires avec un objectif de réduction de moitié de la consommation d’Enaf décalé de 2031 à 2034 » comme adopté par le Sénat via la proposition de loi Trace.
Elles s’entendent, en revanche, sur une prolongation jusqu’en 2044 de la comptabilisation de l’artificialisation à travers les Enaf et proposent lacréation d’une seconde tranche de dix ans (2031 ou 2034 à 2041 ou 2043) avec un nouvel objectif de réduction de moitié de la consommation. « Il s’agit de donner plus de temps aux élus locaux pour s’approprier la nouvelle méthode de comptabilisation 'au réel' de l’artificialisation des sols, qui reste à ce jour la méthode la plus précise et équitable pour la mise en œuvre des objectifs de la loi Climat et résilience », arguent les deux rapporteures qui demandent également une adaptation spécifique du ZAN pour la Guyane au vu des enjeux et des contraintes locales.
Elles ne manquent pas de rappeler que « les multiples revirements législatifs autour du ZAN, à l’initiative principalement du Sénat, conduisent les régions et les établissements portant les Scot, dont le travail d’élaboration et de concertation est avancé, à remettre en cause régulièrement certaines orientations définies ». Tout en soulignant que les deux tiers des régions ont un Sraddet « ZAN compatible » définitivement adopté ou en passe de l’être, les autres régions s’exposant « à une application directe et uniforme des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols aux différents Scot et PLUI, au détriment des besoins locaux observés dans les territoires concernés ».
« Au contraire des dispositions examinées au Sénat », elles proposent de maintenir la mutualisation au niveau national des Pene pour ne pas imputer « le surcroît de consommation » aux collectivités et de ne pas multiplier les exonérations nouvelles. Elles voient également « avec beaucoup de réserve » la proposition du gouvernement de créer un nouveau dispositif de réserve nationale à hauteur de 10 000 hectares pour les projets industriels, jugeant l’enveloppe des Pene suffisante.
Un travail avec Bercy « courant mai »
Ces travaux devraient aboutir au dépôt d’une proposition de loi « dans les semaines qui viennent » sur le volet ingénierie et modalités d’application du ZAN et c’est bien sur leur texte, plutôt que sur la proposition de loi Trace, que les deux députées espèrent que le gouvernement s’appuiera pour apporter les évolutions au dispositif ZAN. Les premiers contacts avec le cabinet de François Rebsamen semblent positifs, rapportent-elles, tout en précisant qu’elles n’ont pas de « visibilité claire » sur ce que voudrait le gouvernement pour le ZAN à l’Assemblée. Elles souhaitent également, dans la foulée du dépôt de la proposition de loi, demander l’avis du Conseil d’État, et affirment avoir des demandes de plusieurs groupes pour s’associer au texte présenté.
Le volet fiscalité locale et dotations doit faire l’objet d’échanges avec le cabinet d’Amélie de Montchalin, ministre chargée des Comptes publics, à partir du mois de mai pour intégrer le projet de loi de finances pour 2026. « C’est le bémol que j’ai sur ce rapport », explique Sandrine Le Feur, qui estime « ne pas avoir pu aller au bout », faute d’estimations chiffrées des évolutions proposées. « Pour prendre le problème à la racine, il faut mobiliser le gouvernement et la commission des Finances sur ce sujet », poursuit-elle, voyant « un travail beaucoup plus long et approfondi » à mener. « Ce n’est pas notre job d’aller sortir le grand soir de la fiscalité », tranche Constance de Pélichy, déterminée néanmoins à poursuivre son travail sur ce sujet.