Trois décrets du 27 novembre 2023, publiés au « Journal officiel » le lendemain, vont permettre de mettre en œuvre l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols. Ils font suite à la loi parue l'été dernier ( visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l'artificialisation des sols et à renforcer l'accompagnement des élus locaux) dont le but est de corriger certaines dispositions de la loi Climat et résilience du 22 août 2021 et à la décision du Conseil d'Etat rendue début octobre à propos de la légalité des premiers décrets ZAN du 29 avril 2022 ().
Une nouvelle nomenclature
Le premier décret (n° 2023-1096 du 27 novembre 2023), dit « décret nomenclature » porte sur l'évaluation et le suivi de l'artificialisation des sols. Il vient modifier le précédent décret (n° 2022-763 du 29 avril 2022) et intègre en annexe une nouvelle nomenclature des sols artificialisés et non artificialisés.
Lacune corrigée. La nomenclature permet de calculer le solde entre les surfaces artificialisées et les surfaces désartificialisées dans le cadre de la fixation et du suivi des objectifs de lutte contre la consommation d'espaces. Pour évaluer ce solde, le décret précise que c'est l'occupation effective du sol qui doit être prise en considération, et non les zones délimitées par les documents de planification et d'urbanisme.
Cette occupation effective « est mesurée à l'échelle de polygones dont la surface est définie en fonction de seuils de référence fixés dans la nomenclature » ( [C. urb.]). Ces seuils sont fixés à 50 m2 d'emprise au sol pour le bâti (surfaces artificialisées) et 2 500 m2 d'emprise au sol ou de terrain pour les autres surfaces. Les infrastructures linéaires sont, quant à elles, qualifiées à partir d'une largeur minimale de 5 m.
Pour rappel, le Conseil d'Etat avait censuré le décret du 29 avril 2022 pour absence de définition de l'échelle à prendre en considération pour déterminer l'artificialisation. « Le gouvernement, en faisant simplement référence à des “polygones”, sans donner de précisions suffisantes sur la manière dont ceux-ci seraient déterminés et appliqués, n'a pas satisfait à l'obligation résultant de la loi [Climat et résilience], qui lui imposait d'établir l'échelle à laquelle l'artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d'urbanisme. » Cette lacune est donc corrigée.
Surfaces artificialisées. La nouvelle nomenclature prévoit dix catégories de surfaces, contre huit dans le précédent décret. Les cinq premières correspondent aux surfaces artificialisées :
- surfaces dont les sols sont imperméabilisés en raison du bâti (constructions, aménagements, ouvrages ou installations) ;
- surfaces dont les sols sont imperméabilisés en raison d'un revêtement (artificiel, asphalté, bétonné, couvert de pavés ou de dalles) ;
- surfaces partiellement ou totalement perméables dont les sols sont stabilisés et compactés ou recouverts de matériaux minéraux, ou constitués de matériaux composites ;
- surfaces à usage résidentiel, de production secondaire ou tertiaire, ou d'infrastructures notamment de transport ou de logistique, dont les sols sont couverts par une végétation herbacée (c'est-à-dire lorsque moins de 25 % du couvert végétal est arboré) ;
- surfaces entrant dans les catégories précédentes, qui sont en chantier ou à l'abandon.
Surfaces non artificialisées. Les cinq autres catégories visent les sols non artificialisés. Il s'agit des surfaces qui sont : soit naturelles, nues ou couvertes d'eau ; soit végétalisées, constituant un habitat naturel ou utilisées à usage de cultures, y compris les surfaces d'agriculture urbaine et les surfaces boisées ou arbustives dans l'espace urbain.
Le décret confirme que les surfaces à usage de culture agricole, et qui sont en friches, sont bien qualifiées comme étant non artificialisées. Il dissocie par ailleurs les surfaces à usage agricole de celles végétalisées à usage sylvicole pour une mesure plus fine de ces types de surfaces.
Par ailleurs, les surfaces destinées à accueillir des panneaux photovoltaïques (sous certaines conditions) et celles dont les sols sont végétalisés et à usage de parcs et jardins publics peuvent désormais être considérées comme des surfaces non artificialisées ().
Constructibilité d'une zone. Selon la notice de présentation du décret, « la qualification des surfaces est seulement attendue pour l'évaluation du solde d'artificialisation nette des sols (flux) dans le cadre de la fixation et du suivi des objectifs des documents de planification et d'urbanisme. Pour traduire ces objectifs dans le document d'urbanisme, il appartient à l'autorité compétente de construire un projet de territoire (dans le schéma de cohérence territoriale, puis dans le plan local d'urbanisme [PLU] ou dans la carte communale), en conciliant les enjeux de sobriété foncière, de qualité urbaine et la réponse aux besoins de développement local ». En d'autres termes, la nomenclature n'a pas pour objet de définir la constructibilité d'une zone, laquelle reste de la compétence des maires dans le cadre de l'élaboration des PLU.
La nomenclature n'a pas pour objet de définir la constructibilité d'une zone, laquelle reste de la compétence des maires
A noter que la nomenclature n'est pas applicable pour les objectifs de la première tranche du dispositif ZAN (2021-2031) qui portent uniquement sur la réduction de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf).
Rapport local de suivi de l'artificialisation. Par ailleurs, le contenu du rapport local de suivi de l'artificialisation des sols prévu à l' que les collectivités territoriales doivent établir tous les trois ans est détaillé. Il doit notamment comprendre les données et indicateurs suivants :
- consommation des Enaf, exprimée en nombre d'hectares et en pourcentage au regard de la superficie du territoire couvert ;
- solde entre les surfaces artificialisées et les surfaces désartificialisées ;
- surfaces dont les sols ont été rendus imperméables ;
- évaluation du respect des objectifs de réduction de la consommation d'espaces et de lutte contre l'artificialisation des sols.
Pour établir ce rapport, les collectivités pourront s'appuyer, entre autres, sur les données produites par l'Observatoire de l'artificialisation, « la plateforme nationale pour l'accès dématérialisé aux données sur la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers et sur l'artificialisation des sols » (nouvel ). Le premier rapport devra être réalisé pour le 24 août 2024, soit trois ans après l'entrée en vigueur de la loi Climat et résilience.
Des objectifs de sobriété foncière plus équilibrés entre les territoires
Le deuxième décret (n° 2023-1097) concerne la mise en œuvre de la territorialisation des objectifs de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols.
Pour rappel, le prévoit que les règles de gestion économe de l'espace et de lutte contre l'artificialisation des sols doivent être déclinées dans le rapport du schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire (Sraddet). Le nouveau décret ajuste et complète ces dispositions afin d'une part, de mieux assurer la territorialisation des objectifs de sobriété foncière et l'équilibre entre les régions et les communes et, d'autre part, de tenir compte des évolutions apportées par la loi du 20 juillet 2023 précitée.
Efforts passés, spécificités locales, règles différenciées. Conformément aux souhaits des associations d'élus, le Sraddet - ainsi que les autres documents régionaux de planification (Sdrif, SAR et Padduc [1])- devra explicitement prendre en considération les efforts passés et les spécificités locales (contraintes liées à la montagne et au littoral) à partir des données disponibles sur les dix années précédant la loi Climat et résilience.
Pour tenir compte des griefs de l'Association des maires de France sur l'absence de compétence des régions en matière d'aménagement et, par conséquent, de l'absence de primauté des Sraddet sur les documents d'urbanisme inférieurs (Scot, PLUi, PLU, carte communale), le décret supprime l'obligation de fixer une cible chiffrée d'artificialisation à l'échelle infrarégionale dans les règles générales du Sraddet. Il s'agit d'avoir une approche plus proportionnée et qualitative du rôle de la région et de ne pas conduire à contraindre de façon excessive les documents infrarégionaux. Ainsi, l' (fascicule des règles générales du Sraddet) prévoit désormais que « des règles différenciées peuvent être définies afin d'assurer la déclinaison des objectifs entre les différentes parties du territoire en tenant compte des périmètres des schémas de cohérence territoriale ». Cette déclinaison territoriale doit permettre de respecter la « garantie communale ou rurale » de développement de 1 ha minimum introduite par la loi du 20 juillet 2023.
Préservation de l'activité agricole. Autre nouveauté : la possibilité de mettre en place, dans les règles générales du Sraddet, une part réservée de l'artificialisation des sols pour des projets de création ou d'extension de constructions ou d'installations nécessaires aux exploitations agricoles. L'avis des collectivités concernées devra au préalable être recueilli. Il s'agit ici de « veiller plus particulièrement à l'équilibre entre la lutte contre l'artificialisation des sols et la préservation des espaces dédiés aux activités agricoles ».
Autorisation d'urbanisme. Enfin, le décret précise qu'une autorisation d'urbanisme conforme aux prescriptions d'un document d'urbanisme en vigueur et ayant fixé des objectifs chiffrés de lutte contre l'artificialisation des sols ne pourra « être refusée au motif qu'elle serait de nature à compromettre le respect de ces objectifs ». La raison : « La traduction de ces objectifs dans les documents d'urbanisme et plus particulièrement via leurs prescriptions, qui sont opposables aux projets, doit permettre de les atteindre », souligne la notice de présentation.
Commission régionale de conciliation
Le troisième et dernier décret (n° 2023-1098) est relatif à la composition et aux modalités de fonctionnement de la toute nouvelle commission régionale de conciliation sur l'artificialisation des sols, instaurée par la loi du 20 juillet 2023.
Projets d'ampleur nationale ou européenne. Pour mémoire, l'article 3 de la loi organise une comptabilisation spécifique pour des projets d'envergure nationale ou européenne présentant un intérêt général majeur afin que la consommation engendrée pendant la première tranche (2021-2031) ne soit pas directement imputable à la commune ou au groupement dans lesquels ils sont implantés. Leur consommation foncière sera comptabilisée et mutualisée au niveau national, dans le cadre d'un forfait de 12 500 ha, dont 10 000 seront mutualisés entre les régions couvertes par un Sraddet au prorata de leur enveloppe d'artificialisation définie pour cette période.
Les projets concernés seront listés par un arrêté ministériel, après avis du président du conseil régional et consultation de la conférence régionale de gouvernance de la politique de réduction de l'artificialisation des sols. La région peut également formuler une proposition pour identifier un tel projet. En cas de désaccord sur la liste proposée par l'Etat, la commission régionale de conciliation pourra être saisie par le président de région.
Parité Etat-région. Composée de trois représentants pour la région et trois pour l'Etat (dont le préfet et le directeur régional chargé de l'environnement et de l'aménagement), cette instance est présidée par un magistrat administratif. Des représentants du bloc communal peuvent y participer à titre consultatif dès lors qu'un projet les concerne. « La présence du maire et du président d'un EPCI est tout particulièrement recommandée dans le cas de projets ayant une implantation concentrée sur un périmètre communal et intercommunal bien circonscrit », relève la notice de présentation. La commission peut associer à ses travaux tout élu ou organisme non représenté en son sein. Elle peut solliciter l'avis de toute personne ou de tout organisme compétent notamment en matière d'aménagement foncier, d'urbanisme ou d'environnement.
Décision motivée. Côté fonctionnement, la commission se réunit sur convocation de son président. Ses propositions doivent être formulées dans le délai d'un mois à compter de sa saisine et notifiées, à la diligence du préfet, au ministre chargé de l'urbanisme, ainsi qu'au président de la région. Lorsque le ministre ne suit pas l'avis de la commission de conciliation, sa décision doit être motivée et transmise aux membres de la commission.
L'élaboration du cadre réglementaire pour atteindre l'objectif ZAN n'est pas encore achevée. Outre l'arrêté sur les projets d'envergure nationale ou européenne - qui pourrait être publié en mars 2024 -, est encore attendue la publication d'un décret sur le photovoltaïque.
Ce qu'il faut retenir
- Les trois décrets relatifs à la mise en œuvre des objectifs du zéro artificialisation nette (ZAN) des sols en 2050 ont paru au « Journal officiel » du 28 novembre 2023.
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Le
décret n° 2023-1096 est relatif au suivi et à l'évaluation de l'artificialisation des sols. Une nouvelle nomenclature distinguant les surfaces artificialisées des surfaces non artificialisées est annexée. -
Le
décret n° 2023-1097 concerne la mise en œuvre de la territorialisation des objectifs de gestion économe de l'espace. Il tend à assurer un meilleur équilibre entre les régions et les communes. Les efforts passés et les spécificités locales devront clairement être pris en compte par les Sraddet. -
Le
décret n° 2023-1098 encadre la composition et le fonctionnement de la commission régionale de conciliation sur l'artificialisation des sols créée par la loi du 20 juillet 2023.
(1) Schéma directeur de la région Ile-de-France, schéma d'aménagement régional (Outre-mer) et plan d'aménagement et de développement durable de la Corse.