Villemandeur (3/4) : PPP , comment le critère d'urgence est-il apprécié?

Le juge administratif s’inscrit dans la ligne jurisprudentielle du Conseil d’Etat et du juge constitutionnel s’agissant de la définition de la notion d’urgence, mais il en va autrement s’agissant de la mise en œuvre de cette notion.

L'urgence, une notion autonome

L’urgence est caractérisée par l’existence d’un retard préjudiciable à l’intérêt général. Cette vision est celle dégagée par le Conseil d’Etat dans sa décision Sueur de 2004 reprise par le Conseil constitutionnel "il résulte des termes mêmes de cette décision que, sous réserve qu'elle résulte objectivement, dans un secteur ou une zone géographique déterminés, de la nécessité de rattraper un retard particulièrement grave affectant la réalisation d'équipements collectifs, l'urgence qui s'attache à la réalisation du projet"…

L’appréciation de la notion d'urgence illustre l'idée d'assurer un équilibre entre diverses exigences constitutionnelles contradictoires. Pour le Conseil constitutionnel, les dérogations aux règles usuelles relatives à la commande publique, lorsqu'elles garantissent le respect de principes constitutionnels, sont admissibles dans la mesure où elles se trouvent justifiées par d'autres exigences constitutionnelles. Cette notion requiert donc une appréciation autonome afin de ménager les exigences.

Une conception trop lâche de l'urgence remettrait en question l'équilibre trouvé par l'ordonnance avec la condition de complexité du projet. Dans la décision du 22 août 2002, le juge ne permet de déroger aux principes de libre accès à la commande publique que lorsque "le retard accumulé dans la mise en service d'équipements nouveaux est tellement important que, faute d'un plan d'urgence permettant de brûler les étapes et de rattraper le temps perdu, l'ordre public (….) seraient gravement compromis. L'ampleur et l'urgence des travaux de construction et de remise en état des bâtiments à réaliser au cours des prochaines années pour couvrir les besoins de la police nationale et de la gendarmerie justifient le recours au dispositif critiqué. Il doit s'agir d'un retard grave et préjudiciable.

L’urgence dans les contrats de partenariat est une condition de fond. La notion d'urgence dans le Code des marchés publics est une condition procédurale (l’urgence simple ou encore l'urgence impérieuse). L'urgence simple et impérieuse fait l'objet d'une interprétation stricte car elle implique l'existence de circonstances objectives, extérieures au fait de la personne publique.

Fixer une conception trop étroite conduirait à priver d'effet le contrat de partenariat qui serait limité aux seules catastrophes naturelles et encore, le contrat de partenariat ne constitue pas, en de telles circonstances, l’outil adapté ou encore au retard ayant trouver leur origine dans des éléments extérieurs à la volonté de l’administration telle que la constatation de la survenance d’un besoin nouveau exclusivement dû aux circonstances. Le Conseil constitutionnel, lorsqu' il a approuvé le dispositif permettant de rattraper le retard dans la construction d'immeubles de police, de gendarmerie nationale et d'établissements pénitentiaires, a admis que la carence publique non intentionnelle pouvait justifier le recours au contrat de partenariat. Ainsi, c'est la notion de gravité du manque à combler qui semble prévaloir sur la carence éventuelle de la collectivité publique dans l'appréciation du recours au contrat de partenariat sur la base de l'urgence. Le tribunal administratif d'Orléans énonce que "l'atteinte portée au fonctionnement du service public (…) ne présentait pas, à supposer même que le département ait accompli toutes les diligences pour y remédier, un caractère de gravité suffisante". Le juge évalue la gravité de l'atteinte à l'aune des diligences effectuées par le département. La vision objective doit donc être modérée d’autant plus qu'aucun texte ne fait référence ici à la notion d’imprévision.

L'urgence doit résulter d'un retard particulièrement grave à rattraper. Les projets éligibles au titre de l'urgence ne concernent pas par définition des projets complexes et un léger retard ne peut justifier le recours au contrat de partenariat sous peine de rompre l'équilibre et vider de toute substance le caractère subsidiaire dudit contrat.

Une urgence au minimum impérieuse

Le juge administratif apprécie non seulement l’existence du retard c’est à dire le décalage entre un besoin objectif et une réalité et la nécessité de rattraper celui-ci en lançant un nouveau projet ou en accélérant un projet déjà engagé. Selon le juge, le retard grave et préjudiciable faisait défaut pour le collège de Villemandeur.

1) Une urgence circonstanciée

Par nature la construction d'un collège ne comporte pas de complexité majeure. Les deux appels d’offres ont été infructueux en raison du prix et non en raison d'une quelconque difficulté technique.

S'agissant de l'urgence, le Conseil général du Loiret a tenté de prouver l'existence d'un retard préjudiciable et grave affectant la réalisation d'un équipement collectif nécessaire au service public de l'enseignement dans le secteur de Villemandeur ainsi que les conséquences du retard sur la gestion du Collège d'Amilly.

En 1996, le département du Loiret a approuvé un programme prévisionnel des investissements dans les collèges qui prend en compte la nouvelle carte scolaire. Celle-ci a conduit à la création d'un secteur "Villemandeur" composé de 5 sous-secteurs. A cet effet, un programme complexe de reconstruction de quatre collèges et de construction d’un 5ème, celui de Villemandeur a été mis en place. Le but était de rééquilibrer la taille des collèges et d’aménager le territoire grâce à une meilleure organisation géographique. Le collège de Villemandeur a été finalement livré en 2007 soit presque 10 ans après l'approbation du programme d'investissement du fait de couacs (appels d'offres infructueux, problème d'acquisition de terrain….). Ces retards ont conduit à ce que le collège d’Amilly soit réalisé avant, déséquilibrant totalement le programme. Ainsi, ce collège prévu pour 600 élèves s’est retrouvé avec 900.

Cette surcharge a entraîné de grandes difficultés de fonctionnement, des problèmes de surveillance, d’espace de restauration, de temps de transport (25 km). Outre ces problèmes techniques, les classes surchargées ne permettaient pas aux enseignants de mener à bien leurs cours d'autant plus que des problèmes d'incivilité devenaient récurrents, sans oublier la pression des parents d'élèves mécontents. La situation devait donc selon le Conseil général; être rétablie ; chaque année de retard étant une année à risque.

De plus, selon les termes d'une réponse ministérielle du 06 juin 2006, les collectivités territoriales pourraient recourir au contrat de partenariat à condition de se trouver dans une situation entraînant une sécurité défaillante, un vieillissement préjudiciable d’un équipement ou d’un ouvrage ou la non conformité d’un équipement public mettant en cause la qualité, voire la continuité d’un service public.

2) Vers une interprétation nouvelle de l'urgence

Le jugement restreint le champ d'évaluation de la notion d'urgence et durcit le caractère objectif de la notion d'urgence.

- Un périmètre d'évaluation restreint

Le jugement d'Orléans précise que l'urgence du projet devait tenir à la nécessité de rattraper un retard particulièrement grave dans un secteur ou une zone géographique déterminés. En d'autres termes, il s'agit d'examiner "les circonstances particulières ou locales". Il est donc possible de recourir au contrat de partenariat lorsque, de l'examen objectif de la situation dans un secteur considéré, voire dans une zone géographique donnée résultera le constat de l'impérieuse nécessité qu'il y a à rattraper un important retard d'investissement affectant soit certains équipements publics, soit certains services publics. Pour cela une appréciation globale de la situation et une contextualisation des faits est nécessaire.

Dans sa décision, le juge administratif se fonde sur l'évaluation préalable ayant conduit à réaliser le projet en contrat de partenariat. Il conclut en un gain de 1 voire 2 ans par rapport à un marché public. Néanmoins, le collège n'a vu le jour qu'au bout de 10 années : trois années pour avoir l'accord de création du collège auxquelles s'ajoute des appels d'offres infructueux et des problèmes de terrains.

Il ne prend en compte que l'atteinte portée au fonctionnement du service public par le retard affectant la réalisation du collège de Villemandeur. Les arguments du Conseil général concernant l'impact du retard dans la construction du collège de Villemandeur sur tout le programme d'investissement n'a pas été retenu. Il n'y a pas de réelle prise en considération des circonstances locales ou de la zone géographique ou des problématiques de gestion du service public. Est-ce l'urgence telle qu'interprétée par le Conseil constitutionnel?

- Une urgence au minimum impérieuse

Le caractère objectif et préjudiciable de l'urgence ferait défaut selon le juge administratif. Il n'existe pas d'urgence d'une particulière gravité puisque les mesures provisoires prévues dans le collège d'Amilly pouvaient encore servir pendant les deux ans qui auraient été nécessaires à la mise en œuvre de procédures de commande publique de droit commun. Le juge ne s'attache qu'aux données matérielles brutes. L'argumentaire du Conseil général sur les problèmes de gestion graves créés au sein du collège d'Amilly (incivilité, surcharge, durée de transport, perturbation du service public de l'enseignement et pétition des parents…) n'a pas été retenu.

Le projet de loi actuellement en discussion à l'Assemblée nationale énonce, "ou bien que le projet présente un caractère d'urgence, lorsqu'il s'agit de rattraper un retard préjudiciable à l'intérêt général affectant la réalisation d'équipements collectifs ou l'exercice d'une mission de service public, ou de faire face à une situation imprévisible". Le projet introduit une dose de subjectivité et invite à une contextualisation des faits. Au vu de cette disposition, on peut se demander si le jugement du tribunal d'Orléans ne prend pas le contre coup de la réforme.

Avec une interprétation aussi stricte de l'urgence, peut-on construire une école en contrat de partenariat? La question reste ouverte d'autant plus que le Conseil général à deux projets en PPP concernant des collèges qu'il compte également justifier par l'urgence.

Christian Figali

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