Derrière ce nom à double entrée - à la fois âge déguisé et hommage prospectif à la technologie - se cache une invitation à parcourir trois décennies de pensée et de fabrication design, via (sic !) la présentation chronologique d'une quarantaine de prototypes (1) issus des formidables leviers de soutien à la création que sont les Aides à projets et les Cartes blanches. Le nombre de projets prototypés réalisés à l'instigation du VIA peut être évalué entre 15 et 30 par an. 30 à 40 % d'entre eux en moyenne sont édités en série, petite ou moyennement grande. A titre indicatif, la plateforme de recherche et d'expression dirigée par Gérard Laizé, consacre environ un million d'euros à leur élaboration, leur diffusion et leur promotion dans le monde entier. Au-delà de l'occasion offerte de (re)découvrir les toutes premières réalisations de Philippe Starck, Martin Szekely, Patrick Jouin, Ronan et Erwan Bouroullec, Jean-Marie Massaud, Olivier Peyricot, Mathieu Lehanneur, François Azambourg, Philippe Rahm, Gaetano Pesce, Andrée Putman, entre autres, VIA Design 3.0 est surtout une incitation à plonger, au sens propre comme au figuré, dans les archives de cette structure trentenaire que les designers étrangers regardent avec envie. L'occasion également d'écouter le point de vue sur « le mode d'existence des prototypes » de Valérie Guillaume (2) conservatrice au Musée national d'art moderne pour les collections architecture/design et commissaire de l'exposition) qui s'attache à explorer les multiples facettes d'un objet aussi indispensable que potentiellement en voie de disparition.
Quel est le mode d'existence des prototypes ?
Déjà en 1976 à New York dans le cadre de l'exposition « Idea as model », Peter Eisenman affirmait que les maquettes, comme les dessins d'architecture, peuvent avoir une existence conceptuelle ou artistique en soi, indépendamment du projet qu'ils représentent. Tels des palimpsestes, ces objets révèlent en creux les mutations des stratégies, des politiques et des processus de conception ou de production industrielle. Or, d'une manière générale, le prototype, une fois réalisé, et, surtout, une fois sa mission de préfiguration remplie, est le plus souvent destiné à disparaître ou à être disséqué. Cette rareté qui le caractérise en fait donc un objet idéal pour le regard d'un musée. La singularité du VIA, qui s'inscrit dans une perspective de recherche, est justement de n'avoir jamais cherché à capitaliser sur les prototypes, tout en leur accordant une extrême importance à travers leur financement et leur archivage. Néanmoins, malgré la récente promotion du prototype ou de l'édition en série limitée à 8, 10 ou 12 exemplaires (soutenue par un taux de TVA à 5,5 % sur le marché de l'art, alors que les pièces éditées en série sont soumises à un taux de 19,6 %), cette démonstration de savoir-faire expérimental doit toujours être considérée, moins comme une œuvre que comme un objet prospectif essentiel. »Le prototype, interface entre le créateur et l'industriel ?
Si l'on doit distinguer la maquette du prototype, il faut poser la première comme représentation en 3D d'un dessin qui permet de parler à travers un volume, tandis que le second se doit, en plus, d'avoir une valeur fonctionnelle, qui est aujourd'hui de plus en plus souvent interactive. On ne peut pas s'asseoir sur la maquette d'une chaise, mais sur un prototype de chaise, si ! Mais bien plus qu'une seule traduction en volume d'un dessin, le prototype livre une vision des processus de conception et de fabrication. Il représente, de surcroît, un authentique esperanto design, car, comme le soulignait Jean-Claude Maugirard lors du comité VIA de 1979 : « Le prototype présente le double avantage de permettre à l'industriel de juger et au créateur d'argumenter. » Et Philippe Starck, interviewé en 1997 par Christine Colin pour l'ouvrage Objets-types et archétypes (Edition Hazan/Industries Françaises de l'Ameublement) de surenchérir, avec le sens de la formule et de la provocation qui le caractérise : « Le créateur est à la merci des vrais créateurs, les ingénieurs terrés dans les laboratoires des grandes sociétés. Nous sommes les utilisateurs de ce qu'ils nous livrent. On peut donner quelques indications de sens, de là où on irait volontiers, et avoir la chance d'être parfois entendus si on est plusieurs à montrer le même sens. C'est l'absolu du créateur : arriver à croire qu'il invente un nouveau type d'objet, alors qu'en fait, c'est généralement Rhône Poulenc le créateur. »
Quel avenir pour le prototype ?
Avec la chaise #71d'Ammar Eloueini & François Brument, réalisée en prototypage rapide d'après une configuration à chaque fois différente arrêtée sur écran (Aide à projet 2007), le prototype et le modèle édité ne font plus qu'un. Le prototypage rapide transforme ainsi l'industrie des moules et des modèles en même temps qu'il permet d'approfondir les recherches portant sur les séries différenciées. Patrick Jouin (dont l'exposition « Carnets et récits de design » prendra la suite de VIA Design 3.0, du 17 février au 24 mai 2010) souligne aussi cette OPA du numérique : « Au sein des agences de design, le prototype fonctionnel est de moins en moins usité. Sa disparition progressive est due principalement au caractère d'immédiateté de l'image 3D. Mais on continue toutefois d'utiliser tous les outils en fonction du projet et même si 90 % de la modélisation se fait aujourd'hui par écran interposé, la maquette ainsi réalisée est ensuite remise entre les mains d'un prototypiste pour les 10 % de finition restants. » Pour conclure, je dirais que le savoir-faire artisanal revient sur le prototype en va-et-vient. Le travail d'un designer est donc vraiment celui d'un chef d'orchestre. Un principe d'agglomération, mais pas d'adition.


