Le Conseil d'Etat vient de rendre une décision intéressante sur les conditions dans lesquelles il est possible de considérer qu'un terrain a été divisé et les conséquences qui y sont attachées, en particulier quant aux règles protectrices du lotissement (, mentionné aux tables du recueil Lebon).
Dans sa rédaction actuelle, l' définit le lotissement comme « la division en propriété ou en jouissance d'une unité foncière ou de plusieurs unités foncières contiguës ayant pour objet de créer un ou plusieurs lots destinés à être bâtis ». Le lotissement doit être autorisé par un acte administratif : soit un permis d'aménager si des voies, espaces ou équipements communs à plusieurs lots sont prévus ou si le terrain à lotir est situé dans les abords d'un monument historique ou dans un site classé ; soit une décision de non-opposition à déclaration préalable.
Le lotissement, un régime de protection de l'acquéreur du terrain à bâtir
Tout le régime juridique du lotissement est guidé par la volonté des pouvoirs publics de protéger l'acquéreur du terrain à bâtir : publicité, commercialisation du terrain, garantie de réalisation des viabilités, etc.
Cristallisation des règles d'urbanisme. A ce titre, l' cristallise les règles d'urbanisme applicables au lotissement et ce faisant, assure la protection de l'acquéreur contre une éventuelle évolution des règles du plan local d'urbanisme (PLU). Il dispose ainsi que « lorsque le lotissement a fait l'objet d'une déclaration préalable, le permis de construire ne peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de non-opposition à la déclaration préalable, et ce pendant cinq ans à compter de cette même date ». Et « lorsque le lotissement a fait l'objet d'un permis d'aménager, le permis de construire ne peut être refusé […] sur le fondement de dispositions d'urbanisme nouvelles intervenues depuis la date de délivrance du permis d'aménager, et ce pendant cinq ans à compter de l'achèvement des travaux » .
La vente du terrain à bâtir, un prérequis nécessaire
Dans l'arrêt du 13 juin 2022, le Conseil d'Etat a précisé, s'agissant d'un lotissement déclaré, qu'à défaut de vente du terrain à bâtir dont le détachement était annoncé, la construction projetée ne se situe pas au sein d'un lotissement et la demande de permis ne peut donc pas bénéficier de la cristallisation.
Dans cette affaire, une société avait adressé à un maire - qui ne s'y était pas opposé - une déclaration préalable de division d'une parcelle en deux lots, en vue de construire sur l'un d'eux, l'autre supportant déjà une villa. La société, qui entendait conserver la propriété de la parcelle dont elle avait préalablement déclaré la division, a sollicité par la suite un permis de construire pour son propre compte, en vue de la location saisonnière de la construction projetée. Le permis de construire a été attaqué par des voisins.
Transfert de propriété. La Haute juridiction administrative a alors considéré que la société « n'avait, à la date du permis de construire, pas procédé à la cession dont aurait résulté la division. Dès lors, en l'absence de tout transfert de propriété ou de jouissance, elle ne pouvait se prévaloir, à l'occasion de cette demande de permis de construire, des droits attachés, en vertu de l' […], au lotissement autorisé, dont le projet de construction ne pouvait relever. » Ce faisant, elle rappelle que la cession est un prérequis nécessaire à l'application du régime du lotissement, revenant à la lettre de l' selon lequel un lotissement implique nécessairement une division et donc une vente (ou une location assortie d'un droit de construire). Il nous semble que cette décision concerne tous les lotissements, y compris ceux soumis à permis d'aménager.
Selon le Conseil d'Etat, il faut que la vente précède la délivrance du permis, pour que son pétitionnaire bénéficie de la cristallisation.
Ce n'est donc qu'à compter de la cession que le régime du lotissement trouve à s'appliquer et ce sont alors les règles d'urbanisme cristallisées à la date de l'autorisation de lotir (déclaration préalable ou permis d'aménager) qui sont opposables aux demandes de permis de construire.
Pas de vente, pas d'acquéreur, pas de protection. Cette solution pourrait sembler logique au regard de la définition et de l'objet même des lotissements : la cristallisation protège l'acquéreur du terrain à bâtir. A défaut de vente, il n'y a pas d'acquéreur, et donc, personne à protéger.
On relèvera toutefois que, dans une décision du 7 janvier 2021, dont il n'est pas évident de mesurer la portée au regard des circonstances particulières de l'espèce, une cour administrative d'appel semble avoir écarté le jeu de la cristallisation dans l'hypothèse où le lotisseur procède à la création de deux lots par une déclaration préalable et cède ces deux lots à la même personne qui dépose une demande de permis de construire sur l'ensemble de l'unité foncière ().
Une solution contraire à la pratique
Il reste que le Conseil d'Etat ajoute une condition au texte, l' ne soumettant pas la cristallisation à l'intervention de la vente effective du terrain. Surtout, et de manière assez surprenante, il n'est pas sensible au moyen - soulevé par le titulaire du permis - tiré de ce qu'il était encore dans le délai de validité de trois ans de la déclaration préalable et pouvait - par la suite - réaliser la vente.
Purger le permis de construire. Selon la Haute juridiction, il est donc nécessaire que la vente précède la délivrance du permis, pour que son pétitionnaire puisse revendiquer le bénéfice de la cristallisation ; ce qui paraît quelque peu contraire à la pratique du lotissement, où le constructeur est traditionnellement enclin à attendre l'obtention d'un permis de construire purgé avant de signer l'acquisition du lot.
Par ailleurs, l'arrêt du 13 juin 2022 ici commenté et les conclusions du rapporteur public laissent entendre, à l'instar de la décision du 12 novembre 2020 en matière de division primaire (n° 421590, publié au recueil Lebon), qu'à défaut de vente - et donc de division - le respect des règles d'urbanisme devrait s'apprécier à l'échelle de l'intégralité de l'unité foncière initiale (lire « Division primaire : le Conseil d'Etat voit grand », Le Moniteur du 11 décembre 2020, n° 6115).
Anticiper la division. Or, la pratique et la doctrine sont pourtant assez clairement fixées dans le sens d'une « anticipation » de la division autorisée par la décision de non-opposition ou du permis d'aménager. En effet, les sur la déclaration préalable et R. 441-1 sur le permis d'aménager permettent de lotir une partie d'une propriété, de sorte que le lotisseur peut souscrire une déclaration préalable ou solliciter un permis d'aménager correspondant uniquement au tènement foncier détaché. Dans cette hypothèse, les règles d'urbanisme sont alors appliquées à l'échelle du terrain à bâtir ainsi créé, ce qui peut éviter d'avoir à tenir compte du reliquat conservé par le propriétaire de l'unité foncière.
Une pratique condamnée ? Cette pratique paraît malheureusement condamnée, le Conseil d'Etat ne semblant accepter d'appréhender l'assiette d'un permis comme étant un lot de lotissement qu'à la condition que la vente de ce lot soit déjà intervenue. C'est du moins ce qu'il vient de juger en matière de cristallisation, et c'est ce qu'il risque de juger s'agissant de l'échelle à laquelle les règles d'urbanisme doivent être appréciées.
Qu'il soit alors permis de regretter cette situation, qui paraît largement déconnectée de la pratique tant les acquisitions « sèches », sans condition suspensive d'obtention d'un permis purgé, sont rares dans le domaine de la promotion immobilière, aussi bien dans le diffus qu'en lotissement.