Cela fait un an que les services d'urbanisme des collectivités territoriales ont basculé dans l'ère numérique. Depuis le 1er janvier 2022, toutes les communes doivent être en mesure de recevoir les demandes d'autorisation d'urbanisme (permis de construire, d'aménager, déclaration préalable, certificats d'urbanisme…) sous forme électronique. Celles de plus de 3 500 habitants doivent de surcroît « disposer d'une téléprocédure spécifique » leur permettant de les instruire par voie dématérialisée ().
Une réforme « bienvenue, souhaitable et souhaitée, qui simplifie très clairement l'acte de dépôt », salue Jonathan Prévereaud, dirigeant de la société Terrains du Sud et vice-président pour l'aménagement foncier du Pôle Habitat FFB, « même si elle ne résout pas les difficultés liées entre autres aux nombreuses demandes de pièces complémentaires et ne nous fait pas gagner de temps sur les délais d'instruction », nuance-t-il. « Cela fait un moment que les architectes travaillent de manière dématérialisée. Que l'on puisse trouver un prolongement dans les autorisations d'urbanisme est une bonne chose », ajoute Vincent Toffaloni, secrétaire national du Conseil national de l'ordre des architectes (Cnoa).
Autres avantages de la démat' : la transparence et la traçabilité. Selon Sébastien Bracq, avocat en droit public au sein du cabinet Asterio, « il n'y a plus de débat autour de la date de dépôt d'une pièce et de la sincérité du récépissé, on sait exactement quand le service l'a reçue. Et en cas de contentieux, on peut obtenir le dossier en 24 heures. Auparavant, il fallait parfois attendre plusieurs mois avant que la collectivité nous le transmette. » Du côté des services instructeurs, malgré quelques difficultés à l'allumage liées essentiellement au raccordement à Plat'AU - le cœur du système mis en place par le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires -, « la réforme est dans l'ensemble plutôt bien accueillie », commente Philippe Angotti, délégué adjoint en charge de la transition écologique, de l'urbanisme et responsable des ressources humaines à France Urbaine. A Brest Métropole, où 65 % des dossiers ont été déposés en ligne en 2022, « la démat' est complètement entrée dans les mœurs des instructeurs et des élus. Ces derniers signent dorénavant les actes par voie électronique. Nous n'imprimons quasiment plus », se félicite Marine Brunin, sa responsable du service droit des sols.
Pédagogie et communication. Le passage à l'ère numérique s'est également « fait en douceur » au sein de l'Agence des territoires de la Vienne (AT86) - établissement public qui instruit les dossiers pour les collectivités depuis 2015 - « grâce à un agent référent entièrement dédié à la mise en œuvre de la réforme et au soutien constant que nous apportons aux communes », livre Catherine Perain, la responsable du pôle urbanisme.
Aujourd'hui, seuls 28 % des dossiers arrivent par voie numérique dans les guichets uniques.
Cet accompagnement, primordial, s'avère cependant assez lourd à gérer pour certaines collectivités. « Le cadre est mouvant, avec des évolutions régulières d'outils, des modifications des formulaires Cerfa… Il faut faire preuve de pédagogie et beaucoup communiquer auprès des communes, des agents et des usagers », reconnaît Marianne Wirth, directrice de projet « Dématérialisation des AU » à la métropole du Grand Nancy (Meurthe-et-Moselle), où près d'un dossier sur deux est déposé en ligne. Pour les éditeurs de logiciels non plus, la tâche n'est pas simple : « Nous devons constamment nous adapter aux nouvelles versions de Plat'AU et il reste encore beaucoup de chemin à parcourir », relate Nicolas Sibille, responsable informatique développement de la société CMSDI, qui salue toutefois l'implication de l'Etat dans ce vaste chantier. Face à un tel changement des pratiques et des outils, le risque de départs d'agents est réel, comme en atteste Nadège Kieffer, directrice du pôle urbanisme et droit des sols à la communauté d'agglomération du Val de Fensch (Moselle), qui a dû remplacer un collaborateur « en perte de repères avec le tout-numérique ».
De leur côté, les pétitionnaires s'emparent encore assez peu de la démat'. Selon le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, seuls 28 % des dossiers arrivent par voie numérique dans les guichets uniques - les mairies -, ce qui contraint bien souvent les communes à numériser les pièces. « Elles ont donc tout intérêt à faire la promotion du téléservice pour recevoir des dossiers natifs numériques », souligne Jean-Michel Coste, directeur du programme Démat.ADS - Permis de construire en ligne du ministère. C'est d'ailleurs ce à quoi s'emploiera prochainement Nadège Kieffer : un tuto YouTube sera mis à disposition des pétitionnaires pour les encourager à déposer leurs dossiers par voie numérique.
Conduite du changement. Pour que la dématérialisation soit pleinement efficiente, encore faut-il que les services extérieurs consultés (Udap, Sdis, gestionnaires de réseaux…) jouent eux aussi le jeu. Et c'est là que le bât blesse. France Urbaine déplore un manque de coopération de certains de ces acteurs sur une partie des territoires. Cela contraint les instructeurs à gérer le double flux papier/numérique et rend leur tâche plus complexe. Le ministère n'exclut pas de renforcer le cadre juridique pour éventuellement les contraindre à basculer dans l'ère numérique. Mais « au-delà de ce volet obligation, la problématique est surtout celle de la conduite du changement », insiste Vincent Montrieux, sous-directeur de la qualité du cadre de vie au sein de la Direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP). « C'est le rôle de l'Etat de convaincre les services consultés de l'intérêt de la dématérialisation et nous le faisons par le biais des DDTM [directions départementales des territoires et de la mer, NDLR] qui peuvent relayer nos messages. Mais il est tout aussi capital que les collectivités elles-mêmes sensibilisent les services consultables de la nécessité d'évoluer sur ce point. »