Jurisprudence

URBANISME Ne pas confondre construction et urbanisation!

Comment apprécier en ville la notion « d’extension limitée de l’urbanisation », au sens de la loi « Littoral » ? Le Conseil d’Etat prend en compte l’augmentation de la densité du quartier ou des espaces périphériques déjà urbanisés. La seule construction d’un immeuble n’est pas, en soi, une extension de l’urbanisation.

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Urbanisme
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2004/06/09N°262
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2005/02/07N°264
Conseil d'Etat (CE)Décision du 1994/07/01N°119
Conseil d'Etat (CE)Décision du 1998/05/25N°128
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2003/12/29N°249
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2003/07/30N°203
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2004/05/03N°251

La loi n°86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral a mis en œuvre un certain nombre de règles encadrant le droit de construire dans les zones littorales. L’article L.146-4 du Code de l’urbanisme, issu de ce texte, constitue le pivot de ce dispositif de protection. Le paragraphe I impose aux communes littorales que l’extension de l’urbanisation soit réalisée sur leur territoire en continuité « avec les agglomérations et villages existants ». Le paragraphe III interdit les constructions qui interviendraient en dehors des espaces urbanisés, sur une bande littorale de 100 mètres.

Incertitudes de la loi. Le paragraphe II introduit une restriction au droit de construire dont l’interprétation est apparue à l’usage plus complexe. Il énonce : « L’extension limitée de l’urbanisation des espaces proches du rivage… doit être justifiée et motivée, dans le plan local d’urbanisme, selon les critères liés à la configuration des lieux ou à l’accueil d’activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau. Toutefois, ces critères ne sont pas applicables lorsque l’urbanisation est conforme aux dispositions d’un schéma de cohérence territoriale ou d’un schéma d’aménagement régional ou compatibles avec celles d’un schéma de mise en valeur de la mer. En l’absence d’un tel schéma, l’urbanisation peut être réalisée avec l’accord du représentant de l’Etat dans le département. Cet accord est donné après avis de la commission départementale des sites appréciant l’impact de l’urbanisation sur la nature… ».

Ces dispositions ont donné lieu à de nombreuses critiques, en raison des incertitudes entourant plusieurs notions citées. Ainsi, la notion « d’espace proche du rivage », au-delà de l’acception commune, peut être parfois difficile à manier pour les administrations et les juristes. Le Conseil d’Etat a dû préciser que la proximité devait être appréciée au regard de la combinaison de trois critères : distance du rivage, visibilité depuis celui-ci et présence de constructions s’interposant entre les bâtiments projetés et la mer (1).

Localisationdu terrain d’assiette. La deuxième difficulté d’interprétation porte sur la notion « d’extension limitée » de l’urbanisation. Tout est ici affaire d’espèce et de contexte dans lequel les constructions envisagées interviennent.

Au préalable se pose la question de savoir si le paragraphe II de l’article L.146-4 du Code de l’urbanisme s’applique aux seuls espaces vierges ou également à ceux ayant déjà fait l’objet d’une urbanisation. En d’autres termes, ces dispositions sont-elles applicables en ville ?

Après avoir hésité, le Conseil d’Etat a clairement jugé que ces dispositions étaient applicables « indépendamment du caractère urbanisé ou non de l’espace dans lequel se situent les constructions envisagées » (CE, 27 septembre 1999, « Commune de Bidart et autre », Rec. p. 282).

Cet arrêt prend soin d’indiquer que, pour apprécier le caractère ou non limité de l’urbanisation, il faut prendre en compte plusieurs paramètres : le fait que les immeubles projetés seront réalisés après démolition de constructions existantes ; les conditions d’implantation de l’opération ; l’importance et la densité de la construction envisagée ; enfin, les caractéristiques topographiques de la commune. La jurisprudence, tenant compte de cet ensemble de critères, a admis le caractère d’extension limitée de l’urbanisation à des opérations d’une certaine ampleur réalisées dans des parties déjà urbanisées de la commune (voir encadré page ci-contre). L’affaire qui a donné lieu à la décision commentée s’inscrit dans ce contexte.

Quartiers déjà urbanisés. Par un arrêté du 3 juin 2003, le maire de Menton a accordé à la société « Soleil d’Or » le permis de construire un immeuble de taille moyenne, ne dépassant pas cinq étages et comportant 41 logements sur une parcelle dont la superficie ne dépasse pas 4 000 m2. La construction devait être réalisée par décrochages successifs à l’arrière d’une villa de caractère, réhabilitée. Elle devait être entourée de deux immeubles de sept étages. Des voisins mécontents de ce projet l’ont contesté devant le juge, assortissant leur requête d’une demande de suspension, en application de l’article L.521-1 du Code de justice administrative. Par une ordonnance du 23 janvier 2004, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a suspendu l’arrêté litigieux, considérant que le projet en cause, qui entrait dans les prévisions du paragraphe II de l’article L.146-4 du Code de l’urbanisme, constituait une extension de l’urbanisation qui n’était pas limitée. La société « Soleil d’Or » et la commune de Menton se sont pourvues en cassation contre cette ordonnance.

Dans un précédent largement similaire, le Conseil d’Etat avait ainsi annulé l’ordonnance du juge des référés du même tribunal qui avait suspendu l’exécution du permis de construire portant sur la réalisation d’un immeuble de cinq étages comportant 27 logements situés dans la partie urbanisée de la commune de Roquebrune-Cap-Martin et entouré sur trois côtés de parcelles supportant des immeubles de quatre à huit étages (CE, 9 juin 2004, « Commune de Roquebrune-Cap-Martin », n°262 689). Le juge de cassation avait alors estimé que le juge des référés avait dénaturé les pièces du dossier.

Critères retenus. Dans la décision ici en cause, la Haute Assemblée aurait pu se contenter d’un raisonnement du même type. Or suivant les conclusions du commissaire du gouvernement, elle a voulu aller plus loin. Elle s’est attachée à préciser les critères à partir desquels une opération pouvait être considérée comme constituant une extension « non limitée » de l’urbanisation lorsque celle-ci est située en zone déjà urbanisée.

Pour le Conseil d’Etat, une opération projetée en agglomération ou, de manière générale, dans des espaces déjà urbanisés, ne peut être regardée comme une « extension de l’urbanisation» au sens du paragraphe II de l’article L.146-4 du Code de l’urbanisme « que si elle conduit à étendre ou à renforcer de manière significative l’urbanisation de quartiers périphériques ou si elle modifie de manière importante les caractéristiques d’un quartier, notamment en augmentant sensiblement la densité des constructions ».

La seule réalisation dans un quartier urbain d’un ou de plusieurs bâtiments, simple opération de construction, ne peut être regardée comme constituant une extension de l’urbanisation au sens de la loi.

Cet arrêt cherche ainsi à affiner la distinction entre, d’une part, la réalisation d’une simple construction qui, en zone urbaine, ne peut être constitutive, à elle seule, d’une extension de l’urbanisation ; et, d’autre part, des opérations de plus grande ampleur qui, elles, entrent dans le champ d’application du paragraphe II de l’article L.146-4 du Code de l’urbanisme.

En toute logique, la Haute Assemblée censure le raisonnement du juge des référés du tribunal administratif de Nice pour erreur de droit et non pour dénatura­-tion des faits de l’espèce. En effet, la notion d’extension de l’urba­nisation renvoie nécessairement à une opération d’une certaine ampleur, répondant à certaines caractéristiques.

Cohérence. Cette interprétation des textes paraît pour le moins raisonnable. Elle constitue le complément naturel de la solution dégagée par le Conseil d’Etat dans sa décision du 27 septembre 1999 « Commune de Bidart ». Si l’on considère que le paragraphe II de l’article L.146-4 s’applique en zone urbaine, la notion d’extension limitée de l’urbanisation doit alors bénéficier d’une définition prenant en considération les spécificités de cette situation, sous peine de faire tomber sous le coup de ces dispositions toute construction réalisée dans un espace proche du rivage. L’arrêt ici commenté doit être salué car il parachève une construction jurisprudentielle pour lui donner toute sa cohérence.

En revanche, il n’est pas certain que les praticiens soient totalement sécurisés par les critères mis en place. L’examen de la décision semble en reconnaître deux à titre principal pour parler d’extension de l’urbanisation en zone urbaine. L’opération en cause doit:soit étendre des quartiers périphériques aux zones urbanisées , soit modifier de manière importante un quartier déjà urbanisé. Si la première situation semble à peu près facile à identifier, la seconde l’est beaucoup moins. Or en pratique, c’est celle qui risque de donner lieu aux échanges les plus vifs.

Certes, la décision prend soin d’évoquer l’accroissement de la densité au titre des changements de caractéristiques d’un quartier. Mais d’autres éléments peuvent être pris en considération, donnant lieu à de nouvelles questions de seuils, difficiles à résoudre, car l’on se trouvera nécessairement au cœur de zones urbaines.

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