Urbanisme Le droit de reconstruire à l’identique en cas de sinistre

L’article L.111-3 du Code de l’urbanisme protège les propriétaires contre d’éventuelles modifications réglementaires intervenues depuis la construction du bâtiment sinistré. Mais le droit de reconstruire n’est pas absolu. Il est limité par la loi et doit s’effacer en cas de risque certain et prévisible de nature à mettre gravement en danger la sécurité des habitants.

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Les droits du propriétaire à reconstruire un bâtiment détruit par un sinistre se sont vus garantis par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, dite loi SRU, qui a ajouté un article, le L.111-3, au Code de l’urbanisme. Ce dernier dispose que : « La reconstruction à l’identique d’un bâtiment détruit par un sinistre est autorisée, nonobstant toute disposition d’urbanisme contraire, sauf si la carte communale ou le plan local d’urbanisme en dispose autrement, dès lors qu’il a été régulièrement édifié. »

La logique de ce texte est simple. Le législateur a entendu reconnaître au propriétaire le droit de procéder à la reconstruction à l’identique du bâtiment, en le protégeant contre une éventuelle évolution des textes qui serait survenue entre le moment où il a construit et celui où il se trouve dans l’obligation de reconstruire. L’équité et le principe de sécurité juridique sont ici à l’œuvre. Issu d’un amendement parlementaire, l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme semble avoir été en partie inspiré par les conséquences de la tempête de décembre 1999.

Deux limites

Cette clause de protection contre l’évolution des textes et des réglementations n’est toutefois pas absolue. Les dispositions mêmes de l’article L.111-3 assortissent ce droit de deux limites.

l Edification régulière : cette garantie ne bénéficie qu’aux constructions « régulièrement édifiées », c’est-à-dire autorisées par un permis de construire. Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de préciser l’interprétation de cette condition. Dans une décision du 5 mars 2003, « Consorts Lepoutre » (n° 252 422), il a estimé que ne pouvaient être considérés comme répondant à cette condition les bâtiments construits sans autorisation ou en méconnaissance de celle-ci, ainsi que ceux édifiés sur le fondement d’une autorisation annulée par le juge administratif ou retirée par l’administration. En revanche, le permis de « reconstruction » délivré en application de l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme ne peut être contesté au motif de l’illégalité du permis de construire initial. Selon le même arrêt, la protection instituée par l’article L.111-3 s’étend aux constructions détruites par un sinistre qui serait intervenu avant l’intervention de la loi SRU.

l Dispositions d’urbanisme spéciales : certaines dispositions d’urbanisme peuvent faire obstacle à ce droit à la reconstruction. Il s’agit des dispositions spéciales relatives à l’exercice de ce droit qui figureraient dans une carte communale ou un plan local d’urbanisme. Les autorités d’urbanisme local peuvent prévoir des dispositions spécifiques à cet égard, allant notamment jusqu’à une interdiction pure et simple de reconstruire. Le principe de sécurité juridique cède ici le pas devant la possibilité pour l’autorité locale de vouloir modifier l’urbanisation existante. Il n’y a alors pas de protection contre une éventuelle évolution de la réglementation locale d’urbanisme.

Au-delà, et à s’en tenir à la lettre de la loi, toute autre disposition d’urbanisme ne peut faire obstacle à l’exercice du droit de reconstruction. Cette assertion n’est cependant pas aussi exacte qu’il y paraît : c’est toute la portée de l’avis rendu par le Conseil d’Etat le 23 février 2005 (« Mme Hutin », n° 271270).

Une question inédite

Dans cette affaire, la Haute assemblée a été saisie pour avis, en application de l’article L.113-1 du Code de justice administrative, par le tribunal administratif de Nice, lui-même saisi d’un litige mettant en cause l’interprétation des dispositions de l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme sur un point jusqu’alors inédit.

Mme Hutin, propriétaire d’une parcelle comprenant une partie de massif boisée, située sur le territoire de la commune du Beausset (Var), a vu, en 2001, l’un de ses deux bâtiments d’habitation détruit par un incendie. Elle a alors demandé au maire de la commune l’autorisation de reconstruire à l’identique le bâtiment, en invoquant les dispositions de l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme. Le maire a rejeté cette demande, en se fondant sur les dispositions de l’article R.111-2 du même Code. Celles-ci prévoient qu’un permis peut être refusé ou assorti de prescriptions spéciales lorsque la construction serait de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique.

Fort du précédent incendie de 2001 et sensible aux risques que les constructions peuvent faire courir aux espaces boisés, le maire, après avoir recueilli l’avis des services départementaux de lutte contre l’incendie et de l’Office national des forêts, a estimé que la reconstruction à l’identique du bâtiment détruit était de nature à porter atteinte à la sécurité ­publique.

La propriétaire a alors invoqué les dispositions de l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme, qui semblent directement condamner le raisonnement suivi par le maire, les dispositions de l’article R.111-2 constituant une de ces dispositions d’urbanisme qui ne peuvent faire obstacle au droit de reconstruire. Le maire objectait que l’exercice de ce droit de reconstruction devait s’effacer devant des considérations de sécurité publique. Le tribunal administratif de Nice a estimé que cette question était suffisamment délicate pour interroger le Conseil d’Etat.

Interprétation littérale

Une première interprétation consiste à s’en tenir à une lecture littérale des dispositions de l’article L.111-3 : lorsque le législateur a visé « toute disposition d’urbanisme contraire », et sous réserve des exceptions précitées, il n’a pas entendu en admettre d’autres. La lettre même de ces dispositions plaide pour cette interprétation : le texte est clair et, en énonçant lui-même un certain nombre d’exceptions, il paraît évident qu’il n’a pas entendu en prévoir d’autres. D’un point de vue plus pratique, si une municipalité ne souhaite pas permettre l’exercice du droit de reconstruire, y compris pour des motifs tirés de la protection de la sécurité publique, il lui appartient de prévoir des restrictions explicites, par exemple en classant les terrains considérés en zone inconstructible dans la carte communale ou dans le plan local d’urbanisme.

Cette vision du texte pouvait d’ailleurs se prévaloir d’un précédent portant sur l’interprétation à donner des dispositions de l’article L.600-2 du Code de l’urbanisme. Celles-ci prévoient qu’en cas d’annulation par le juge d’un refus de permis de construire, un nouveau refus ne peut être opposé « sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à la date d’intervention de la décision annulée ». Comme pour l’interprétation de l’article L.111-3, était également en cause l’expression « disposition d’urbanisme ».

Dans une décision du 12 juin 2002, « Préfet de la Charente-Maritime », le Conseil d’Etat a donné une interprétation extensive de cette notion : il a estimé que les plans de prévention des risques naturels prévisibles, pourtant pris en application des dispositions de l’article L.562-1 du Code de l’environnement, constituaient des dispositions d’urbanisme au sens de l’article L.600-2 du Code de l’urbanisme. Compte tenu de cette interprétation, il paraît a fortiori peu contestable que toute disposition figurant dans le Code de l’urbanisme constitue une disposition d’urbanisme, au sens de l’article L.111-3, et que tel est donc bien le cas de celles de l’article R.111-2 ici en cause.

Argument de principe

Malgré la force de ces arguments, une seconde lecture est possible. Elle consiste à admettre que si toute disposition d’urbanisme ne peut normalement faire obstacle à l’exercice du droit de reconstruire, une exception doit être faite pour celles qui touchent à la salubrité et à la sécurité publique. Un argument de principe, tiré justement de la lettre de l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme, peut plaider en ce sens. En effet, dès lors que certaines règles locales peuvent empêcher la reconstruction, le droit institué par cet article n’est pas un droit absolu. Un certain nombre de restrictions étant admises, ce n’est pas méconnaître directement l’intention du législateur que d’en envisager d’autres.

Dans son avis du 23 février 2005, le Conseil d’Etat a retenu cette seconde interprétation. D’abord, la Haute assemblée a estimé que le droit de reconstruction instauré par l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme ne présentait pas un caractère absolu, « dès lors que, tant le plan local d’urbanisme qu’une carte communale peuvent y faire échec par des dispositions spéciales relatives à la reconstruction ». Ensuite, elle a considéré que le législateur n’avait pas entendu donner « le droit de reconstruire un bâtiment dont les occupants seraient exposés à un risque certain et prévisible de nature à mettre gravement en danger leur sécurité, notamment lorsque c’est la réalisation d’un tel risque qui a été à l’origine de la destruction du bâtiment pour la reconstruction duquel le permis est demandé ». Dès lors, malgré les dispositions de l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme, le maire est en droit de refuser un permis ou de l’assortir de prescriptions spéciales, s’il se trouve dans un cas où les dispositions de l’article R.111-2 peuvent être valablement invoquées.

Pas de compétence liée

A la question de savoir si, dans une telle situation, le maire était en position de compétence liée, le Conseil d’Etat a répondu sans surprise par la négative. L’usage des dispositions de l’article R.111-2 (rejeter la demande de permis de construire ou l’assortir de prescriptions) implique l’exercice d’un pouvoir d’appréciation des faits (CE, section 3, février 1999, « Montaignac », rec. CE p. 6). Dans ce cas, le refus de permis de construire qui serait opposé devrait être motivé et précédé de la procédure contradictoire prévue à l’article 29 de la loi du 12 avril 2000, comme chaque fois d’ailleurs que l’autorité administrative fait usage des dispositions de l’article R.111-2.

Il faut se féliciter de l’interprétation raisonnable donnée ici aux dispositions de l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme qui, par leur généralité, pouvaient conduire à des situations peu satisfaisantes pour la logique. Encore faut-il que les autorités locales fassent une application mesurée des dispositions de l’article R.111-2 et qu’au nom des impératifs de sécurité publique, il ne soit pas fait obstacle de manière abusive au droit à la reconstruction posée par le ­législateur.

Sinon, le texte serait vidé de sa substance et une interprétation raisonnable de la loi se transformerait en moyen de faire fréquemment obstacle à son ­application.

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