Urbanisme : la réversibilité, un nouveau modèle de sobriété

Au-delà d'un cadre juridique adapté, la mutation du bâti nécessitera des évolutions sociétales.

Réservé aux abonnés
Urbanisme
Urbanisme

La ville de demain fait face à deux immenses défis : l'un environnemental avec le virage « post-carbone », l'autre sociétal en vue de garantir un logement pour tous dans un contexte de raréfaction du foncier. Y répondre intelligemment suppose de pouvoir agir sur le bâti existant, par sa transformation, mais aussi et surtout d'anticiper l'adaptabilité de l'immeuble sur le long terme et ainsi lutter contre l'obsolescence. C'est tout le sens du concept de « réversibilité ».

Passer du concept à la réalité - les projets immobiliers réversibles restant encore exceptionnels - suppose néanmoins de surmonter plusieurs obstacles, en particulier sur le plan juridique, par la mobilisation d'outils novateurs. D'ores et déjà, la sophistication progressive de la règle d'urbanisme a conduit à l'émergence d'une multiplicité de dispositifs permettant une relative réversibilité des usages et la mutabilité du bâti.

Changer la destination d'un immeuble

Tout d'abord, la reconversion du bâti existant afin de l'adapter à des fonctions nouvelles - ce que l'on nomme « transformation » - peut être opérée par le biais du changement de destination. L'attribution d'une affectation différente de celle attachée initialement au bâtiment, qui intervient entre les différentes catégories de destinations listées à l'article R. 151-27 du Code de l'urbanisme (C. urb.), bénéficie théoriquement d'une relative souplesse dès lors que les changements de destination sont en principe soumis au régime de la déclaration préalable lorsqu'ils ne s'accompagnent pas de travaux ayant pour effet de modifier les structures porteuses ou la façade du bâtiment (art. R. 421-14 et R. 421-17 C. urb.).

Néanmoins, les hypothèses dans lesquelles le projet serait exempté de permis demeurent limitées. En effet, les prescriptions architecturales s'attachant à la construction des différents types de programmes - bureaux, logements - sont particulièrement éloignées et exigent souvent d'intervenir sur les éléments structurants de la construction dont la reconversion est envisagée.

Dérogation au PLU. Au-delà des questions s'attachant à la conception même de l'ouvrage et à sa capacité transformative, les règles locales d'urbanisme peuvent elles aussi constituer un écueil à la réhabilitation de l'existant. Une proposition de loi visant à faciliter la transformation en logements des bâtiments de destination autre qu'habitation - qui devait être soumise à l'examen d'une commission mixte paritaire avant la dissolution de l'Assemblée nationale et dont l'issue reste pour l'heure incertaine - autorise le changement de destination de bâtiments tertiaires (ou de bâtiments ruraux qui n'ont plus de vocation agricole) en logements dans les zones où une telle destination n'est pas autorisée, en dérogeant aux règles du plan local d'urbanisme (PLU).

S'affranchir des règles d'urbanisme

Cela étant, anticiper l'évolution de l'immeuble suppose d'envisager sa « réversibilité », qui ambitionne précisément de se soustraire à l'hyperspécialisation des programmes immobiliers.

Permis d'innover. On s'arrêtera en premier lieu sur le « permis d'innover », dispositif expérimental créé par la loi « LCAP » du 7 juillet 2016 (art. 88), puis élargi par la loi « Elan » du 23 novembre 2018. Il permet aux maîtres d'ouvrage, jusqu'en novembre 2030, de s'affranchir de certaines règles opposables aux constructions et aménagements dans le cadre du développement de projets situés, notamment, dans le périmètre d'une opération d'intérêt national (OIN), ou d'une grande opération d'urbanisme (GOU). Cet outil a été utilisé pour la première fois dans le périmètre de l'OIN Euratlantique à Bordeaux (Gironde) : une tour d'environ 4 000 m², conçue pour évoluer et s'adapter aux besoins des utilisateurs, a été autorisée en mai 2023. La demande ne comportait aucune indication quant à la destination de l'immeuble. Autrement dit, un permis sans affectation, rendu possible par la réalisation d'un ensemble de planchers pouvant passer d'un usage à l'autre, de logements en espaces de travail modulables et inversement.

Permis d'expérimenter. Cette innovation législative a inspiré la création du « permis d'expérimenter » par l'article 49 de la loi « Essoc » du 10 août 2018 (art. L. 112-1 à L. 112-12 et R. 112-1 à R. 112-8 du Code de la construction et de l'habitation [CCH]). L'outil autorise les maîtres d'ouvrage à s'éloigner de certaines règles de construction par des moyens innovants, en apportant la preuve de l'atteinte d'un effet équivalent à celui poursuivi par les dispositions dont l'application a été écartée.

Pouvoir dérogatoire du préfet. Un droit à la dérogation, à la main des préfets, existe également dans diverses matières parmi lesquelles la construction, le logement et l'urbanisme. Cette dérogation est justifiée par la nécessité d'adaptabilité aux circonstances locales des normes arrêtées par l'administration de l'Etat (décret n° 2020-412 du 8 avril 2020). Ce dispositif n'a néanmoins pas encore été mis au service de la réversibilité, quand bien même il pourrait être exploité à cette fin, et non pas seulement en vue d'assurer des solutions d'urbanisme temporaires, notamment à la suite de catastrophes naturelles.

Le permis à double état, non généralisable

Rendu nécessaire par les JO de Paris pour en assurer un héritage durable, le permis « à double état » est régi par les dispositions de la loi du 26 mars 2018 relative à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 et son décret d'application (n° 2018-512 du 26 juin 2018). Le dispositif autorise, dans une seule décision, un état provisoire de la construction - nécessaire à la réalisation de l'événement - et un état définitif.

Ce régime dérogatoire n'a toutefois été rendu possible que par la stricte temporalité dans laquelle s'insère l'état intermédiaire des aménagements envisagés, découlant du caractère intrinsèquement éphémère de la manifestation sportive. Il n'a ainsi vocation à régir qu'une situation exceptionnelle, provisoire et précisément délimitée. De fait, il constitue un cadre juridique difficilement transposable à l'appréhension d'une réversibilité généralisée, dont la vocation première serait d'apporter une réponse opérationnelle à l'obsolescence des fonctionnalités et des usages, laquelle ne peut être que difficilement anticipée.

Vers un outil juridique adapté ?

La généralisation de l'édification d'immeubles réversibles, dont la conception permettrait de réduire tant le coût que l'ampleur des modifications rendues nécessaires par le changement de destination, suppose la création d'un outil juridique adapté. La proposition de loi précitée prévoit un permis portant sur plusieurs destinations possibles, dit « multi-destination », ce qui constituerait, si le travail législatif reprend sur ces mêmes bases, une innovation juridique majeure.

Le dispositif constituerait ainsi un moyen d'accompagner efficacement et de sécuriser les initiatives d'architectes et de promoteurs cherchant à concevoir des projets hybrides au service non plus d'une fonctionnalité unique mais de ses usagers et de leurs besoins évolutifs.

Evolutions sociétales. De manière générale, la réversibilité est un moyen de renforcer l'attractivité des villes et la mixité urbaine en corrigeant à la marge des usages mal calibrés ou dépassés. Elle permet également d'allonger considérablement la durée de vie des bâtiments - dont l'édification est très consommatrice d'énergie - et favorise la circularité.

Cette reconversion préméditée dénote largement du modèle culturel et économique actuel de la promotion immobilière, car inadaptée à l'échelle temporelle d'appréciation de la rentabilité d'une opération. Elle supposerait la mutation corrélative du cadre juridique, fiscal ainsi que du régime de la responsabilité des constructeurs. Ce dernier ne convient pour l'instant pas à la potentialité d'un bâtiment aux cycles de vie multiples. Plus encore, la réversibilité nécessiterait l'adaptation des projets de territoire à la perméabilité des usages, en vue d'inscrire définitivement l'immeuble dans une logique de durabilité et de sobriété.

Ce qu'il faut retenir

  • De nombreux outils permettent une relative réversibilité des usages et la mutabilité du bâti. Le changement de destination d'un immeuble existant peut être réalisé sans permis de construire si les travaux n'ont pas pour effet de modifier les structures porteuses ou la façade du bâtiment.
  • Le permis d'innover autorise à titre expérimental les maîtres d'ouvrage à s'affranchir de certaines règles d'urbanisme pour des projets situés dans le périmètre d'une grande opération d'urbanisme ou d'une opération d'intérêt national. Le permis à double état a, lui, été conçu pour les besoins des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Il constitue un cadre juridique difficilement généralisable.
  • L'émergence d'un permis « multi-destination » permettrait de renforcer la mixité urbaine et d'inscrire la ville dans une logique de sobriété.
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !