Le projet de plan local d'urbanisme bioclimatique (PLU-B) de Paris entre dans sa dernière ligne droite. La commission d'enquête publique - qui s'est achevée le 29 février 2024 - a remis son rapport le 9 juillet. Il est mis en ligne sur le site internet de la Ville depuis le 29 juillet. Le PLU-B devrait être approuvé par le Conseil de Paris avant la fin de l'année.
Lancée en décembre 2020, la révision du document d'urbanisme de la capitale a donné lieu à un processus d'informations et d'échanges qui bat tous les records : une concertation préalable particulièrement suivie (51 réunions publiques, plus de 50 000 propositions) entre avril 2021 et novembre 2022, et une enquête publique intense (53 jours d'enquête, 4 réunions publiques, 52 permanences, 14 303 contributions, une synthèse de 400 pages et un rapport de 1 034 pages).
Avis favorable
Au terme de ce rapport, la commission, « bien que consciente que toutes les dimensions de l'urbanisme parisien ne seront pas résolues, estime que le PLU-B va toutefois dans un sens très vertueux et décide de lui donner un avis favorable à l'unanimité de ses membres ».
Cet avis est assorti de vingt recommandations et d'une réserve. Les recommandations sont assez variées, pour certaines techniques, et même parfois clairement en dehors du champ du PLU-B, comme celle relative à la réduction de la vitesse maximale sur le périphérique.
Mixité fonctionnelle
Une recommandation concerne la règle de la mixité fonctionnelle, qui impose - de manière schématique - d'affecter 11 % de la surface de plancher (hors rez-de-chaussée et sous-sol) à du logement, en cas de construction neuve, restructuration lourde, extension, surélévation ou changement de destination ou de sous-destination d'un immeuble d'activités de plus de 4 500 m², dans le secteur de développement de l'habitation qui couvre presque tout l'Ouest parisien.
Cette règle a fait l'objet d'un grand nombre de critiques, que la commission a entendues et comprises. Aussi recommande-telle qu'en soient exclus les opérations de restructuration lourde et les changements partiels de sous-destination. Autrement dit, sans création de surface ex nihilo, ni changement complet de la destination de l'immeuble, la règle ne s'appliquerait pas.
Moratoire sur les bureaux ?
Par ailleurs, la Ville semble avoir admis que le « moratoire » sur les bureaux instauré par le PLU-B était trop « strict », comme le soulignait d'ailleurs l'Etat dans le cadre de l'avis émis en qualité de « personne publique associée ».
En particulier, elle pourrait revenir sur l'interdiction absolue de créer tout nouveau m² de bureau, en annonçant - de manière il est vrai très prudente - que « les enjeux économiques de la rénovation thermique des bâtiments comme l'intérêt pour le maintien des emplois et la vitalité du tissu économique de permettre aux entreprises de bénéficier de surfaces supplémentaires sans relocalisation, pourraient conduire à admettre, dans certains cas et lorsque sont satisfaits par ailleurs les objectifs de production de surfaces de logement, la possibilité d'augmenter marginalement la surface des locaux tertiaires ».
La règle de la mixité fonctionnelle a fait l'objet d'un grand nombre de critiques que la commission a entendues et comprises.
Quid de la notion de restructuration lourde
Une autre recommandation répond à une attente forte des opérateurs de disposer d'une définition plus précise de la notion de « restructuration lourde », la Ville de Paris ayant d'ores et déjà annoncé qu'elle en exclurait « les interventions visant à améliorer la performance énergétique des constructions… ». Il faut espérer que cette exclusion soit plus précise et vise expressément les travaux de mise aux normes avec le dispositif éco-énergie tertiaire.
Constructibilité et densité
S'agissant de l'évolution de la constructibilité et de la densité, la commission note que « la Ville a pris soin de répondre très précisément aux interrogations du public ». Néanmoins, l'enquête révèle que « le rejet de la densité s'exprime surtout lorsqu'un espace vert remarquable est réduit ou modifié pour y implanter de nouvelles constructions ou qu'une dent creuse est comblée ».
Si elle paraît difficile à apprécier, la baisse de la constructibilité annoncée sera effective et le choix de privilégier la surélévation apparaît justifié pour la commission : « Le travail très approfondi effectué sur les hauteurs et gabarits de constructions garantit un usage raisonné des surélévations dans le diffus. » La Ville doit néanmoins poursuivre le travail amorcé par des études plus poussées sur l'impact des nouvelles constructions sur la circulation des masses d'air et les effets d'îlots de chaleur.
Hébergements touristiques
Par ailleurs, le PLU-B instaure un nouveau secteur d'interdiction des meublés touristiques qui couvre les arrondissements centraux de la capitale et la butte Montmartre : « Des professionnels ont critiqué l'absence de justification sérieuse dans certains quartiers du périmètre retenu, tandis que le public a proposé d'autres quartiers à intégrer dans le secteur d'interdiction. » Ce dernier est fondé sur un découpage très fin en fonction du nombre d'enregistrements de meublés touristiques pour 1 000 habitations. Ce découpage, au demeurant objectif, n'apparaît pas suffisant à la commission. Aussi préconise-t-elle de revoir les critères dudit secteur d'encadrement des « autres hébergements touristiques », et de faire évoluer - si nécessaire -son périmètre.
La commission regrette en effet, d'une part, que ce secteur ait été déterminé à un instant T déjà relativement ancien (2021), alors que le nombre d'autorisations liées aux meublés progresse vite. D'autre part, le nombre d'autorisations accordé intègre les résidences principales louées moins de 120 jours par an qui sont, en réalité, sans incidence sur le marché locatif.
Changement de destination
En parallèle, la commission déplore l'absence de dispositions visant à mieux encadrer le développement de l'hôtellerie. Elle note que les constructions neuves, extensions et surélévations relevant de la sous-destination « autres hébergements touristiques » - dont font partie les meublés touristiques - ainsi que le changement de sous-destination des locaux relevant de la sous-destination « bureau » vers la sous-destination « autres hébergements touristiques » sont interdits, mais que rien n'est prévu pour le changement de sous-destination « bureaux » vers « hôtels », alors qu'en pratique la différence entre les activités d'hôtellerie et de locations meublées touristiques tend à s'estomper.
Une réserve sur les emplacements réservés
La seule et unique réserve émise par la commission d'enquête publique est de taille, puisqu'elle tend à ce que la Ville renonce aux emplacements réservés (ER) qu'elle a inscrits sur les groupes scolaires - cette mesure ayant concentré 60 % des 14 000 observations -, ainsi qu'à « la centaine d'immeubles déjà jugés inadaptés par les services de la Ville dans le cadre de l'examen des contributions recueillies lors de l'enquête ».
Pour mémoire, l'article L. 151-41 du Code de l'urbanisme prévoit qu'un PLU peut instituer des ER notamment pour la réalisation de voies et ouvrages publics, d'installations d'intérêt général, d'espaces verts, ou de programmes de logements.
La constructibilité d'un terrain grevé d'un emplacement réservé est très impactée, puisqu'à l'exception des constructions précaires, il n'est pas possible d'y réaliser un projet immobilier qui ne serait pas conforme à l'objet de la réserve, même lorsque ce projet n'empêche pas la réalisation future de la réserve (CE, 19 juillet 2023, n° 456409).
Retrait ou réadaptation des ER
Ce faisant, la commission se fait l'écho de la réponse que la capitale a apportée aux observations concernant les ER grevant, pour l'immense majorité des cas, des immeubles de bureaux dans l'Ouest parisien : « Dans le cadre de l'instruction des contributions à l'enquête publique, la Ville conduit un réexamen systématique des 301 emplacements réservés ayant fait l'objet d'une contestation, donnant lieu à une analyse par des architectes de la direction du logement et de l'habitat et d'assistants à maîtrise d'ouvrage accompagnant la Ville dans l'élaboration du PLU-B. L'ensemble des arguments techniques portés à la connaissance de la Ville ont ainsi pu être intégrés dans cette nouvelle analyse des parcelles. Il ressort […] de ces éléments d'information qu'une centaine de parcelles ou d'immeubles concernés semblent moins adaptés à une transformation en logement qu'initialement prévu ou que celle-ci est rendue particulièrement complexe. Le retrait ou la réadaptation de ces ER pourrait être proposé au Conseil de Paris. »
Approche pragmatique
Si la commission d'enquête - à quelques rares exceptions près - ne s'est pas prononcée sur les observations formulées par les propriétaires d'immeubles « pastillés », elle a fait montre d'une grande sévérité à l'égard de l'utilisation déraisonnable de l'institution de l'ER par la Ville de Paris.
Elle a retenu une approche pragmatique des choses, en soulignant que « la Ville sous-estime par ailleurs complètement l'impact d'un emplacement réservé sur des immeubles dédiés aux activités économiques. L'emplacement peut être maintenu à vie, puisqu'il y aura toujours un programme de l'habitat à Paris justifiant le besoin en logements. L'emplacement rend l'immeuble invendable à un tiers, et difficilement vendable à la Ville, compte tenu de la durée de la procédure du droit de délaissement peu compatible avec la fluidité des affaires, surtout s'il n'y a pas accord amiable sur le prix.
Si le propriétaire choisit de réaliser lui-même ou par un opérateur de son choix l'emplacement réservé, outre le coût des travaux de transformation, il subit une baisse de valeur importante de son immeuble ». Les propriétaires concernés doivent désormais attendre l'adoption du PLU-B pour vérifier si leurs demandes de « dépastillage » auront été prises en compte.
Un avis défavorable de la commission d'enquête peut aider les requérants en cas de recours contre la délibération d'approbation.
Suivre ou ne pas suivre l'avis de la commission d'enquête
D'un point de vue juridique, l'avis de la commission d'enquête ne lie pas la Ville de Paris qui peut donc passer outre un avis défavorable (voir CAA Nantes, 18 mai 2016, n° 14NT02489), étant observé qu'un avis favorable assorti d'une réserve non levée est assimilé à un avis défavorable (CE, 13 juillet 2007, n° 298772, mentionné aux tables du Recueil). De même, « aucune disposition législative ou réglementaire ne fait obligation au conseil municipal de se conformer aux suggestions ou recommandations émises par le commissaire enquêteur dans son rapport » (CE, 2 avril 1993, n° 97150). Il n'est pas davantage imposé « que l'examen des conclusions défavorables du commissaire enquêteur fasse l'objet d'une réunion distincte de celle au cours de laquelle le conseil municipal approuve la modification du PLU-B ou d'une délibération matériellement distincte de la délibération approuvant le projet » ; ni encore que « l'organe délibérant débatte spécifiquement des conclusions du commissaire enquêteur » (CE, 15 décembre 2015, n° 374027, mentionné aux Tables).
Cela étant, il convient de noter que lors de la dernière modification générale du PLU de la capitale, le Conseil de Paris, dans sa délibération de juillet 2016, avait pris le soin de rappeler et de répondre à la réserve et aux huit recommandations émises par la commission d'enquête, en sorte que l'on peut raisonnablement s'attendre à ce qu'il procède de la même manière.
Conséquence sur le plan contentieux
Enfin, il faut souligner qu'un avis défavorable - comme un avis favorable assorti d'une réserve qui ne serait pas levée - n'est pas sans conséquence sous l'angle contentieux. Il peut tout d'abord venir alimenter les arguments des requérants souhaitant contester la délibération approuvant le PLU-B, en particulier en tant que l'emplacement réservé a été maintenu sur leur terrain.
Sur le plan procédural ensuite, ils pourront plus facilement obtenir la suspension en référé de la délibération d'approbation car ils n'auront pas à justifier de la condition d'urgence mais seulement de l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de celle-ci (art. L. 123-16 du Code de l'environnement ; CE, 13 juillet 2007, précité).
D'ici la fin de l'année 2024 et sauf volte-face, la Ville de Paris aura adopté le premier PLU bioclimatique et nous pourrons alors apprécier la manière dont elle aura pris en compte les résultats de l'enquête publique. On peut objectivement affirmer que, sur la forme, la municipalité a réussi son pari et a su mener une procédure de révision exemplaire en termes de communication, d'information et d'échanges avec le public. Il appartiendra vraisemblablement au juge administratif de se prononcer sur le fond, le document d'urbanisme parisien comportant plusieurs mesures qui ne manqueront pas de retenir l'attention des juristes.
Ce qu'il faut retenir
- La commission d'enquête publique a donné un avis favorable sur le projet de plan local d'urbanisme bioclimatique (PLU-B) de Paris.
- Elle préconise que soient exclues de la règle de mixité fonctionnelle - qui impose d'affecter 11 % de la surface de plancher à du logement - les opérations de restructuration lourde et les changements partiels de sous-destination.
- Concernant la constructibilité et la densité, la commission estime justifié le choix de la Ville de privilégier la surélévation.
- Elle suggère néanmoins de poursuivre le travail d'études concernant l'impact des nouvelles constructions sur la circulation des masses d'air et les îlots de chaleur.
- La seule réserve émise tend à ce que la Ville renonce aux emplacements réservés inscrits sur les groupes scolaires et la centaine d'immeubles jugés inadaptés.