Jurisprudence

Urbanisme : fin du contrôle de l'ERP « coquille vide » au stade du permis de construire

La décision du Conseil d'Etat du 13 janvier 2023 peut se révéler source de complications en l'absence de vérification du respect des règles de sécurité incendie et d'accessibilité.

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Urbanisme
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2018/05/23N°405937

Par une décision du 13 janvier 2023 (n° 450446, mentionnée aux tables du recueil Lebon), le Conseil d'Etat a jugé que lorsque l'aménagement intérieur de locaux constitutifs d'un établissement recevant du public (ERP) n'est pas connu au moment du dépôt de la demande de permis de construire, ce dernier ne tient pas lieu d'autorisation au titre de la réglementation des ERP. Une décision qui est loin d'être anodine et dont l'application augure de nombreuses complications pratiques.

Un cadre juridique protecteur

Selon l' (CCH) [ex-article L. 111-8], les travaux qui conduisent à la création, l'aménagement ou la modification d'un ERP ne peuvent être exécutés qu'après autorisation délivrée par l'autorité administrative (le maire au nom de l'Etat ou le préfet selon les cas) après avis de la commission consultative départementale de sécurité et d'accessibilité. Lorsque ces travaux sont soumis à permis de construire, celui-ci tient lieu de cette autorisation dès lors que sa délivrance a fait l'objet d'un accord de la même autorité. Toutefois, lorsque l'aménagement intérieur d'un ERP ou d'une partie de celui-ci n'est pas connu lors du dépôt de la demande de permis de construire, une autorisation complémentaire doit alors être obtenue en ce qui concerne cet aménagement intérieur avant son ouverture au public. Ces dispositions se retrouvent en miroir au sein de l' (C. urb.).

Coquille vide. Ce régime particulier, appelé « ERP coquilles vides » ou « ERP coques vides », issu de l', vise à sécuriser les opérations de construction d'ERP en permettant à un constructeur de déposer son permis de construire - qui vaudra autorisation au titre des ERP - alors même qu'il ne connaît pas encore les détails de l'aménagement intérieur de l'établissement. Situation très fréquente quand le permis est déposé par le propriétaire qui n'a pas encore commercialisé la coque. L'autorisation de travaux ERP est alors déposée ultérieurement par le preneur ayant conclu un bail commercial avec le bénéficiaire du permis.

Dans son arrêt du 13 janvier, le Conseil d'Etat rappelle tout d'abord que lorsque l'aménagement intérieur de locaux constitutifs d'ERP n'est pas connu au moment du dépôt de la demande de permis de construire, l'autorité administrative doit expressément informer le pétitionnaire, par une mention au sein de l'arrêté de permis de construire, de l'obligation d'obtenir une autorisation complémentaire avant l'ouverture au public (, mentionné aux Tables).

Simple mention de l'obligation. Mais la Haute juridiction va plus loin et juge que le permis de construire ne tient lieu ni d'autorisation d'aménagement ni d'autorisation de création au titre de la réglementation ERP et que sa légalité n'est pas subordonnée à la délivrance de cette autorisation. Il suffit que l'arrêté mentionne l'obligation d'obtenir une autorisation avant l'ouverture au public.

Une décision critiquable

Cette lecture nous semble contraire aux textes. L' est pourtant très clair : il interdit d'exécuter des travaux conduisant à la création, à l'aménagement ou à la modification d'un ERP sans avoir au préalable obtenu l'autorisation auprès de l'autorité administrative compétente dans le cadre de laquelle la conformité du projet aux règles d'accessibilité et de sécurité incendie est vérifiée. Lorsque le projet est soumis à permis de construire, celui-ci tient lieu de cette autorisation et c'est alors le permis qui permet d'exécuter les travaux de création de l'ERP.

Autorisation complémentaire. Seul l'aménagement intérieur peut faire l'objet d'une autorisation qualifiée de « complémentaire » avant son ouverture au public, lorsque cet aménagement intérieur n'est pas encore connu lors du dépôt de la demande de permis de construire. Le recours à une autorisation complémentaire implique nécessairement l'obtention préalable d'une première autorisation devant concerner « l'enveloppe » de l'ERP. Cette autorisation préalable est alors obtenue au stade du permis de manière à pouvoir créer l'ERP, c'est-à-dire, dans de nombreux cas, à pouvoir le construire. L'autorisation ultérieure relative à l'aménagement intérieur est quant à elle généralement sollicitée et obtenue par le preneur à bail après la construction de l'ERP et avant son ouverture au public.

Si la première autorisation permet d'autoriser une « coquille vide », il est faux de penser que cette autorisation ne serait que formelle. Au contraire, le dossier de permis de construire comporte alors les pièces PC39 et PC40 () qui sont transmises aux commissions afin qu'elles se prononcent sur la conformité de l'ERP aux règles de sécurité incendie et d'accessibilité. Ainsi, à ce premier stade, et sans que l'aménagement intérieur n'ait été déterminé, les commissions sont bel et bien en mesure de s'assurer du respect notamment des questions d'emplacement des issues de secours en façade du bâtiment, de modalités de dégagement et d'évacuation, etc.

Cas d'école. La solution dégagée par le Conseil d'Etat semble ignorer la pratique et est source de danger au regard de la réglementation sécurité incendie. Prenons un cas d'école : un pétitionnaire dépose une demande de permis de construire en vue de la construction d'un bâtiment neuf de bureaux comportant des commerces en pied d'immeuble (ERP de 4e catégorie). En termes de sécurité incendie et d'accessibilité, des règles s'imposent concernant les accès, les unités de passage des entrées et des sorties de l'immeuble, des circulations intérieures et extérieures, du gros œuvre, de l'isolation aux autres établissements, des façades, des matériaux…

Si aucun contrôle n'est effectué au stade de la délivrance du permis, cela implique que le maître d'ouvrage de l'aménagement intérieur du commerce de pied d'immeuble dépose une demande d'autorisation de travaux sur un immeuble potentiellement non conforme aux règles s'imposant aux ERP. Comment le propriétaire/pétitionnaire/bailleur peut-il remplir son obligation de délivrance vis-à-vis du preneur/exploitant du commerce de pied d'immeuble si l'autorisation de travaux ERP est refusée en raison de l'absence de conformité de la construction ? Devra-t-on démolir la construction réalisée parce qu'elle n'intègre pas ou pas correctement les règles de sécurité, ce dont il sera pris conscience au stade de l'aménagement intérieur des ERP ?

Dans une autre affaire (), le rapporteur public Fabrice Verrièle concluait en ce sens : « L' exige notamment que le constructeur précise dans le dossier de sécurité les matériaux utilisés pour le gros œuvre. Il va de soi qu'il n'y aurait plus aucun sens à n'exiger cette information qu'ultérieurement, soit éventuellement une fois la construction achevée. Il serait alors trop tard pour apprécier le respect des normes de sécurité. [...] Ce qu'il faut comprendre, [...], c'est que le permis de construire tient lieu de l'autorisation au titre des ERP dans tous les cas. Lorsque le permis renvoie à une autorisation, qualifiée de complémentaire [...], celle-ci ne concerne que l'aménagement intérieur de la construction, mais pour le reste (gros œuvre, accès, façades, circulations extérieures, etc.), l'autorisation est toujours confondue avec le permis. » Une sage lecture des dispositions du Code de l'urbanisme et du CCH qui n'a malheureusement pas été retenue par le Conseil d'Etat.

Ce qu'il faut retenir

• La création, l'aménagement ou la modification d'un établissement recevant du public (ERP) nécessite l'obtention d'une autorisation permettant de vérifier sa conformité aux règles d'accessibilité et de sécurité incendie. Si un permis de construire est requis, ce dernier tient lieu de ladite autorisation (art. L. 122-3 du CCH).

• Lorsque l'aménagement intérieur d'un ERP n'est pas connu au moment du dépôt du permis de construire, une autorisation « complémentaire » doit être obtenue avant l'ouverture au public.

• Le Conseil d'Etat a récemment jugé que dans cette hypothèse, le permis de construire ne tenait pas lieu d'autorisation au titre de la réglementation des ERP et que sa légalité n'était pas subordonnée à la délivrance de cette autorisation. Il suffit que l'arrêté de permis mentionne l'obligation d'obtenir une autorisation avant l'ouverture au public.

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