Interview

Urbanisme : « En moyenne, les dossiers sont jugés en vingt mois », Alain Poujade, président du tribunal administratif de Rennes

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Alain Poujade
« Ce sont les projets de taille modeste qui sont les plus contestés mais le tribunal est aussi saisi de litiges concernant des programmes immobiliers de plus de 50 logements », explique Alain Poujade.

A la tête de la juridiction bretonne depuis un an, le magistrat fait le point sur son activité et sur les moyens mis en œuvre pour mettre fin rapidement aux contentieux bloquant des projets de construction.

Le nombre de contentieux est-il en augmentation ?

L'année 2024 a été une année record, avec 7 700 requêtes enregistrées, tous contentieux confondus. Cela représente près d'un millier d'entrées de plus qu'en 2023. Ce phénomène s'explique essentiellement par l'augmentation d'environ 15 % du contentieux des étrangers et par celle - également de 15 % - du nombre des requêtes en matière de droits sociaux.

A noter aussi une hausse des entrées en matière de fiscalité.

Quelle est la part des recours liés à l'urbanisme ?

Le contentieux de l'urbanisme représente 10 % des requêtes enregistrées, derrière celui des étrangers (30 %), de la fonction publique et des droits sociaux (11 % chacun). Environ 1 150 dossiers d'urbanisme sont en instance, dont 16 % de plus de deux ans. Ce sont les projets de taille modeste qui sont les plus contestés mais le tribunal est aussi saisi de litiges concernant des programmes immobiliers de plus de 50 logements. A titre d'illustration, sont en cours d'instance un projet de 126 logements étudiants ou encore une résidence pour personnes âgées de 58 logements à Rennes. Dans le Morbihan et le Finistère, 81 dossiers concernant du collectif sont en attente. Des plans locaux d'urbanisme (PLU) font également l'objet de recours dans ces deux départements. Les requêtes portent souvent sur des questions de zonage et d'application de la loi Littoral (définition et identification des espaces urbanisés).

Le tribunal a-t-il déjà eu à connaître de litiges liés aux enjeux climatiques ?

Concernant le littoral, le tribunal est saisi de contentieux concernant les risques de submersion marine. Une trentaine de dossiers portant sur des plans de prévention des risques littoraux et des permis de construire ont été jugés depuis 2020. Le rythme s'accélère avec 11 dossiers de ce type jugés en 2024. Nous commençons aussi à avoir quelques contentieux sur les parcs solaires. Ce sont des dossiers extrêmement délicats à traiter et qui induisent une charge de travail conséquente.

Sous quels délais les dossiers sont-ils jugés ?

En urbanisme, nous avons deux priorités : statuer en dix mois pour les permis de construire pour du collectif [art. R. 600-6 du Code de l'urbanisme, NDLR] et juger rapidement les dossiers de plus de deux ans. Nous mettons tout en œuvre pour y parvenir mais c'est en l'état très compliqué. Lorsque j'ai pris mes fonctions en mai 2024, j'ai retiré une soixantaine de vieux dossiers d'urbanisme à une chambre pour les répartir sur trois autres. Cette aide ponctuelle a permis de juger ces dossiers en ce début d'année, mais pour solder ces litiges, les magistrats ont traité un peu moins d'autres dossiers. En moyenne, les contentieux d'urbanisme sont tranchés en vingt mois avec de grandes disparités selon les recours.

Que pensez-vous des textes récents visant à accélérer le contentieux ?

Je n'ai pas d'autre choix que de les appliquer. Il faut définir les priorités, parfois le législateur nous les impose, comme en urbanisme. Pour autant, cela ne signifie pas que pour les autres contentieux, il n'y a pas d'urgence à statuer. En responsabilité hospitalière par exemple, le dossier d'une personne qui a été victime d'une erreur médicale et qui est gravement handicapée, est tout aussi urgent dès lors que son indemnité va lui permettre d'aménager sa salle de bains pour y accéder avec un fauteuil.

Les juges préconisent-ils le recours à la médiation ?

En 2024, 80 médiations ont été engagées à l'initiative du juge, dont près d'un tiers en matière d'urbanisme (permis de construire et déclarations préalables). Cela reste un chiffre presque dérisoire par rapport au nombre de requêtes enregistrées en la matière. Il y a donc un énorme potentiel.

Même si un gros travail est fait depuis de nombreuses années pour favoriser la médiation, il est parfois délicat de convaincre les parties qu'une solution amiable peut être, pour elles, plus pérenne qu'une pure solution en droit, surtout quand un conflit est bien enkysté. Mais il y a un argument de poids qui peut faire pencher la balance : le taux de réussite des médiations.

Sur 2024, près de 50 % des médiations achevées ont débouché sur un accord.

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