Jurisprudence

Urbanisme : diviser pour mieux construire

Un arrêt du Conseil d'Etat semble permettre de lotir à la carte et de densifier l'urbanisation existante.

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Conseil d'Etat (CE)Décision du 2023/11/29N°470788
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2020/01/30N°419837
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2020/11/12N°421590
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2022/06/13N°452457

Le choix du découpage foncier et du montage opérationnel n'est pas sans conséquence sur la constructibilité d'un terrain. Un arrêt récent du Conseil d'Etat l'illustre bien (, mentionné dans les tables du Recueil). Il donne l'occasion de rappeler les différentes options dont dispose le propriétaire souhaitant densifier un terrain bâti. Dans cette affaire, le propriétaire de deux terrains bâtis distincts avait obtenu deux autorisations de lotir :

- un permis de construire valant déclaration préalable de lotissement en vue de la réalisation de travaux d'extension sur une construction existante située sur une parcelle issue d'une division foncière. L'autre parcelle issue de cette division supportait déjà une construction et n'était pas incluse dans le périmètre du permis ainsi obtenu.

- un permis d'aménager (PA) pour la division d'un terrain en deux parties, dont l'une seulement avait vocation à être bâtie, l'autre accueillant déjà des constructions devant être conservées.

Une association a contesté les permis et, en particulier, les conditions dans lesquelles les divisions sont intervenues. Le Conseil d'Etat a rejeté les requêtes.

Terrain déjà bâti

Pour mémoire, la division en propriété ou en jouissance d'une unité foncière constitue un lotissement dès lors qu'au moins un terrain issu de cette division est destiné à être bâti (art. et du Code de l'urbanisme [C. urb.]). La vente d'un terrain déjà bâti ne peut donc être regardée comme constitutive d'un lotissement, a énoncé le Conseil d'Etat. Cette solution n'est ni nouvelle, ni surprenante. Lorsqu'un terrain supporte déjà une construction, on peut raisonnablement en déduire qu'il est viabilisé, de sorte que son détachement échappe a priori au régime du lotissement. Ce principe trouve à s'appliquer quelle que soit l'ampleur des travaux réalisés sur le bâti existant. En l'espèce, il s'agissait d'augmenter la surface de plancher de 45 % et de réaliser un garage et une piscine.

Conformité aux règles d'urbanisme. Le périmètre du lotissement peut ne comprendre qu'un unique lot à bâtir ou comprendre, avec un ou des lots à bâtir, des parties déjà bâties de l'unité foncière. Le Code de l'urbanisme permet de déposer une déclaration préalable (DP) ou un PA sur une partie seulement de l'unité foncière et d'exclure du périmètre du lotissement le reliquat déjà bâti (art. L. 442-1-2). En l'espèce, l'association soutenait que le maire aurait dû refuser le PA au motif qu'après le détachement du lot à bâtir, le reliquat déjà bâti ne serait plus conforme aux règles d'urbanisme. Elle fondait sa critique sur le plan local d'urbanisme (PLU) en vertu duquel « dans le cas d'un lotissement […] les règles édictées par le [PLU] s'appliquent à chacun des terrains issus de la division […] ».

Le Conseil d'Etat écarte ce moyen en jugeant que « l'appréciation de la conformité aux règles d'urbanisme de la construction existante située sur le terrain déjà bâti, issu de la division mais non inclus dans le périmètre du lotissement, n'avait pas à être vérifiée pour délivrer le permis d'aménager ». Il précise que les règles du PLU ne peuvent pas légalement déroger à ce principe. Ce faisant, il confirme que le choix d'inclure ou non le reste du terrain conservé par le propriétaire est à sa discrétion ; il pourra opter pour la solution la plus favorable en termes de droits à construire, sans que l'éventuelle non-conformité de la construction existante ne puisse faire obstacle à la délivrance du PA.

Liberté de choix du propriétaire

Cette liberté du propriétaire dans le choix du périmètre du lotissement semble pensée - ou à tout le moins appliquée - précisément pour lui permettre d'optimiser la constructibilité du terrain. Pour rappel, le lotisseur peut inclure dans le périmètre des terrains non constructibles, dont l'instructeur doit alors tenir compte pour vérifier le respect des règles d'urbanisme (, mentionné aux Tables).

Le vendeur d'un terrain à diviser est donc libre d'exclure du périmètre du lotissement une partie de son terrain, qu'elle soit bâtie ou non. Dans l'hypothèse où ce reliquat ne serait pas bâti (ou s'il est envisagé de démolir la construction existante), le mauvais souvenir du lotissement « effet » peut refaire surface. Avant la réforme du lotissement (), l'article L. 442-1 le définissait comme toute opération ayant pour objet, ou, sur une période de moins de dix ans « pour effet » de diviser les terrains en vue de l'implantation de bâtiments. Cette notion d'« effet » et le délai de dix ans assorti ont été supprimés. En toute rigueur, le propriétaire peut donc décider de diviser un terrain et d'en céder la partie déjà bâtie sans que la réalisation d'une construction sur le reliquat (ou sa cession comme terrain à bâtir) ne qualifie l'opération de lotissement, puisque « l'objet » de la division intervenue n'était pas de générer un lot à bâtir - bien que tel en fût l'effet.

   Plusieurs options se présentent au propriétaire d'un terrain qui souhaite détacher un lot à bâtir de son unité foncière.

Contournement de la procédure. Certes, on peut voir dans ce schéma un contournement de la procédure, puisque le propriétaire vend d'abord la partie déjà bâtie de son terrain pour générer un « reliquat à bâtir » sans entrer dans le champ du lotissement… C'est pourquoi certains géomètres et/ou notaires recommandent aux propriétaires qui envisagent de construire ou de vendre leur reliquat, de l'inclure dans le lotissement d'origine pour anticiper une éventuelle difficulté en cas de « changement d'intention ». Pourtant, la lettre du texte nous paraît claire, le reliquat devrait pouvoir être bâti sans qu'il soit qualifié de lotissement, à condition toutefois qu'il soit constructible et viabilisé (1).

Optimiser les droits à construire

En pratique, plusieurs options se présentent au propriétaire d'un terrain qui souhaite détacher un lot à bâtir de son unité foncière, en fonction de la chronologie projetée.

Permis de construire, puis vente. Si la vente intervient après l'obtention du permis de construire sur la partie à détacher, elle constitue une « division primaire » - sauf si elle porte sur une maison individuelle - exemptée de toute formalité.

En vertu de la décision du , publiée au Recueil), le respect des règles d'urbanisme s'apprécie alors à l'échelle du terrain avant division, ce qui peut être avantageux ou non, selon les droits à construire déjà consommés. Si cette solution est bien établie en pratique, quelques points restent toutefois en suspens, dont la question de savoir si elle est valable au sein des ZAC ou encore lorsqu'un projet est envisagé sur un terrain issu du domaine public (après déclassement/désaffectation).

Vente, puis permis de construire. Si la vente d'un terrain à bâtir doit avoir lieu avant l'obtention du permis de construire, il faut nécessairement solliciter une autorisation de lotir (DP ou PA). Si la liberté du vendeur d'inclure ou non la partie bâtie de son terrain dans le périmètre du lotissement semble totale au regard du PLU, la réglementation du lotissement (et les sanctions civiles et pénales attachées) peut parfois conduire à une prudence à notre sens excessive, imposant l'inclusion du reliquat dans le lotissement.

Uni-lot. Lorsque le mécanisme de la division primaire n'est pas favorable, il est possible de souscrire une autorisation de lotir alors même que la vente intervient après la délivrance du permis de construire. Il s'agit de détacher un lot à bâtir par une DP ou un PA, sans y inclure le reliquat du terrain. Le permis de construire est alors instruit à l'échelle de cet « uni-lot », anticipant la division à intervenir.

Si certaines décisions semblent remettre en cause cette anticipation de la division (CE, 12 novembre 2020, précité ; , mentionné aux Tables), il nous semble que la décision du 29 novembre 2023 peut être lue comme allant dans le sens de la possibilité de constituer une assiette « à la carte » de l'opération de densification du terrain. Une confirmation sur ce point serait la bienvenue ; elle donnerait de la souplesse et de la sécurité à des opérations de promotion qui en ont bien besoin.

Ce qu'il faut retenir

  • Dans un arrêt du 29 novembre 2023, le Conseil d'Etat a rappelé qu'un lotissement doit nécessairement être constitué d'un ou plusieurs lots à bâtir.
  • Ne constitue donc pas un lotissement la vente d'un terrain déjà bâti quelle que soit l'ampleur des travaux réalisés sur le bâti existant.
  • Le périmètre du lotissement peut, au choix du propriétaire, ne comprendre qu'un seul lot à bâtir ou inclure, avec un ou des lots à bâtir, des parties déjà bâties de l'unité foncière.
  • La Haute juridiction a également énoncé que la conformité aux règles d'urbanisme du reliquat déjà bâti mais non inclus dans le périmètre du lotissement, n'a pas à être vérifiée pour délivrer un permis d'aménager.

(1) Sylvain Pérignon, « Nouveau régime des divisions foncières », Editions Le Moniteur, 2013, 2e éd., p. 60

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