Dans un arrêt du 7 juin 2016, la chambre criminelle de la Cour de cassation déclare un gérant de fait coupable de prêt de main d’œuvre à but lucratif.
M. Y et M. B sont associés chacun à 35% dans une entreprise de travaux. Celle-ci conclut un contrat de sous-traitance avec une autre société. Il est reproché à M. Y, en qualité de gérant de fait, des faits de travail dissimulé et un prêt illicite de main d’œuvre pour avoir employé, sous couvert de cette sous-traitance, dix salariés dont il est devenu le véritable employeur. La cour d’appel retient la culpabilité de M. Y pour le seul prêt illicite de main d’œuvre. M. Y saisit la Cour de cassation.
L’affaire soulève deux points de droit : un contrat de sous-traitance protège-t-il de la qualification pénale de prêt illicite de main d’œuvre ? Quand elle est avérée, qui est responsable de l’infraction ?
Quatre conditions
Le prêt de main d’œuvre à but lucratif (art. L. 8241-1 du Code du travail) est en principe illicite et sanctionné par l’article L.8243-1 du Code du travail d'une peine pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement et 100 000 euros d'amende, sauf évidemment le cas du travail temporaire et le portage salarial.
La mise à disposition de personnel est également autorisée dans le cadre de l’opération – plus large – de sous-traitance qui nécessite l’intervention du personnel de l’entreprise sous-traitante. Ce contrat commercial est caractérisé par la fourniture spécifique d’un bien ou d’un service pour les besoins d’un chantier particulier. Toutefois, pour ne pas tomber sous le coup de la qualification de prêt illicite de main-d’œuvre, l’opération de sous-traitance doit respecter quatre conditions :
- l’exécution d’une tâche bien définie, correspondant à un savoir faire particulier ;
- une rémunération forfaitaire fixée sur la base d’un travail objectif ;
- un personnel sous les ordres et la responsabilité de l’entreprise sous-traitante ;
- la fourniture des matériels, matériaux et machines par le sous-traitant.
Fausse sous-traitance
C’est ce que vient rappeler l’arrêt du 7 juin 2016. En l’espèce, un contrat de sous-traitance a bien été signé entre les deux entreprises, mais la cour d’appel retient que le seul objet de la convention est la fourniture de main d’œuvre moyennant rémunération. Elle s’appuie sur l’enquête qui a révélé :
- des ordres donnés sur le chantier par la société donneuse d'ordre,
- la fourniture de matériel par une société tierce à la demande de la société donneuse d'ordre,
- le seul apport de main d’œuvre par la société sous-traitante.
En conséquence, la Cour de cassation approuve la cour d’appel d’avoir considéré que le contrat signé entre les deux entreprises était « faux » et avait « pour unique objet de masquer un prêt de main d’œuvre illicite ».
Gérant de fait
Restait, en l’absence d’un gérant de droit pour assumer la responsabilité de l’infraction, à savoir qui dirigeait l’entreprise. Pour retenir l’implication de M. Y en qualité de dirigeant de fait dans la commission de l’infraction, les juges d’appel s’appuient sur trois éléments :
- la détention d’un nombre important de parts dans le capital de la société (35%),
- l’existence d’un « pouvoir très général », reçu du gérant de droit par M. Y pour « contracter toute procédure et commande »,
- le comportement de M. Y sur le chantier et notamment à l’occasion de l’embauche de salariés par la société dite sous-traitante.
La Cour de cassation valide ainsi la qualité de gérant de fait de la société sous-traitante attribuée à M. Y, celui-ci exerçant « les pouvoirs les plus étendus », disposant de la signature sur les comptes bancaires et donnant ses instructions aux employés. La condamnation de M.Y à une amende de 10 000 euros pour prêt illicite de main d’œuvre est confirmée.