Quelle réflexion vous inspire la construction d’un mur pour protéger le chantier d’aménagement de la place de La Plaine à Marseille ?
Cela va à l’encontre de tout ce qu’on enseigne, ici, à l’IUAR. C’est le contraire de tout ce qui se fait aujourd’hui en matière d’aménagement urbain.Un espace public, comme son nom l’indique, est avant tout public. L’entourer par un mur, même le temps d’un chantier, c’est ne pas comprendre sa finalité. On ne cache pas un espace public. Et le jour où il faudra enlever le mur, car le chantier devra bien se terminer, que va-t-il se passer ? Comment le projet sera-t-il accepté ?
Comment croire qu’on puisse faire taire les oppositions au projet en érigeant un mur ? Au contraire, ce qu’on voit émerger à la Plaine, sur le mur érigé et aux alentours, est une sorte de réaction créative, une créativité réactive encore plus forte que ce qu’elle était auparavant. Le refus du dialogue alimente d’autant plus la contestation au projet… et elle sera débordante dans les mois à venir, les cars de CRS n’empêcheront pas la vie collective de s’exprimer… une véritable bombe à retardement !
Quelle est la tendance aujourd’hui, justement, en matière d’aménagement urbain ?
On fait participer les habitants, et même de plus en plus souvent, on va jusqu’à la co-construction du projet. C’est une tendance qui n’est pas si nouvelle, qui a commencé à Barcelone, il y a 25 ans, avec l’urbaniste catalan Joan Busquets, suivi par Lyon qui a requalifié ainsi tous ses espaces publics. Aujourd’hui, ils sont considérés comme des lieux d’expression des habitants, au sens des usages, favorisant des pratiques de voisinage, de convivialité, d’échanges. Tout cela est bien installé maintenant dans les pratiques des professionnels et de nombreux collectifs d’architectes, de paysagistes et urbanistes se sont spécialisés dans ces nouveaux processus
Or, certains aménageurs ont encore du mal à considérer les espaces publics comme autre chose que des objets techniques posés les uns à côté des autres. Alors que ces espaces sont, en fait, tout le contraire. Ils participent du système d’organisation des usages, des pratiques de la ville, de l’appropriation et de la poésie des lieux. Et en ce sens, ils doivent pouvoir être modifiables, évolutifs, adaptables, selon des besoins qui, forcément, vont évoluer.
Quels exemples concrets pourriez-vous donner ?
Beaucoup de villes se sont appuyées sur leurs espaces publics pour installer une véritable politique publique d’aménagement. A Rennes, à Nantes, etc. Prenez l’exemple de Bordeaux. Toutes les places ont été réaménagées en lien direct avec les quartiers environnants et le tramway a permis de reprendre l’espace public jusque dans les quartiers d’habitat social qui ont bénéficié de la même qualité que dans le centre-ville. Bordeaux a ainsi pu affirmer une même identité dans tous ses quartiers.
Comment apprécier la qualité d’un espace public ?
Il faut qu’il permette aux gens de vivre bien. Il doit associer qualité urbaine et qualité humaine. En ce sens, le banc est par exemple un outil fondamental. On pourrait faire toute une thèse sur le banc. En bois, il est chaud et accueillant. En pierre, il est froid et on n’y reste pas longtemps… Plus globalement, la qualité d’un espace public se mesure au fait qu’on ait envie d’y rester, sur un banc ou ailleurs, qu’on s’y sente en sécurité, qu’on vienne y rencontrer des amis avec plaisir, qu’on puisse y vivre, tout simplement, qu’il y ait des terrasses pour prendre un verre, mais qu’on puisse aussi s’y promener, que tous les âges puissent l’apprécier, les jeunes, les enfants, les personnes âgées, etc. Prendre en compte l’usage, c’est simple, mais c’est essentiel.
Mais comment, alors, faire cohabiter tous les usages, organiser le partage harmonieux de l’espace public ?
En les prenant en compte, tout simplement. Il faut faire une vraie analyse des usages d’un lieu, qui sont toujours uniques. Et il faut savoir aussi que l’appropriation par les usagers est illimitée. Quand un usage s’est installé par l’habitude, c’est comme le naturel, quand on le supprime, il revient au galop.
La concertation en amont avec les usagers est donc essentielle. Comment fait-on pour la réussir ?
Je crois qu’on ne sait jamais au départ si on va la réussir ou pas. C’est très difficile. Le grand piège, c’est l’instrumentalisation des enjeux, par les élus ou par des partis politiques ou par qui que ce soit. Il faut de toute façon avoir un maître d’ouvrage qui sait ce qu’il veut, très clairement. Il doit se donner des marges de manœuvre. Il ne doit pas essayer d’imposer à tout prix sa vision ou son idée de l’espace public. Il doit savoir apprécier dans quel système s’inscrit l’espace sur lequel il demande une intervention, comment il s’inscrit dans le fonctionnement général de la ville. C’est subtil, mais c’est la condition essentielle.
Si le maître d’ouvrage part arc-bouté sur une idée, un projet, un principe, et qu’il ne laisse aucune marge à d’éventuelles propositions, s’il n’est pas innovant dans des lieux aussi essentiels que les espaces publics, c’est cuit.
A un moment donné, il faut trancher quand même, prendre une décision…
Bien sûr. Et c’est le maître d’ouvrage qui doit le faire. Mais si la concertation a été bien menée, si tout le monde s’est exprimé et que les choses sont transparentes, les décisions peuvent être comprises.