En trente ans, les drainages, pompages, routes, ouvrages de protection des crues et l'extension des zones urbanisées ont fait disparaître la moitié des zones humides françaises. Le fonctionnement hydraulique de celles de la vallée de la Seulles, près de Caen, a été perturbé pour toutes ces raisons.
Aujourd'hui, il est également bouleversé par la présence d'abris de chasse au gibier d'eau. En créant des plans d'eau fermés, les chasseurs empêchent les brochets, habitués à frayer dans les terrains inondés, de regagner la Seulles lors de la décrue. La préservation de ce poisson carnassier offre au Conservatoire fédératif des espaces naturels de Basse-Normandie l'opportunité d'obtenir une protection réglementaire des zones humides de la vallée.
L'arrêté dit « de biotope » lui a paru l'outil le plus approprié : la loi du 10 juillet 1976 permet en effet aux préfets d'interdire les activités qui portent atteinte à l'équilibre écologique des mares, marais, dunes. Déposé en dépit de l'opposition de la Chambre d'agriculture, le dossier a obtenu l'aval de la Commission régionale des sites. On n'attend plus que la signature du préfet.
L'arrêté de biotope s'appliquera d'Amblie à Courseulles. Il prévoit d'interdire la culture du peuplier ainsi que de toute plantation forestière susceptible d'assécher les marais, d'appauvrir l'écosystème ou de banaliser les paysages. Il proscrira également les plans d'eau fermés, le drainage et les remblais, responsables de la réduction des espaces d'expansion des crues et de la régression des zones humides. Par ailleurs, l'arrêté de biotope s'imposant aux règles d'urbanisme, il ne sera désormais plus permis de construire dans les zones humides.
Dans la vallée, de rares prairies humides et non chassées comme le marais de Reviers fonctionnent encore, mais le Conservatoire doit tout de même y restaurer le réseau hydraulique. Il devrait lancer une étude dans ce but cette année.
Un compromis de gestion avec les propriétaires
Le Conservatoire assure la gestion de ce marais sans en être le propriétaire. Estelle Guénin, directrice du Conservatoire, explique pourquoi : « Nous n'avons pas tenté d'acheter ces 32 hectares, pour ne pas braquer les propriétaires et risquer de nous voir refuser tout accès. Comme ils ne souhaitaient pas s'occuper de leurs terres, nous sommes arrivés à un bon compromis : nous gérons, et eux perçoivent, un fermage de l'exploitant. La charge de gestion nous incombe, mais grâce aux aides de l'Agence de l'eau, nous n'en payons qu'une partie. »
Le Conservatoire gère donc ce terrain à son gré, ne tolérant que des pratiques compatibles avec la préservation du milieu. D'où le choix de l'élevage extensif, pour éviter l'eutrophisation des eaux (due à une forte présence de nitrate et de phosphate) et permettre la nidification.
Trouver un éleveur intéressé par ce type d'exploitation n'a pas été facile. L'heureux élu a dû faire, pendant deux ans, la preuve qu'il respectait le cahier des charges fixé par le Conservatoire. Ses bovins n'engraissent dans le marais qu'en période d'étiage, quand les brochets ont regagné la Seulles. Il devrait en outre signer prochainement un CTE (contrat territorial d'exploitation), qui lui permettra de bénéficier d'une prime de 1 500 francs à l'hectare.
PHOTOS : VALLEE DE LA SEULLES. La préservation du brochet, habitué à frayer en terrains inondés, devrait permettre une protection réglementaire des zones humides le long du lit, proscrivant les plans d'eau fermés, le drainage, les remblais...