Il saisit le pavé, le nettoie, l’examine sous lumière rasante, tâte la planéité de ses six faces, choisit celle qu’il laissera apparente. Puis, comme le font les paveurs depuis les premières voies romaines, il dépose chaque pavé sur un lit de sable, constituant, ou plus exactement reconstituant l’immense puzzle de la place de l’Etoile à Paris. Mais à la différence de ses prédécesseurs, ce paveur moderne porte des équipements de protection individuelle et dispose de moyens mécanisés pour l’aider dans sa tâche. Il compose avec une circulation dense, un planning serré et répond de bonne grâce aux questions des curieux. Ainsi vont les métiers des travaux publics. Les savoir-faire traditionnels s’enrichissent des apports technologiques, jouent la carte de la prévention et s’adaptent aux contraintes spécifiques de leur environnement, notamment en zone urbaine. « Nos métiers évoluent en même temps que les travaux qui nous sont confiés, explique Michel Gili, directeur des ressources humaines chez Eurovia (groupe Vinci). Il est moins question de nouveaux métiers que d’une nouvelle façon de les appréhender. » Lorsque le pavage traditionnel est passé de mode avec l’arrivée de nouveaux produits manufacturés (pavés autobloquants…), le savoir-faire s’est peu à peu dilué dans les entreprises. « Mais avec le retour en grâce du pavage traditionnel, à l’occasion d’aménagements urbains ou de la réalisation de transport en commun en site propre, nous avons dû retrouver les savoir-faire traditionnels, reformer nos salariés », ajoute Michel Gili.
Missions managériales
En ville, les travaux publics jouent la discrétion et les chantiers s’adaptent. Les techniciens et responsables de bureaux d’études se font orfèvres du temps, ciselant des plannings hyperprécis, réévalués en quasi-temps réel. Le dossier technique a considérablement épaissi. Y sont consignés la gestion des nuisances sonores, les mesures de propreté du chantier, l’organisation de la circulation routière, des cheminements piétonniers, l’information aux usagers… Le chargé d’études n’est plus consigné dans son bureau. Il se rend sur le terrain, rencontre les riverains, détermine leurs habitudes, leurs besoins, les sensibilise aux contraintes du chantier. Ce que fera également le chef de chantier, plus tard, lors des travaux. Les hommes des travaux publics le savent : les contraintes des clients passent désormais avant les leurs.
« De façon générale, les missions sont beaucoup plus managériales, note Patrick Seguin, président de la société Soc (groupe NGE). Un conducteur de travaux n’est plus simplement un homme de production. C’est un chargé d’affaires qui participe à l’étude, développe des relations commerciales, négocie avec les partenaires, encadre les travaux… » Une vision transversale des dossiers qui, dans la société Soc, a deux conséquences directes : 80 % des conducteurs de travaux sont de niveau bac 5 et l’effort de formation interne s’est accentué, passant de 1,5 à 4 % de la masse salariale. Dans l’acte de construire, le rôle dévolu à l’entreprise s’élargit. En amont et en aval. « En 2006, nous avons réalisé une opération en conception-construction. En 2007, ce chiffre est passé à sept et, en 2008, nous en sommes déjà à douze, constate Patrick Seguin. Nous ne sommes plus des stakhanovistes de l’appel d’offres, remplissant inlassablement les bordereaux quantitatifs. Aujourd’hui, nous devons construire des mémoires techniques très complets, les défendre devant un jury… Et il nous faut les hommes pour le faire. » Le dirigeant de Soc en est persuadé. La mission de conseil en solutions environnementales va devenir un poste clé dans les entreprises à l’heure où se profilent les bilans carbone des chantiers. Les ingénieurs d’études devront être capables de formuler des écovariantes. Ce qui apparaît déjà dans la route ou le terrassement mais devrait se généraliser à l’ensemble des travaux publics dans les prochaines années. Le management des économies d’énergie et la gestion des déplacements sont aussi à l’ordre du jour. Energie chère oblige, un conducteur de travaux ne se déplacera plus systématiquement sur site à la demande de son client. Le recours à la visioconférence est sérieusement envisagé.
Génération « PlayStation »
Une façon d’intégrer les évolutions technologiques comme les travaux publics l’ont toujours fait. Avec pragmatisme. Arrivée des ordinateurs portables sur les chantiers, usage d’Internet dans les commandes, utilisation de station totale robotisée pour les implantations de chantier, dispositif de guidage des machines… Les jeunes – « la génération PlayStation » comme aime à les appeler Francis Guillot, professeur à l’IUT de génie civil d’Egletons – s’adaptent vite à ces nouvelles technologies. « Mais aussi raffinée soit-elle, la technologie ne pourra dispenser des savoirs de base. Le géomètre de demain devra toujours connaître la trigonométrie ! »



