Après de nombreuses heures de discussions (voir notre article), les 28 Etats membres de l’Union Européenne ont trouvé un accord sur la révision de la Directive « travailleurs détachés ». Comme l’avait annoncé Michel Sapin, avant d’entrer dans l’arène, «Notre objectif est de lutter contre la fraude et ne pas mettre d’obstacles à la libre circulation. Nous resterons donc fermes sur ces principes. Il faut une responsabilisation obligatoire de toute la chaîne. En guise de compromis, nous avons proposé de limiter cette responsabilité au secteur de la construction. C'est la seule façon efficace de lutter contre des montages frauduleux. Il faut que cette responsabilité existe dans chaque pays sinon, cela rompra la chaîne de responsabilité. C'est ce que nous avons proposé avec 9 autres Etats membres dans un texte de compromis alternatif. Si nous voulons montrer que l’Europe avance, nous ne pouvons-nous contenter du statu quo ou d’une régression ».
Au final, c’est un compromis qui renforce la responsabilité des maîtres d’ouvrage qui a été adopté. En effet, les États membres auront deux possibilités : soit ils pourront opter pour un système de responsabilité conjointe et solidaire obligatoire, chère à la France (une dizaine d'Etats membres dont la France souhaitaient que ce principe soit obligatoire dans le bâtiment pour faire face aux montages sophistiqués de fraude dans ce secteur); soit, dans le cas où ils n'ont pas un tel système juridique, ils pourront mettre en œuvre des mesures de sanction équivalentes vis à vis du donneur d’ordre. La Commission européenne sera ensuite chargée de vérifier la mise en place de ce système. « On n’était pas très loin de la minorité de blocage, mais finalement, cette disposition est passée », a déclaré avec fierté le ministre du Travail, Michel Sapin, tout en notant le vote négatif du Royaume-Uni, de la Hongrie, de la République tchèque, de la Lettonie, de l'Estonie, de la Slovaquie et de Malte. C'est finalement la volte-face de la Pologne qui a permis de faire passer le texte. La France a d'ailleurs chaleureusement "remercié" ce pays, où s'est récemment rendu le président François Hollande.
Principe d’une liste indicative de mesures
En corollaire, les pays encore opposés à l’idée d’une liste ouverte d’exigences administratives et de mesures de contrôles ont levé leurs réticences. Ils ont en effet accepté le principe d’une liste indicative de mesures, pouvant être complétées par les États membres après information préalable à la Commission. Selon la nouvelle formulation, l’exécutif européen sera responsable d’informer les autres États membres et de contrôler l’application des nouvelles mesures. « La France fixera donc par la loi nationale la liste des documents exigibles pour tous les travailleurs détachés en France. La directive permettra également d’imposer des règles dans les pays qui en étaient dépourvus » a expliqué la délégation française.
Le texte en discussion vise à améliorer la mise en œuvre de la Directive 96/71/CE sur le détachement des travailleurs, sans en modifier les dispositions.
Il doit permettre d’éviter les abus dans les cas où un travailleur est envoyé dans un autre État membre, pendant une période limitée, pour y effectuer une prestation de services définie. Et ceci afin d’éviter qu’un travailleur détaché soit exploité ou privé de tout ou partie du salaire qui lui est dû. « Les entreprises frauduleuses ont un large éventail d'options pour contourner la loi : le faux travail indépendant, le recours à des sociétés boîtes aux lettres, les contrôles inexistants ou rares dans certains pays, la connaissance que la coopération transfrontalière et l’échange d'information est difficile et inefficace, voire inexistante, et le fait que la collecte transfrontalière des amendes et l'exécution des décisions sont pratiquement impossibles », explique la Fédération européenne des travailleurs du bâtiment et du bois (FETBB).
Grâce à cette approche générale, les négociations avec le Parlement européen vont pouvoir débuter. Les trois institutions européennes espèrent toujours parvenir à un accord avant les élections européennes. Mais le temps presse : la dernière session plénière se tiendra en effet au mois d’avril 2013. Et lors de son vote, la commission de l’emploi du Parlement européen avait opté pour une responsabilité obligatoire dans tous les secteurs d’activité et dans tous les maillons de la chaine de sous-traitance.
Michel Sapin qui a salué "un accord en tout point conforme à ce que voulait" Paris, a promis qu’il « commencerai dès cette semaine à mettre en oeuvre les outils juridiques et les moyens humains permettant de lutter contre ces fraudes. Et je peux vous dire que ça se verra sur le territoire français"