Les HLM ont retenu «les enseignements de la crise pour la politique du logement » comme thème de leur prochain congrès de Toulouse. Pouvez-vous en dévoiler quelques uns?
On confond souvent la crise immobilière et la crise du logement. Or, la crise du logement préexistait à la crise immobilière apparue à l'été 2008. Et les réponses apportées à la crise immobilière ne sont pas forcément de nature à résoudre la crise du logement, plus durable et caractérisée par une construction insuffisante et/ou inadaptée aux ressources des ménages.
La crise a montré d'une part la vulnérabilité des économies réelles, des sociétés et des ménages pour lesquels nos loyers modérés ont joué un rôle d'amortisseur ; elle a d'autre part mis en évidence l'existence de résistances face à la crise : l'Etat Providence a ainsi montré son efficacité de même que des systèmes inventifs comme le livret A ou le 1% logement ; enfin, les territoires ont montré qu'ils constituaient des remparts de solidarité indispensables. En s'impliquant par exemple dans la construction, ils ont joué un rôle essentiel dans le logement. Si la construction de HLM est plus vigoureuse aujourd'hui, c'est grâce au couple collectivités/organismes.
Dans ce contexte, nous demanderons au congrès que soit refondée la politique du logement. Il faut revoir les priorités budgétaires et s'interroger sur la pérennité des défiscalisations dans leur configuration actuelle. Elles sont utiles mais il faut les calibrer en tenant compte de leur impact et de leur coût budgétaire.
Il faut réfléchir à un « après système Barre » car les économies ont totalement changé depuis les années soixante-dix. Nous allons demander un renforcement des aides à la pierre permettant de produire des logements économiquement abordables. Et une clarification de la gouvernance des politiques du logement notamment là où elles sont atypiques, comme en Ile-de-France, ou illisibles et défaillantes, lorsque l'intercommunalité n'existe pas. Nous souhaitons renforcer l'échelon intercommunal dans les documents d'urbanisme (SCOT et PLU) et renforcer la délégation des aides à la pierre.
S'il est en effet consacré à la crise, le congrès de Toulouse aura aussi vocation à préparer les états généraux du logement que nous souhaitons voir se dérouler au début de l'année prochaine, sans doute après les élections régionales de mars.
Assistez-vous à une montée des impayés de loyers ?
Les conseillers sociaux sont très réactifs dans les organismes dès qu'apparaissent des impayés de loyers. Nous n'avons pas constaté en 2008 de montée des impayés liée à la crise et au chômage. Ils étaient inférieurs à 1% au début 2008, un niveau sous lequel il est très difficile de descendre.
Mais je pense que le volume des APL a dû monter en flèche car il est très corrélé à celui des revenus des bénéficiaires. Nous devons donc être vigilants quant à la revalorisation de ces aides.
Les organismes sont-ils plus fragiles financièrement ?
La situation des organismes est très diverse : certains sont en difficulté et leur situation est alors examinée par la CGLLS, d'autres vivent plutôt bien et la très grande majorité s'en sort normalement.
Nous sommes inquiets sur trois grands dossiers : d'abord, le 1% logement. Retrouvera-t-il après 2011 la plénitude de ses moyens ? Ensuite, quel est l'avenir du livret A ? Pour assurer le financement des HLM, nous aurions voulu que la loi acte la centralisation d'au moins 70% de la collecte et le relèvement du plafond du livret, figé à 15.300 euros depuis les années soixante-dix. Enfin, quid des aides à la pierre dans le budget de l'Etat ? Elles sont passées de 850 millions en 2008 à 500 millions en 2009 et nous allions vers 350 millions en 2010 avec Christine Boutin. Nous avons abordé ce point avec Benoist Apparu car l'Etat ne peut pas nous reprocher de ne pas construire assez tout en réduisant ses aides. Cette question affecte fondamentalement la situation des organismes : il y a 10 ans, lorsque l'on construisait un HLM grâce à un PLUS (lexique), l'Etat apportait 6% du montant de la construction. Cette part est tombée à 3% aujourd'hui. Le 1% logement finançait à hauteur de 5%. Ce n'est plus que 2,5%. Ce désengagement choisi de l'Etat et subi du 1% a dû être compensé par les fonds propres des organismes et les collectivités territoriales, dont les parts sont montées respectivement de 2% à 10% pour les premiers et de 2% à 8% pour les secondes. De sorte que notre inquiétude sur la fragilité financière des organismes est plus liée à ce mouvement structurel qu'à la crise actuelle.
Compte tenu de la part prise par les collectivités territoriales, je redoute aussi les conséquences de la réforme en cours qui vise à retirer la clause de compétence générale aux régions et aux départements pour cibler leurs actions sur des compétences énumérées dans une loi. En effet, seul le cumul des aides des communes, départements, régions et intercommunalité nous permet de boucler les plans de financement des organismes.
Où en est-on sur la relance de la production, les travaux d'entretien et la remise à niveau énergétique du patrimoine ?
Les HLM jouent particulièrement cette année un rôle contra-cyclique. Nous atteindrons une production record puisque 91 500 logements locatifs HLM seront financés, auxquels il faut ajouter 14 500 logements en accession sociale à la propriété, et environ 14 000 engagements de construction au titre de l'ANRU en 2009, soit 120 000 logements neufs au total. Ces chiffres ne concernent pas les SEM ni la Foncière Logement. Les planches à dessin et les truelles ont été activées et l'ingénierie financière a été trouvée !
100 000 logements environ seront réhabilités, dont 45 000 au titre de l'ANRU, malgré la disparition des 60 millions d'euros de la Palulos en 2009.
Par ailleurs, 20 000 demandes d'éco-prêts pour la réhabilitation thermique des immeubles étaient déposés à la Caisse des dépôts mi-juillet. Nous nous étions engagés auprès de l'Etat à en faire 100 000 au total en 2009 et 2010, dont 40 000 en 2009. Nous devrions tenir cet engagement. Je me félicite aussi du prêt bonifié apporté par les caisses de congés payés du BTP, qui constitue à mes yeux un premier accord.
Les locataires du parc HLM participeront-ils au financement des travaux énergétiques ?
Oui. Les locataires verront leurs charges baisser mais la moitié du gain énergétique induit par les travaux pourra être répercutée sur leur quittance de loyer. Cela suppose des accords nationaux avec les associations de locataires. Je soutiendrai un amendement à la loi Grenelle II pour que le crédit d'impôt dont les locataires peuvent bénéficier sur leur investissement puisse être étalé dans le temps dans le parc social afin de tenir compte de la faiblesse de leurs ressources. Nous demandons aussi que les organismes HLM bénéficient du même traitement que les collectivités territoriales sur les certificats d'économie d'énergie et la production d'électricité photovoltaïque.
Qu'attendez-vous précisément des états généraux du logement ?
Je ne veux pas que ce soit les états généraux du monde HLM. J'y veillerai. J'y vois une occasion d'expression sociétale sur la politique du logement en France. La question du logement a été trop longtemps abordée sous un angle technique et financier. Or, c'est un sujet politique majeur, en tête des priorités des citoyens et des élus.
Nous voulons réunir autour d'une table tous ceux qui ont une légitimité à s'exprimer sur la question du logement : les associations d'élus locaux, les acteurs économiques (FFB, Capeb), les locataires, le 1% logement, les partenaires sociaux, des parlementaires impliqués sur le logement, la fondation Abbé Pierre, les associations d'insertion et la profession immobilière. Car nous avons besoin, au-delà du monde HLM, d'investisseurs qui produisent des logements locatifs. Nous n'arriverons pas seuls à répondre à la totalité de la demande : je rappelle que 1,2 million de ménages sont en attente d'un logement.
Le but est de formuler un socle commun de propositions refondant la politique du logement et de bénéficier d'une tribune publique pour un débat sociétal sur le sujet. Quelle forme les états généraux prendront-ils ? C'est un peut tôt pour le dire.
Où en est-on dans le programme de renouvellement urbain ? Les locataires sentent-ils concrètement le changement ? Partagez-vous les inquiétudes sur le financement de l'ANRU ?
Les opérations qui étaient prêtes dès la création de l'ANRU ou juste après commencent à produire des résultats tangibles pour les locataires. Incontestablement, sur certains sites les choses vont dans le bon sens. Mais on ne peut pas rester au milieu du gué : si l'on s'en tient aux engagements signés par l'ANRU, nous savons qu'il manque 1,5 milliard pour aller au bout des programmes. Cela tient au fait que les dossiers eux-mêmes ont évolué, à la suite de demandes nouvelles après la concertation, la réhabilitation thermique, l'indice des coûts de la construction, le prix du foncier...
Outre que les engagements pris doivent être tenus, il convient d'aborder la question de l'ANRU II : les choses ne peuvent pas s'arrêter brusquement, il faudra continuer. Et ce n'est pas parce qu'on aura réhabilité superbement ou reconstruit différemment qu'on aura réglé les problèmes fondamentaux de la politique de la ville : la misère derrière les portes, le retrait des services publics, la disparition de l'emploi de proximité, le manque de transports... Même là où ça marche bien, nous constatons une paupérisation des habitants sur beaucoup de sites ANRU.
Où trouver l'argent qui manque ? Croyez-vous à la possibilité de densifier ces sites et à un financement via des plus-values induites par des infrastructures de transports publics ?
Une partie viendra d'économies réalisées sur les sites déjà labellisés par l'ANRU. Il est vraisemblable qu'une analyse plus fine sera faite du volet démolition des dossiers, compte tenu de leur cherté. La densification peut être envisagée site par site dans certains quartiers. Je suis favorable à la création d'une nouvelle ressource liée aux plus-values foncières induites par des nouveaux transports en commun. Je l'avais défendue au Sénat et c'est d'ailleurs prévu dans l'article 12 du Grenelle I et repris dans le Grenelle II. Une partie de la plus-value mesurée par les Domaines pourrait être attribuée aux AOTU (autorités organisatrices des transports en commun) et une autre à la mixité sociale. Reste à définir le périmètre concerné.
La loi DALO a été votée mais on manque toujours autant de logements accessibles aux ménages. La relance de la construction de ce type de logement - si elle a lieu - prendra du temps. Comment faire d'ici là ?
D'expérience, il faut distinguer deux types de territoires : dans les premiers - majoritaires - le DALO tel qu'il est conçu peut continuer à être mis en œuvre ; dans les zones très tendues - Ile-de-France, Paca et Rhône-Alpes - on n'arrive pas à l'appliquer. La mobilisation du contingent du préfet ne suffit pas à éponger le nombre de dossiers : début juin, nous avions recensé 84 000 dossiers DALO. 24 000 avaient fait l'objet d'une décision favorable. A la même époque, 10 000 avaient eu un relogement effectif. Sur les six premiers mois de l'année 2009, en Ile-de-France, 15 000 dossiers donnaient lieu à une obligation de relogement. Or, le contingent préfectoral sur l'année est de 10 000 logements ! L'Etat s'impose un droit qu'il n'est pas en mesure de respecter et il risque d'être condamné à se verser à lui-même des indemnités. Nous devons nous demander si on ne peut pas mobiliser les logements vacants dans le parc privé, avec de l'intermédiation.
Ma grande crainte est de voir le parc social spécialisé dans le logement des populations fragiles. Et je me tourne vers la ministre de la Ville pour lui demander son avis sur ce dossier alors qu'elle nous demande un équilibrage sociologique des quartiers en politique de la ville.
Vous avez demandé un audit interne sur le fonctionnement de l'Union, dont l'une des familles - les ESH- est en pleine reconfiguration après la réforme du 1%. Quelles seront les conséquences du regroupement des CIL sur l'actionnariat des ESH ?
Nous cherchons à améliorer l'efficacité de notre organisation dans son ensemble : l'Union, les fédérations et les associations régionales. Un appel d'offre vient d'être lancé pour un rendu à la fin de l'année. C'est une étape normale dans la vie de toute organisation dotée d'une longue histoire et soucieuse de performance.
Par ailleurs, il est clair que certaines ESH vont se retrouver avec le même actionnaire après la fusion des CIL. Cela ne signifie pas qu'il y ait, symétriquement, fusion entre les ESH. Je pense, en outre, que le 1% et les ESH ont intérêt à préserver leur ancrage territorial, compte tenu de l'inéluctable montée en puissance des collectivités dans le logement. Cela vaut d'ailleurs pour tout le mouvement HLM. Et je plaide pour la territorialisation des politiques publiques. Je pense même que la future politique d'Etat doit prendre en compte cette territorialisation. Il n'est pas tout à fait iconoclaste de dire que l'accompagnement de l'Etat peut être différent d'un territoire à l'autre dans le logement et la construction.
On voit de très gros groupes très performants, qui concilient rentabilité économique et objet social. Mais on a aussi fustigé les « dodus inactifs ». On dénombre 750 organismes d'HLM. Sont-ils trop nombreux ?
C'est une question difficile mais pas taboue. La réforme Balladur, celle du 1%, l'évaporation progressive de l'Etat sur la question du logement, le renforcement dès le Grenelle II de la compétence intercommunale sur l'urbanisme et la programmation... nous amèneront à nous interroger sur la pertinence du périmètre d'intervention des outils. La gouvernance territoriale évoluant, les outils des territoires évolueront aussi.
Je plaide pour que nous soyons une force de propositions, dans un dialogue privilégiant des critères de performance et pas forcément de taille, compte tenu de la diversité de notre territoire. La question de notre organisation territoriale et professionnelle est devant nous. En revanche, déclamer au niveau national que les organismes inférieurs à une certaine taille doivent disparaître est une absurdité.
Je suis persuadé que l'émergence de territoires intercommunaux et la délégation des aides à la pierre ont boosté la construction et la gestion au quotidien des logements car elles responsabilisent la collectivité locale. L'échelon intercommunal s'affirme peu à peu comme le plus pertinent. Je suis sûr qu'il y aura à cette échelle soit des regroupements, soit des créations de GIE d'organismes. Pour l'Ile-de-France dont on parlera beaucoup cet automne en raison du projet de loi sur le Grand Paris qui vise à recentraliser la compétence aménagement dans les mains de l'Etat, je crois pour ma part nécessaire de réaffirmer l'impératif de la territorialisation : l'Ile-de-France est certes la région capitale, elle n'est pas pour autant «hors-sol » ! Afin de mener des politiques du logement adaptées à l'ampleur des besoins, leur gouvernance doit à mon sens être confortée à deux niveaux : l'échelle de la programmation et de la recherche des équilibres territoriaux, c'est-à-dire la région, et l'échelle de la conduite opérationnelle des politiques locales, c'est-à-dire la commune ou l'intercommunalité.
Je plaide enfin pour que, comme le Mouvement Hlm s'y est engagé, on généralise la mutualisation de la gestion des dossiers des demandeurs de logements, permettant ainsi un dossier unique de demande. Une douzaine de territoires le font déjà depuis plusieurs années et les organismes, sur beaucoup d'autres, ont engagé une dynamique pour organiser un tel dispositif.
Lexique
APL : Aide personnalisée au logement
CGLLS : Caisse de garantie du logement locatif social
PLUS : Prêt locatif à usage social
Palulos : Prime à l'amélioration du logement à usage locatif et à occupation sociale
ESH : Entreprises sociales pour l'habitat
CIL : Comité interprofessionnel du logement