Décryptage

Sites et sols pollués : bien dimensionner les exigences requises des bureaux d'études dans le cadre de marchés publics

Les demandes de permis de construire ou d’aménager doivent en principe intégrer une attestation réalisée par un bureau d’études lorsqu’il est procédé à un changement d’usage d’une ICPE ou lorsque le projet se situe dans un secteur d’information sur les sols (SIS).  Cette prestation « Attes » ne peut être réalisée que par les bureaux d’études certifiés SSP. Les acheteurs mettent en risque leurs procédures de passation lorsqu’ils exigent que les bureaux d’études bénéficient d’une certification SSP, alors même que l’objet de leurs marchés n’est pas la réalisation d’une prestation Attes. Les acheteurs doivent, en effet, s’assurer d’adopter des exigences proportionnées et liées à l’objet de leur marché.

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Sols pollués
Sols pollués

Un arrêt « UCIE et autres » du 21 juillet 2021 du Conseil d’Etat (n° 428437) est l’occasion de s’intéresser à la prestation dite « Attes » (pour attestation) prévue dans le cadre des articles L. 556-1 et L. 556-2 du Code de l’environnement (C. env.) et bien connue des acteurs liés à la gestion des sites et sols pollués[1] .

Cette prestation Attes a comme particularité de ne pouvoir être délivrée que par un bureau d’études titulaire d’une certification dite « Sites et sols pollués » (SSP) dont le référentiel a été annulé, avec effet différé au 1er mars 2022, par l’arrêt « UCIE et autres ».

La portée d’une telle exigence de certification, créant une activité réglementée, doit être bien circonscrite dans la mesure où elle a tout de même pour effet de porter atteinte à l’intensité concurrentielle et aux principes fondamentaux de la commande publique rappelés à l’article L. 6 du Code de la commande publique (CCP) lorsqu’elle est sollicitée dans le cadre d’un marché public.

Si on peut comprendre les motifs sous-jacents de l’exigence d’une telle certification, les acheteurs soumis au CCP doivent bien s’assurer d’adopter des exigences proportionnées à l’objet de leur marché et à ne pas aller au-delà de ce qu’imposent les textes. En effet, la pratique révèle qu’un certain nombre d’acheteurs exigent que les bureaux d’études bénéficient d’une certification SSP permettant de réaliser une prestation Attes, alors même que l’objet de leurs marchés n’est précisément pas la réalisation d’une telle prestation. Ce faisant ces acheteurs mettent en risque leurs procédures de passation et les marchés ainsi conclus.

Il faut donc rappeler en quoi consiste exactement la prestation Attes afin de déterminer à quelles conditions un acheteur peut, dans le cadre d’un de ses marchés, exiger une certification SSP.

La prestation Attes prévue par le Code de l’environnement

La prestation Attes ne peut être réalisée que par un bureau d’études certifié selon un référentiel spécifique. Ce référentiel a toutefois été censuré par le Conseil d’Etat dans sa décision « UCIE et autres » précitée, obligeant l’Afnor et l’Etat à revoir leur copie.

Quel est l’objet de la prestation Attes ?

En vertu des articles L. 556-1 et L. 556-2 du C. env. et de manière schématique, les demandes de permis de construire ou d’aménager doivent en principe intégrer une attestation réalisée par un bureau d’études, d’une part, lorsqu’il est procédé à un changement d’usage d’une ICPE (mise à l'arrêt définitif et régulièrement réhabilitée) ou, d’autre part, lorsque le projet de construction ou de lotissement se situe dans un Secteur d’information sur les sols (SIS).

L’article R. 556-3 du C. env. indique que cette attestation a pour objet de garantir qu’une étude des sols a bien été réalisée et que les « préconisations » ont bien été prises en compte « pour assurer la compatibilité entre l'état des sols et l'usage futur du site dans la conception du projet de construction ou de lotissement. »[2].

Cette prestation Attes ne peut être toutefois réalisée que par les bureaux d’études certifiés dans le domaine des sites et sols pollués, « conformément à une norme définie par arrêté du ministre chargé de l'environnement, ou équivalent ». C’est la certification SSP délivrée par un organisme certificateur devant lui-même être accrédité à cet effet[3].

C’est un arrêté du 19 décembre 2018 qui fixe « les modalités de la certification » et qui a été censuré par le Conseil d’Etat avec un effet différé. Le référentiel de certification se fonde principalement sur la « série de normes NF X 31-620 » (« Qualité du sol - Prestations de services relatives aux sites et sols pollués »).

L’annulation du référentiel de certification par le Conseil d’Etat

Dans son arrêt « UCIE », le Conseil d’Etat rappelle toute d’abord que les projets de normes doivent recueillir un « accord général » qui se caractérise plus spécifiquement par l’absence d’opposition ferme exprimée par une partie importante des parties prenantes contre des éléments substantiels, ce après le déclenchement d’un processus de rapprochement (dit « consensus »). Le Conseil d’Etat va constater en l’occurrence l’absence d’accord général.

La norme précitée NF X 31-620 prévoyait notamment que, dans le cadre de la prestation Attes, le chef de projet devait s’adjoindre les services d’un superviseur distinct. Une telle exigence constituait une charge supplémentaire pesant notamment sur les petites structures.

Le Conseil d’Etat annule donc la décision d’homologation de la norme NF X 31-620 prise par le directeur général de l’Afnor. L’arrêté du 19 décembre 2018 est quant à lui annulé par voie de conséquence, dans la mesure où il s’est borné « à rendre obligatoires les parties 1 et 5 de la norme [en question] » et à y renvoyer.

Toutefois, l’annulation est différée dans le temps de sorte qu’elle ne prendra effet qu’après le 1er mars 2022, permettant aux différentes parties prenantes (Afnor et Etat) de remédier à l’illégalité pointée.

Une décision d’homologation, après modification, de la série de normes NF X 31-620 a été prise le 24 novembre 2021, tandis qu’une consultation publique sur le projet du nouvel arrêté a été initiée du 3 au 23 décembre 2021 s’appuyant toujours sur la NF X 31-620 (version décembre 2021)[4]. Cette consultation était toutefois large puisqu’elle portait également sur les conditions de certification des opérateurs pour la délivrance des attestations prévues par les articles L. 512-6-1, L. 512-7-6 et L. 512-12-1 du Code de l’environnement[5].

A l’heure où ces lignes sont écrites, le nouvel arrêté n’a pas encore été publié.

L’exigence de la certification SSP dans le cadre des marchés publics

Les conditions dans lesquelles les acheteurs soumis au CCP sont susceptibles d’exiger qu’un bureau d’études soit certifié SSP nécessitent de formuler quelques brefs rappels s’agissant d’une distinction classique : celle entre les candidatures et les offres.

La distinction entre les candidatures et les offres

La phase de candidature consiste à s’assurer que les opérateurs « disposent de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière ou des capacités techniques et professionnelles nécessaires à l'exécution du marché » (L. 2142-1 et R. 2142-1 à R. 2142-14 du CCP). A ce titre, l’acheteur est fondé à leur demander les « renseignements » ou « documents » évoqués à l’annexe 9 du CCP[6].

Dans le cadre de la phase offres, il s’agit pour l’acheteur de s’intéresser spécifiquement à la proposition elle-même des opérateurs et répondant, pour schématiser, au cahier des charges.

Ces deux phases, au moins en matière de procédures formalisées, sont strictement séparées de sorte qu’un élément censé être rattaché à une phase ne saurait être exigé et utilisé au titre de l’autre. Autrement dit, l’acheteur public ne peut pas « se fonder sur des critères portant sur les capacités générales de l'entreprise » (expérience, capacité professionnelle…) pour juger et départager les offres et vice versa (CE, 13 juin 2016, n° 396403CE, 11 avril 2014, n° 375245, mentionné aux Tables). Cela étant, la portée d’une telle séparation doit être circonscrite puisque, par exemple, des renseignements ou documents se rapportant classiquement à la capacité de l’opérateur économique peuvent permettre d’analyser les offres, mais à la condition qu’ils se rapportent à l’exécution même du marché (CE, 11 mars 2013, n° 364706 sur l’indication des moyens et/ou personnels qui seront spécifiquement dédiés).

Il s’avère que dans un arrêt récent « Sotsiaalministeerium », la CJUE a considéré que lorsqu'un acheteur exige la production par les candidats d'une inscription à un registre professionnel, d'autorisations, d'agréments indispensables à l'exécution du marché, la détention de ces documents ne doit pas être regardée comme une simple condition d'exécution du marché, mais comme le moyen pour les soumissionnaires de faire la démonstration, au stade de la candidature, de leur aptitude à exercer une activité professionnelle (CJUE, 20 mai 2021, aff. C-6/20).

Cette décision tranche avec la position du juge interne qui semble considérer, au moins jusqu’à présent, que l’examen des autorisations/agréments - au sens large - exigés par des textes en vue de permettre à un opérateur de réaliser une prestation définie relèverait davantage de la phase offre (cf. CE, 5 février 2018, n° 414846, Tables - G. Pélissier, concl. sur CE, 4 avril 2018, n° 415946 - CAA Paris, 30 avril 2021, n° 19PA00268 - TA Marseille, 29 avril 2019, n° 1902790).

Le maître d’ouvrage doit éviter d’exiger une certification SSP en dehors des cas fixés par la loi

Bien évidemment, dès lors que la prestation sollicitée par le maître d’ouvrage entre dans le cadre fixé par les articles L. 556-1 et L. 556-2 du C. env., le bureau d’études devra être certifié conformément au référentiel fixé par le futur arrêté. Le code rappelle toutefois que l’acheteur doit accepter les certifications basées sur un référentiel « équivalent ».

Quoiqu’il en soit, une telle certification serait à exiger dès le stade de la candidature si l’on suit le raisonnement adopté par la CJUE, le 20 mai 2021, dans son arrêt « Sotsiaalministeerium ». En effet, s’agissant d’une certification exigée par la loi pour pouvoir réaliser la prestation en cause, elle aurait trait à « l’aptitude » de l’opérateur.

Or, on constate en pratique que de nombreux marchés publics ayant pour objet la simple réalisation d’études ou de compléments d’études de sols (pollués) exigent des bureaux d’études qu’ils disposent d’une certification SSP, alors même qu’aucune prestation Attes n’est sollicitée par ailleurs de leur part. Ce faisant, l’acheteur risque de s’exposer à un contentieux, soit en référé précontractuel ou contractuel, soit au fond, pour avoir porté atteinte aux principes fondamentaux de la commande publique.

En effet, le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de juger comme irrégulière l’exigence de détention du titre de géomètre expert pour des prestations n’entrant pas dans le champ de celles réservées à cette profession (CE, 30 juin 2004, n° 261919, Tables). Cette jurisprudence qui tend à empêcher des restrictions artificielles à la commande publique se comprend aisément, a fortiori au regard de la formulation de l’article L. 2142-1 du CCP qui vise clairement à empêcher l’acheteur de fixer des conditions disproportionnées et non liées à l’objet du marché ou ses conditions d’exécution[7].

Par ailleurs, même si l’exigence de la détention d’une certification SSP devait être formulée au titre de l’exécution du marché, elle n’en serait pas moins risquée pour l’acheteur. Une telle exigence risque d’être regardée comme excluant de l’accès au marché certains opérateurs, et donc comme restreignant la concurrence, sans toutefois qu’une telle exclusion soit réellement, et par hypothèse, justifiée par l’objet du marché (par exemple : CE, 18 décembre 2019, n° 431696, Tables).

[1] Nous n’évoquerons donc pas ici l’attestation devant être délivrée, dans le cadre de la procédure de cessation d'activité d’une ICPE, par « une entreprise certifiée dans le domaine des sites et sols pollués ou disposant de compétences équivalentes en matière de prestations de services dans ce domaine » (cf. articles L. 512-6-1, L. 512-7-6 et L. 512-12-1 du C. env. issus de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 dite « Asap » - Décret n° 2021-1096 du 19 août 2021 modifiant diverses dispositions relatives aux sols pollués et à la cessation d'activité des ICPE).

[2] C’est l’article R. 556-1 du CE qui prévoit, le cas échéant, la réalisation d’une étude de sol dans l’hypothèse prévue à l’article L. 556-1 du même code. Cette étude de sol est prévue directement par l’article L. 556-2 du même code dans l’hypothèse qu’il vise.

[3] En France, c’est en principe le Cofrac ou « tout organisme d'accréditation signataire de l'accord européen multilatéral établi dans le cadre de la coopération européenne des organismes d'accréditation » (article 4 de l’arrêté du 19 décembre 2018 fixant les modalités de la certification prévue aux articles L. 556-1 et L. 556-2 du Code de l'environnement et le modèle d'attestation mentionné à l'article R. 556-3 du Code de l'environnement). Cette accréditation du certificateur est en principe réalisée sur la base de la norme EN ISO/IEC 17065 : 2012 « Évaluation de la conformité - Exigences pour les organismes certifiant les produits, les procédés et les services ».

[4]http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/arrete-ministeriel-fixant-les-modalites-de-a2545.html.

[5] Cf. note de bas de page [1].

[6] Arrêté du 22 mars 2019 fixant la liste des renseignements et des documents pouvant être demandés aux candidats aux marchés publics.

[7] « L'acheteur ne peut imposer aux candidats des conditions de participation à la procédure de passation autres que celles propres à garantir qu'ils disposent de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière ou des capacités techniques et professionnelles nécessaires à l'exécution du marché. Ces conditions sont liées et proportionnées à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. »

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