Dans le fond d’une cour d’entreprise, dans l’agglomération aixoise, une petite centaine de visiteurs se sont réunis fin juillet. Parmi ces acteurs locaux, se distinguent les visages de l’architecte Rudy Ricciotti et du président de Saint-Gobain Distribution Bâtiment France, Patrice Richard. Point commun entre ces deux figures de la construction : l’intérêt pour la terre crue. Pour le premier, ce matériau s’inscrit dans la tradition minérale qui l’a rendu célèbre. Pour le second, il répond aux enjeux de bas carbone et d’économie circulaire inscrits dans la feuille de route RSE du groupe.
Partenariats
La présentation de ce 21 juillet constitue pour SGDB France un aboutissement. Il a fallu deux ans à Michel Daniel, directeur Aménagement et ville durable de Saint-Gobain, pour arriver à ses fins : trouver un système démocratisant la terre crue, tant en termes de technique de pose que de prix. En multipliant les contacts en région PACA, sa route finit par croiser celle de Norper, une PME aixoise dirigée par Louis Perez et spécialisée dans les bétons décoratifs projetés – avec comme références récentes la Smac d’Aix-en-Provence, signée Ricciotti, et La Calanque de Saint-Juste, de L’Atelier Jean Nouvel. L’intérêt est double. D’une part, la terre crue se projette comme le béton décoratif. D’autre part, Louis Perez détient, au fond de sa mémoire, une recette familiale de liant sans ciment, que son père avait utilisée pour construire une maison en terre crue en Espagne, il y a quelques décennies. Saint-Gobain s’est adjoint l’aide du groupe d’ingénierie Ginger, pour caractériser les terres et conduire les essais. La formule du liant sans ciment a été brevetée en mars dernier par Norper. Ecocem, structure partenaire de Saint-Gobain spécialisée dans les ciments bas carbone, s’est également impliquée, fournissant un laitier à haute valeur environnementale.
Un béton de terre circulaire et décarboné
Ce travail conjoint débouche sur un produit aux multiples vertus. Tout d’abord, il s’inscrit pleinement dans l’économie circulaire, puisque les terres utilisées sont issues de l’excavation ou de déchets de carrière. L’opérateur y adjoint une fibre végétale – ici, des cosses de riz de Camargue, en circuit court, ainsi que des graviers, le liant et le cristallisant. Le mélange se projette humide sur la surface à garnir, prenant appui sur un cadre en bois des Alpes. Côté carbone, les calculs sont en cours, mais SGDB France mise sur un bilan négatif. Un atout de taille à quelques mois de l’entrée en vigueur de la RE 2020. L’inertie apportée par les 14 cm de terre crue intéresse aussi beaucoup, tant d’un point de vue réglementaire (le confort d’été sera davantage pris en compte dans la future réglementation) que pour le bien-être des occupants.
Autre facteur-clé, la mise en œuvre. Un projeteur façadier, moyennant une formation courte, peut facilement se mettre à ce mélange. « Il suffit d’adapter la machine, pour environ 500 euros », détaille Patrice Richard. Le béton de terre crue devient donc à portée d’un artisan maîtrisant la projection.
Développements
La solution sera tout d’abord expérimentée sur deux immeubles en R+4 et R+5, à Marseille, dont la maîtrise d’ouvrage est assurée par Eiffage Immobilier, et faisant l’objet d’un permis d’expérimenter, soutenu par l’établissement public d’aménagement Euroméditerranée. La terre crue remplira la structure poteaux-planchers en béton, et s’inscrira entre la façade isolée par l’extérieur et la plaque de plâtre. Le permis de construire, qui a pris du retard durant le confinement, devrait être déposé à l’automne.
A terme, Saint-Gobain Distribution Bâtiment France envisage de multiples possibilités pour ce béton de terre crue. « Banchée, la terre crue avec ce liant et ce cristallisant atteint une résistance de 12 Mpa, contre 4 pour le bloc béton standard », souligne Michel Daniel. Une performance qui ouvre la voie à des solutions porteuses.
Les développements passeront aussi par d’autres marchés que la prescription sur de grands immeubles. « Pour l’heure, nous réservons la solution au projet avec Eiffage, détaille Patrice Richard. D’ici deux à trois ans, nous pourrons la proposer aux constructeurs de maisons individuelles. » Bilan carbone négatif, temps de pose optimisé (100 m² / jour), technique facile à assimiler par des artisans formés par Norper : l’alignement est favorable à une généralisation de la solution terre crue. Les terres du Grand Paris, gorgées d’eau, ont été testées et conviennent pour la fabrication de la solution avec Norper.
Circuit court
Une telle validation technique confirme tout l’intérêt de cette réponse technique, qui doit rester en circuit court. En Provence, des résidus de riz sont ajoutés au mélange. Ailleurs, d’autres végétaux sont à l’étude, comme le miscanthus dans le Bassin parisien. « La chenevotte pourrait aussi convenir, mais nous préférons utiliser des résidus agricoles plutôt que de cultiver des plantes pour les utiliser dans la construction », détaille Michel Daniel. De même, les terres utilisées seront toujours locales, avec validation par Ginger de leurs caractéristiques techniques.
C’est donc un modèle original que SGDB France entend déployer pour commercialiser à terme cette solution locale et bas carbone. « Nous proposerons dans nos agences le liant et le cristallisant, détaille Patrice Richard. Notre métier n’est pas de vendre de la terre, mais s’il faut créer des packs, c’est envisageable. Et nous apporterons aussi le savoir-faire des artisans qui auront été formés par Norper, avec éventuellement notre concours. » Un CFA devrait d’ailleurs voir bientôt le jour à Marseille, porté par la FFB 13 avec le soutien de Saint-Gobain, pour développer localement le réseau des professionnels maîtrisant cette technologie. Avant d’autres aventures, toujours locales.