Votre budget 2020 est en baisse de 1,23 Md € par rapport à 2019, en raison principalement de la réforme des APL. Alors que celle-ci devait être applicable dès 2019, serez-vous au rendez-vous cette année ?
Personne ne peut comprendre que le montant des APL soit calculé selon ses revenus d'il y a deux ans ! Nous faisons évoluer la situation. Cela répond à une vision politique pour accorder l'aide dont un ménage a besoin en fonction des revenus dont il dispose actuellement. Cette réforme nécessite de profondes modifications techniques, notamment sur les outils utilisés par la Caisse nationale d'allocation familiales (Cnaf) et la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA), mais nous serons au rendez-vous début 2020. Je m'y engage.
Alors que l'APL doit intégrer le revenu universel d'activité (RUA), les bailleurs sociaux craignent que ces réformes soient menées pour réaliser des économies…
Le RUA vise à unifier les aides aux personnes en difficulté et à en faciliter leur accès. Une très large concertation est en cours. La question du logement devra évidemment être prise en compte par exemple via la création d'un supplément logement, qui jouerait le même rôle que l'APL en matière d'aide à l'accès au logement et de lutte contre l'habitat indigne.
Matignon a commandé un audit à l'Inspection générale des finances (IGF) sur la gouvernance d'Action Logement. N'y a-t-il pas un risque de déstabiliser encore une fois les bailleurs sociaux ?
J'ai une très grande confiance en Action Logement et en son modèle. Mais ce n'est pas parce que de grands projets sont lancés, comme le plan d'investissement volontaire de 9 Mds €, que l'on ne peut pas chercher à améliorer collégialement l'organisation. Le rapport sera remis à l'automne : s'il explique comment renforcer l'efficacité d'Action Logement, cela ne réduira pas la confiance que j'ai en son fonctionnement paritaire. Car nous devons tous nous améliorer et concentrer nos efforts sur la mise en œuvre concrète de nos actions. D'ailleurs, c'est une méthode que je m'applique : j'ai lancé à la mi-septembre au sein de mon ministère une « delivery unit » qui correspond à une direction des opérations tournée vers la mise en œuvre accélérée de nos politiques sur le terrain.
Quel sera le rôle concret de cette « delivery unit » ?
Trop souvent, les décisions politiques fonctionnent bien sur le papier, mais moins sur le terrain… Ici, dix personnes composeront cette unité qui devra tenir les délais d'application des grandes mesures, assurer le dernier kilomètre des politiques publiques et « challenger » les chefs de projet en charge de chaque politique publique.
Cette mission sera dirigée par un fonctionnaire expérimenté qui vient du terrain. Prenons l'exemple de la garantie Visale, qui a été réformée et ouverte récemment à tous les jeunes de moins de 30 ans. Nous nous sommes accordés sur le contenu et les points d'amélioration qu'il a fallu apporter.
Mais avec qui les moins de 30 ans discutent-ils pour louer un logement ? Pas avec l'administration, ni mon cabinet ou Action Logement qui finance, mais avec les agents immobiliers, les agents des Crous… Il y a donc besoin d'animer les acteurs de terrain dans la mise en œuvre de ce dispositif, de créer des indicateurs de suivi, etc.
Toutes les entreprises disposent d'une direction des projets. Je voulais faire la même chose dans mon administration, cela permet d'avoir une approche client, au sens noble du terme.
Dix-huit mois après son lancement, 618 M€ du programme Action cœur de ville ont été engagés, sur un budget total de 5 Mds €. N'a-t-il pas du mal à décoller ?
C'est au contraire un très grand succès ! Toutes les conventions ont été signées, et 4 000 actions ont été engagées. Le véritable défi consistait à amorcer la pompe, à créer une communauté. C'est chose faite. En plus des 222 villes incluses dans le programme, plusieurs centaines de communes travaillent à la mise en place d'une opération de revitalisation de territoire (ORT), qui permet de déployer le Denormandie dans l'ancien [un dispositif fiscal, NDLR].
Les dix-huit prochains mois seront ceux de l'accélération.
« Avec le zonage de projet, le préfet de région définira les zones éligibles au Pinel avec les élus locaux. »

Dans la version actuelle du budget, qui pourrait être amendée, le crédit d'impôt transition énergétique (CITE) est supprimé pour les 20 % de ménages les plus aisés, alors qu'ils représentent plus de la moitié du marché.
Ne risquez-vous pas de manquer ainsi, une fois de plus, l'objectif de 500 000 rénovations par an ?
Non. J'ai fait de la rénovation un marqueur très fort de mon action. Notre logique consiste à diminuer le reste à charge des ménages modestes et très modestes. C'est comme cela que nous les inciterons à réaliser des travaux. En parallèle, nous devons améliorer l'accompagnement de l'ensemble des foyers. C'est essentiel car la rénovation relève toujours beaucoup trop du parcours du combattant. Nous sommes donc en train de conclure des contrats avec tous les territoires pour poursuivre et renforcer cet accompagnement.
C'est le programme Sare, qui est doté de 200 M€.
Pourquoi avoir attendu les débats sur le projet de loi de finances 2020 pour lancer le « zonage de projet », qui permet de bénéficier à titre expérimental du Pinel dans les zones B2 ?
Tout simplement parce qu'il fallait un véhicule législatif.
Nous expérimenterons le dispositif en Bretagne pour donner plus de visibilité et de stabilité aux acteurs, mais aussi pour territorialiser nos politiques. Le préfet de région, en discussion avec les élus locaux, définira les zones éligibles au dispositif Pinel. On ne peut pas rendre compte des réalités territoriales avec cinq zones définies nationalement, ça ne peut pas fonctionner convenablement. Il faut sortir du « tout-zonage ».
C'est ce que nous avons fait avec le Denormandie dans l'ancien. Ce dispositif fiscal territorial n'est pas déployé en fonction des zones, mais des projets territoriaux [dès que les collectivités lancent une ORT, elles deviennent éligibles, NDLR].
Les permis de construire sont en recul sur un an.
Entre leur baisse et la suppression du prêt à taux zéro dans les zones détendues, les fédérations prédisent un plan de relance de la construction en 2021…
Pour soutenir la construction, il nous faut donner de la visibilité, notamment fiscale, aux acteurs. On peut encore s'améliorer là-dessus, mais il y a déjà 440 000 autorisations ou permis sur les douze derniers mois. Il nous faut aussi accélérer la mise en œuvre des principaux dispositifs de la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan), comme la lutte contre les recours abusifs, le déploiement du permis d'expérimenter, le lancement des projets partenariaux d'aménagement (PPA) dont beaucoup sont en gestation. En parallèle, nous sommes en train de réécrire le Code de la construction et de l'habitation pour libérer l'innovation. Enfin, nous continuerons à territorialiser nos politiques pour coller le plus possible aux réalités du terrain.