Dans une note interne à l'UMGO, vous dénoncez une baisse importante des appels d’offres par les donneurs d’ordre publics, qui semblent « être entré en hibernation », selon vos propres termes. Qu’en est-il ?
L’arrêt des chantiers a déjà mis à mal l’économie du BTP, mais d’autres périls se profilent. Le lancement d’appels d’offres par les maîtrises d’ouvrages publiques semble lui aussi être à l’arrêt, alors que les solutions dématérialisées existent.
En tant que président de l’UMGO-FFB, j’appelle les collectivités locales, les établissements publics, les offices publics de l’habitat, etc. à relancer les appels d’offres, sans quoi, dès septembre, les entreprises seront à la peine. Cette mesure est d’autant plus essentielle que dans le même temps, les investissements privés seront inévitablement revus à la baisse. Pour prendre un cas concret, les promoteurs ne peuvent plus enregistrer d’acte notarié, et donc vendre d’appartement.
De la même manière, l’UMGO-FFB se désole de la publication des ordonnances prévoyant la suspension des délais d’instruction des demandes de permis de construire.
Les entreprises de gros-œuvre qui travaillent en conception-construction en souffrent déjà, là où la conception aurait pu leur permettre d’assurer leurs arrières. Drôle de situation que de renvoyer les compagnons sur les chantiers, dans un environnement à risque, alors que leurs bureaux d’étude, qui peuvent fonctionner en télétravail, se retrouvent inactifs. S'il perdure, ce paradoxe pourrait se traduire par un effondrement de l’activité dès janvier 2021.
Quelle est la position actuelle de l’Union de la maçonnerie et du gros-œuvre (UMGO-FFB) face à la reprise de l’activité sur les chantiers ?
Le bureau de l’UMGO-FFB fonctionne en cellule de crise depuis le début du confinement il y a maintenant trois semaines. Contrairement à ce qu’a laissé entendre Muriel Pénicaud, les adhérents maçons de la FFB n’ont aucun intérêt à stopper leurs activités sur les chantiers. Nous pouvons recourir au chômage partiel, c’est une excellente nouvelle même si sa mise en œuvre connaît des ratés. Mais c’est oublier un peu vite que nos entreprises ont des frais généraux parfois importants. Quand notre matériel est à l’arrêt, il coûte ! Néanmoins le redémarrage des chantiers ne sera pas simple. Chaque entreprise travaille à la mise à jour de son Document Unique, élabore son Plan de Continuation d’Activité. Dans ce cadre, chacun fait l’état des lieux de ses chantiers pour voir où il serait possible de redémarrer.
La publication du guide de préconisations de l’OPPBTP est une bonne nouvelle. C’était un préalable incontournable car notre priorité demeure la santé de nos salariés. Ce document pose des bases de travail, les modes opératoires et les procédures à suivre vis-à-vis du Covid-19. J’ajoute que ce document est de nature à rassurer les chefs d’entreprises, inquiets d’engager leur responsabilité civile, voire pénale. En effet, il a reçu l’agrément des trois ministères : Logement, Santé et Travail.
Quels sont les risques sur les chantiers de gros-oeuvre ?
Selon les typologies de chantiers, les risques et protocoles à mettre en place ne seront pas les mêmes. Pour ce qui est des chantiers chez des particuliers, en extérieur et sans co-activité, sur des taches uniques comme la réalisation de fondations, de mur de clôture, d’agrandissement d’une maison ou même de réalisation d’un pavillon, certains travaux ont déjà repris, car les gestes barrières sont assez faciles à mettre en œuvre. Dans ces situations, le client a donné son accord par écrit.
Sur les gros chantiers de réhabilitation lourde ou en neuf, les problèmes sont bien plus complexes. Pour prendre un exemple très concret, sur un chantier de construction de 50 logements, environ 20 personnes seront présentes pour réaliser le gros-œuvre. Ils croiseront les électriciens ou les plombiers qui devront faire leur incorporation, échangeront leur matériel, etc. Gérer la co-activité posera de nombreux problèmes.
Or, c’est un point essentiel dans les révisions de Plan Généraux de Coordination que nous recevons actuellement. Nous devons à notre tour adapter nos Plans particuliers de sécurité et de protection de la santé (PPSPS). Quelles que soient les solutions mises en place, elles auront un impact non négligeable sur notre productivité
Quelles sont les options envisageables pour reprendre les travaux en minimisant les risques sanitaires ?
Nous devons revoir tous nos modes opératoires : décaler les horaires de travail, limiter le nombre de salariés par poste de travail, limiter le port des matériaux à deux personnes, privilégier les moyens de levage, mécaniser un maximum de tâches. Les chemins de circulation intérieurs et extérieurs pourront être multipliés et différenciés pour mettre en place des sens uniques. La préfabrication aura aussi un rôle à jouer, les gestes barrières étant plus simple à appliquer en atelier que sur site. Mais évidemment, tout doit s’appréhender chantier par chantier, il n’y a pas de recette miracle.
Mais le gros point noir reste l’approvisionnement en masques. Nous ne pouvons pas expliquer décemment à nos ouvriers qu’il est possible de venir travailler sans masque sans risque. D’autant que pour la plupart d’entre nous, le retour sur chantier se fera sur la base du volontariat
Comment envisagez-vous l’après-confinement ?
Je souhaite rester optimiste. Toutes ces mesures nous feront réfléchir à l’organisation de nos chantiers. Nous parlons de "Lean management" depuis plusieurs années. Nous sommes aujourd’hui obligés d’être encore plus précis dans nos plannings et sur la rigueur des entreprises qui interviendront sur le chantier.
S’assurer que les gestes barrières sont bien mis en œuvre par chacun ne sera pas chose aisée. Pour chaque entreprise, le référent Covid19 devra en permanence vérifier que les ouvriers respectent les gestes barrières, que le nettoyage est effectué, etc. Des mesures qui pourraient être tenues dans les premiers jours mais dont la rigueur d’application risque de s’amenuiser au fil du temps. Par ailleurs, le référent sera responsable de ses salariés, mais n’aura aucune autorité vis-à-vis des autres compagnons lorsque le chantier est mené en lots séparés. C’est aussi pour ça que dans mon entreprise, Le bâtiment associé, j’ai choisis d’interdire la reprise sur les chantiers en co-activité. Et d’envoyer uniquement les les salariés volontaires, de moins de quarante ans et en bonne santé, afin d’assurer au mieux la santé de tous.
Ces mesures sanitaires ont un coût. Savez-vous l’estimer ?
Toutes ces mesures auront un coût, et il ne sera pas négligeable. Pour en estimer le prix, j’ai fait le calcul dans ma propre entreprise, qui emploie 150 personnes sur les chantiers. Prenons l’exemple des protections individuelles. Si je prévois pour chaque salarié deux paires de gants et deux masques par jour ainsi que du gel hydro alcoolique, la facture s’élève à 30 000 euros/mois. Elle équivaut à ma consommation de carburant mensuel avec une flotte de 80 véhicules ! Sachant que ce chiffre sera multiplié au moins sur six, voire même 12 mois.
L’autre problème concerne les bases vies, à la charge pour 95 % d’entre elles des entreprises de gros-œuvre, qui gèrent les comptes prorata. Dans ce foyer de possibles contaminations, des mesures exceptionnelles devront être appliquées : diviser par deux leur capacité en doublant leur taille ou en organisant des roulements, la désinfecter deux fois par jour, etc. Quid de la prise en charge de ces frais ? Les entreprises paieront une partie de la facture, mais il faudra que l’ensemble des acteurs intègre ces frais supplémentaires, si nous voulons limiter les dégâts.