Par Maxence Dubreucq, avocat, DLGA
Le Code civil ne prévoit initialement que deux possibilités pour procéder à la réception d’un ouvrage. En effet, son article 1792-6, qui définit la réception comme étant « l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves », précise que celle-ci intervient « à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement ». Dans les deux cas, cette réception est prononcée contradictoirement.
Point de départ des garanties.
La réception est une étape importante du droit privé de la construction puisqu’elle constitue le point de départ des garanties des constructeurs, à savoir la garantie décennale, la garantie de parfait achèvement (un an) et la garantie de bon fonctionnement (deux ans). Dès lors, on comprend aisément que l’intérêt du maître d’ouvrage, afin de retarder le plus possible le point de départ de ces garanties, soit de ne pas procéder à une réception formelle.
Afin d’éviter un encombrement des juridictions, la pratique puis la jurisprudence ont reconnu que cette réception pouvait se constater à partir de faits objectifs, sans que le maître d’ouvrage n’ait à se manifester formellement, de manière à ce que le constructeur puisse, au nom de la sécurité juridique, être déchargé de ses responsabilités au fil du temps.
Ainsi, sauf si le contrat de construction prévoit que la réception ne peut être qu’expresse (), la réception tacite n’est pas exclue par l’ ().
Volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage.
Au fil de sa jurisprudence, le juge judiciaire a cependant posé deux grands principes, pour que la réception tacite n’acquière une portée si grande que le maître d’ouvrage ne se retrouve lié, alors qu’il n’est pas satisfait des travaux accomplis.
Ainsi, la Cour de cassation considère que la réception tacite ne peut intervenir que si, premièrement, le maître d’ouvrage prend possession de l’ouvrage, et que de cette prise de possession puisse être déduite une volonté non équivoque d’accepter l’ouvrage en l’état ().
Assez logiquement, les réserves éventuelles ne sont pas abordées dans la question de la réception tacite. En effet, du fait même que le maître d’ouvrage ne manifeste pas formellement sa volonté de réceptionner l’ouvrage, il ne peut non plus signaler des réserves à ce moment. Ainsi, si le maître d’ouvrage fait part de manière répétée de ses protestations sur la qualité des prestations de son constructeur, la Cour de cassation a rappelé récemment qu’il s’avérait dès lors impossible de considérer qu’une réception tacite avait bien eu lieu (), et ce même si la deuxième condition est remplie.
De même, le fait qu’un entrepreneur succède à un premier entrepreneur, remplacé en cours de chantier à l’initiative du maître d’ouvrage, ne peut caractériser l’existence d’une réception tacite (Cass. 3e civ., 19 mai 2016, « Société Bat’Im et ML associés c/société SMG », n° 15-17129), la réception ne pouvant avoir lieu avant l’achèvement des travaux, et le maître d’ouvrage manifestant, par le remplacement même du premier entrepreneur, une volonté non équivoque de ne pas recevoir lesdits travaux.
Paiement intégral des travaux.
La deuxième condition pour caractériser une réception tacite tient au paiement intégral des travaux (). En effet, les juges du quai de l’Horloge considèrent fort logiquement que le versement du solde du prix, généralement réservé en cas de difficultés sur les travaux, manifeste aussi une volonté de recevoir l’ouvrage en l’état ().
Si ces deux conditions ne sont pas cumulativement remplies, le juge considérera que la réception tacite n’a pas pu intervenir (par exemple, ). Ainsi, par sécurité, il peut être plus efficace de passer par une réception prononcée judiciairement, à défaut de réception amiable.