RGE : lassés des fraudes et des lourdeurs administratives, ces artisans quittent le label

Des artisans, engagés dans le label Reconnu garant de l’environnement (RGE), l’ont quitté pour de multiples raisons, sans penser à leur éventuel retour. Quatre d'entre eux témoignent.

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Démission
Démission

Un chauffagiste, un maçon, un plombier et un électricien. Tous quatre ont d’abord été séduits par le dispositif RGE, mention accolée à une qualification professionnelle, lancé par l’État en 2011 autour de trois axes : « reconnaître les signes de qualité existants et les faire évoluer, préparer l’éco-conditionnalité des aides publiques, mettre en place l’offre globale RGE » (1). Certains se sont engagés sans compter derrière cet acronyme, tour à tour décliné Reconnu Grenelle, Gagnant (2) puis Garant de l’Environnement, mais pour eux, la promesse n’a pas été au rendez-vous.

Artisan maçon installé à Saint-Martin-de-Londres (effectif de 4 personnes), Jean-Pierre Garcia est également président de la Capeb Hérault. « J’ai été RGE dès 2011. L’engouement était incroyable, se souvient-il. On nous proposait d’aborder la construction différemment et nous pouvions même effectuer des évaluations thermiques avec Bâti Cube, ce qui plaisait beaucoup aux clients ! J’avais suivi les formations FeeBat 1 et 2 dans les domaines des parois vitrées et opaques. Tout allait bien jusqu’à ce que ce dispositif devienne une usine à gaz sans nom inadaptée aux artisans. J’ai arrêté de renouveler la démarche RGE en 2018 ! »

Jean-Pierre Garcia
Jean-Pierre Garcia Jean-Pierre Garcia

C’est à la même époque que William Buniet, plombier à Montélimar, met un terme à son engagement dans la démarche RGE : « J’ai créé mon entreprise en 2013 et j’étais RGE l’année suivante ! Au départ, ce label permettait de travailler sur un grand panel d’activités. Mais ça n’a pas duré… »

Une gestion chronophage

À Aspiran (Hérault), l’entreprise de plombe­rie-chauffage-électricité Coulon (6 salariés), a aussi fait partie de la première vague RGE. « Depuis 2011, nous avons obtenu QualiPac, Qualisol et Éco Artisan, détaille Valérie Coulon, conjointe salariée. La dernière mention couvre les chaudières et la VMC. Nous payons non seulement le renouvellement annuel de la qualification via un audit, mais le dossier est très contraignant. Exemple, sur un dossier en 2023, j’ai bien fourni à un client le questionnaire de satisfaction, la fiche contact et l’attestation de travaux, mais ce dernier formulaire datait de 2022. Or, dans sa nouvelle version, une question déjà existante sur l’un des trois documents a été ajoutée sur celui-ci : “ L’artisan vous a-t-il proposé une évaluation thermique ? ” Pour cette seule raison, le dossier a été refusé dans un premier temps. Autant vous dire que nous ne comptons pas prolonger RGE Éco Artisan. »

Valérie Coulon
Valérie Coulon Valérie Coulon

Même s’il installait des pompes à chaleur « quand les plombiers ne juraient que par le gaz et le fioul », Daniel Le Guillant, à la tête d’une entreprise d’électricité générale  (13 salariés) à Ploemel (Morbihan) depuis trente ans, n’a jamais demandé la qualification RGE QualiPac notamment en raison de la nature de ses clients, propriétaires de résidences secondaires, non éligibles aux aides. Ayant opté pour RGE Ventilation, il se souvient du temps passé au montage des dossiers : « Nous étions deux à nous en occuper et, outre la partie administrative très lourde, nous devions, par exemple, prendre des photos lorsque nous effectuions un devis chez les clients. Au regard des aides dérisoires sur la ventilation et du poids du renouvellement du dossier, j’ai arrêté RGE il y a sept ans. »

Daniel Le Guillant
Daniel Le Guillant Daniel Le Guillant

L’artisan et ancien président de l’Organisation des coopératives d’achat des artisans du bâtiment (Orcab) se désole de l’obligation de renouvellement de RGE : « Un artisan qui avait trois qualifications (Qualisol, QualiPac, Qualibois) et employait 2 salariés a dû fermer boutique parce qu’il n’a pas pu obtenir de renouvellement de sa qualification. La raison ? Il n’avait pas installé de panneaux solaires en production d’eau chaude depuis deux ans. Or, si vous êtes chirurgien à 30 ans, que je sache, vous l’êtes toujours à 65 ans, même si vous n’avez pas opéré dans tous les domaines. Trouvez-vous normal qu’un plombier qui n’a pas raccordé du solaire en deux ans, alors que c’est le même métier, perde sa qualification ? »

Outre la « paperasse et l’aberration d’avoir à payer le droit de travailler sur ses activités », c’est le système d’audit qui révolte encore William Buniet : « Il est inadmissible, et les clients le subissent à plusieurs titres : lorsqu’on les oblige à remplir, entre autres, le questionnaire de satisfaction mais aussi lorsque l’organisme certificateur exige les dossiers clients, donc leurs adresses, en contradiction complète, à mon avis, avec la préservation de leurs données. »

RGE « accro » aux aides

Une des critiques les plus vives porte sur les aides. Pourquoi se lancer dans une démarche liée à l’éco'conditionnalité des aides publiques si celles-ci sont inexistantes ? « Lorsque j’ai annoncé l’arrêt probable de notre démarche RGE Éco Artisan à mon interlocutrice, celle-ci m’a répondu : “ Il se peut que les aides reviennent ”, se souvient Valérie Coulon. Mais il n’y a plus d’aide sur les chaudières, plus rien ! Quel intérêt à être Éco Artisan, sinon de payer une qualification et de passer du temps pour remplir le dossier ? Être RGE sur les chaudières est devenu inintéressant, et de plus en plus d’artisans ne renouvellent plus cette qualification. »

Quand les aides sont substantielles, c’est le délai d’obtention qui pose problème. « Le système de MaPrimeRénov’ est un fiasco. Je connais des entreprises qui se sont retrouvées en cessation de paiement avec 150 000 € de créances et des carnets de commandes pleins, s’indigne Jean-François Garcia. Recevoir les aides huit à dix mois après les travaux, c’est fou au regard des trente à quarante-cinq jours pour les chantiers publics. » Et Valérie Coulon d’évoquer un délai de paiement de six mois : « Nous avons la trésorerie suffisante pour absorber ce décalage, mais un artisan qui débute ne peut pas attendre ! »

Il y a pire : le départ du dispositif RGE semble souvent motivé par l’apparition d’acteurs que certains n’hésitent pas à qualifier d’écodélinquants. « Je suis sorti de ce système qui favorise des structures uniquement créées pour capter les aides publiques, indique William Buniet. Le dispositif a été perverti. » Daniel Le Guillant tient le même propos : « Nous sommes noyés par des entreprises qui s’installent pour être RGE et font appel à des travailleurs extérieurs, dans le seul but de capter les aides des CEE. Chez un ancien client qui s’était fait installer une PAC, le disjoncteur a sauté. En tant qu’électricien, j’y suis passé pour constater que la PAC était en monophasé, les fils de section inadaptés, et toute l’installation sous-dimensionnée. C’est une entreprise RGE qui a posé cette PAC, dont le SAV est à distance, sur une plate-forme. Avec ces écodélinquants, RGE n’est plus qualitatif. »

Un travail différent

S’éloigner de la RGE n’est pas neutre, mais les artisans l’assument. « Cela a réduit la diversité de mes chantiers et j’ai dû développer d’autres activités, constate William Buniet. Je travaille plus qu’avant dans le la climatisation et je réponds à une forte demande de plomberie et de salles de bains clés en main. J’ai finalement bien compensé la perte de chiffre d’affaires générée par ma sortie de RGE, entre autres avec des clients prêts à abandonner les bénéfices des aides. » Jean-Paul Garcia, qui annonce un « carnet de commandes plein », ne manifeste pas plus de regrets : « En ce moment, j’ai deux rénovations complètes, et la question des aides publiques ne s’est jamais posée. Par contre, je sais que le manque d’artisans RGE bloque l’ouverture de chantiers en lien avec des aides publiques ! » Et si, par hasard, un client a absolument besoin d’une entreprise RGE pour obtenir les aides, la solution est toute trouvée, pour William Buniet : « Je les dirige auprès de collègues RGE, qui me renvoient l’ascenseur. »

Parmi les propositions de réforme, une revient à plusieurs reprises. « Dès qu’il y a une aide, toute installation devrait être contrôlée sur site, et non sur un document déclaratif, lance Daniel Le Guillant. Et si l’on manque de contrôleurs, il n’y a qu’à en former ! Qui refuserait d’être contrôlé ? » La mesure tombe sous le sens, mais semble bien insuffisante pour convaincre ces professionnels de redevenir RGE.

1. Marie-Anne Belin et François Lefort, Rapport sur l’évaluation du dispositif « Reconnu garant de l’environnement » (RGE), CGEDD, Août 2017.

2. Alexandre Mallard, « Le label “ RGE ” ou la figuration de l’État sur les marchés de la construction durable », Revue française d’administration publique, 2021.

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