Très fortement discutée devant le Parlement, la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan) a modifié des pans importants du droit de la commande publique.
Parmi les objectifs ambitieux du gouvernement concernant la construction renforcée de logements, la simplification des normes ou encore l'impulsion en faveur des transitions énergétiques, celui clairement affiché ici était de faciliter la réalisation ou la réhabilitation d'ouvrages, tout particulièrement par les organismes HLM et les SEM immobilières. A cet égard s'est rapidement posée la question de savoir si la loi relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée (MOP) du 12 juillet 1985, ardemment défendue par les architectes mais de plus en plus critiquée au regard des contraintes qu'elle fait peser sur les maîtres d'ouvrage, devait, plus de trente ans après son adoption, être à nouveau écornée.
On rappellera que la -désormais codifiée aux (CCP) [1] -avait pour ambition d'instaurer une maîtrise d'ouvrage publique compétente et responsable. La qualité de la construction publique française en a été améliorée. L'étude d'impact du projet de loi Elan (2) apportait toutefois en 2018 un regard très critique. Elle considérait en particulier que les règles en matière de maîtrise d'œuvre constituaient « un frein à la recherche de la performance de l'activité de construction du secteur des organismes de logements sociaux, sans amélioration particulière de la qualité architecturale des réalisations ». La lourdeur des procédures de consultation, les coûts, le recours corrélatif massif à la vente en l'état futur d'achèvement (Vefa) par les bailleurs sociaux étaient ainsi invoqués pour faire évoluer la loi.
Des effets sur les pratiques et les procédures. Il est certain que la loi Elan a apporté de réelles adaptations et dérogations aux principes initialement définis dans la , dont on constate déjà l'effet sur les pratiques et les procédures des bailleurs sociaux en particulier. Les mesures de la loi en matière de commande publique ont toutefois fait l'objet sur plusieurs sujets, en lien avec l'adoption concomitante du CCP, d'une mise en cohérence des textes incertaine à certains égards.
Une mise en cohérence textuelle parfois difficile Après déjà de nombreux atermoiements législatifs, la loi Elan (art. 69) a modifié l'article L. 1414- 2 du Code général des col lectivités territoriales : désormais, pour les marchés publics passés par les offices publics de l'habitat (OPH), la commission d'appel d'offres (CAO) est régie par les dispositions du Code de la construction et de l'habitation (CCH) applicables aux CAO des organismes privés d'HLM. Les OPH peuvent ainsi librement déterminer la composition et les modalités de fonctionnement de leur CAO.
Les organismes HLM et les SEM immobilières peuvent désormais s'affranchir de la contrainte d'un concours.
Cependant, l' n'a pas encore été harmonisé avec cette nouveauté issue d'Elan : il énonce toujours, au plan réglementaire, que la CAO des OPH est composée de trois membres du conseil d'administration de l'office comme cela était prévu auparavant. La nouvelle disposition légale, qui ne nécessite pas de texte d'application, prévaudra certes. Il serait néanmoins utile pour une bonne sécurité juridique que l'article R. 433- 2 précité soit purement et simplement abrogé.
Les errements de la dispense de concours. Mesure emblématique par ailleurs s'il en est : la suppression de l'obligation d'organiser un concours pour des ouvrages de bâtiment réalisés par les organismes HLM et les SEM immobilières, jugés selon l'étude d'impact de la loi à cet égard comme des « professionnels de la construction immobilière spécialisés » pouvant dès lors s'affranchir de la contrainte du concours. A noter également que les centres régionaux des œuvres universitaires et scolaires (Crous), au terme des débats parlementaires -et sans que l'on puisse leur reconnaître cette qualité de professionnels de la construction -bénéficient aux termes de la loi de la même dispense. L'article 88, VII, de la loi Elan a modifié en ce sens l'article 5- 1 de la loi de 1977 sur l'architecture, en revenant à la situation antérieure à la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine (LCAP) de 2016.
Cependant, l'article 5- 1 précité renvoyait à un décret, et le relatif aux marchés publics n'avait pas été modifié sur ce point ; il en découlait une regrettable incertitude sur la sécurité juridique de la dispense de concours. S'il peut être objectivement considéré qu'il s'agissait uniquement d'une coquille, la codification dans le CCP (art. R. 2172- 2, 5°) a permis (3) de lever définitivement ce risque, mais uniquement pour les consultations engagées après le 1 trée en vigueur du CCP).
Des mesures fortes en faveur des bailleurs sociaux
La dispense de concours -qui est une technique d'achat et non une procédure entant que telle () -au profit des bailleurs sociaux et des Crous n'est toutefois qu'une faculté. Si recourir à un concours demeure pertinent dès qu'un enjeu architectural, technique ou urbain important est en cause, certains bailleurs sociaux n'ont pas hésité à franchir le pas en écartant ce mode de désignation.
Cela les oblige alors à bien définir le type de procédure à retenir (appel d'offres ouvert ou restreint, procédure avec négociation telle que recommandée par la Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques [MIQCP] ou encore dialogue compétitif) ; ainsi que le contenu des offres requis (absence de production d'un plan ou d'un projet à l'appui de l'offre des candidats). L'avenir nous dira rapidement si cela influe de manière réelle sur la qualité des ouvrages construits et sur la durée de la construction et son coût.
La mission globale de maîtrise d'œuvre, facultative. La loi Elan (art. 88, VI) exclut également l'application des règles de la relatives à la maîtrise d'œuvre privée aux organismes HLM et SEM immobilières, organismes réputés « professionnels ». Cela a été codifié à l'.
Concrètement, ces maîtres d'ouvrage n'ont plus l'obligation de confier une mission globale à un maître d'œuvre. L'attention des bailleurs sociaux doit toutefois être attirée sur la question de l'allotissement éventuel de plusieurs éléments de mission, qui ne relèveraient donc plus d'une mission globale, ainsi que du mode de rémunération de ces missions, qui ne relèverait plus obligatoirement d'un forfait contractuel. Il faudrait alors prévoir une rémunération spécifique par élément de mission commandé.
Un développement inégal de la conception-réalisation
En dernier lieu, la possibilité pour les organismes HLM et les SEM immobilières de recourir, sans avoir à justifier de motif particulier, à la conception-réalisation pour la réalisation de logements locatifs aidés (4), jusqu'ici limitée dans le temps, est pérennisée, renforçant à nouveau les mesures dérogatoires à leur profit (art. 69 de la loi Elan, codifié à l').
Le gouvernement a en effet jugé que la qualité de construction des logements en conception-réalisation par les bailleurs sociaux était similaire à celle des logements réalisés en maîtrise d'ouvrage classique ou encore acquis en Vefa auprès de promoteurs privés. En outre, les organismes du logement social souhaitaient fortement recourir plus systématiquement à cette forme de marché global afin de « s'immuniser », selon les termes de l'étude d'impact, contre l'incertitude, notamment financière, des différentes phases de conception dans le cadre d'une construction classique où celle-ci est dissociée de la réalisation des travaux.
Et cette possibilité est en outre étendue, dans le cadre de dérogations sectorielles, au profit des programmes de logements locatifs aidés des Crous, cette fois-ci, de manière limitée au 31 décembre 2021 (art. 69 de la loi Elan) ; pour l'établissement et l'exploitation des infrastructures et réseaux de communications électroniques et ce, jusqu'au 31 décembre 2022 (art. 230) ; ou encore pour la construction ou la réhabilitation des ouvrages nécessaires à l'organisation des Jeux olympiques et paralympiques de 2024 (art. 19).
Nouveau cas de recours. Mais c'est la création d'un nouveau cas de recours à la conception-réalisation, complémentaire à ceux déjà existants de motif technique ou d'amélioration de l'efficacité énergétique, en vue de la construction d'un bâtiment neuf dépassant la réglementation thermique en vigueur (), qui interroge plus particulièrement. Ainsi, il ne peut s'agir que de la réalisation d'un bâtiment neuf et qui, de plus, rend « nécessaire l'association de l'entrepreneur aux études de l'ouvrage ».
Au regard de décisions rendues récemment par les juridictions administratives sur les deux cas jusqu'alors autorisés, dont il ressort que le juge n'accepte le recours à un marché de conception réalisation que lorsque les motifs techniques ou les engagements de performance invoqués sont suffisamment complexes pour rendre nécessaire l'association de l'entrepreneur aux travaux d'études (5), il nous semble nécessaire de faire preuve de prudence en retenant à n'en pas douter que la satisfaction de cette condition du dépassement de la réglementation thermique sera appréciée strictement.
Ainsi, dans l'affaire jugée le 9 novembre 2018 () au titre de la passation d'un marché de conception-réalisation pour la construction d'un collège, il est utile de rappeler que la cour administrative d'appel de Nantes n'a pas estimé qu' « au regard de la nature de la construction envisagée comme du procédé constructif retenu et des matériaux dont l'emploi était prévu, l'objectif d'un niveau de performance énergétique supérieur de 10 % à la norme thermique RT 2012 […] représentait en lui-même une contrainte ou une complexité telle qu'elle exigeait d'associer nécessairement les opérateurs de maîtrise d'œuvre et les entreprises de construction dès le stade de l'établissement des études ». Une décision identique pourrait donc être retenue dès lors que le maître d'ouvrage se fonderait non pas sur le critère de l'efficacité énergétique mais sur celui, nouveau, du dépassement de la réglementation thermique.
Les bailleurs sociaux souhaitaient « s'immuniser » contre l'incertitude d'une construction classique.
La concurrence du marché global de performance. La réalisation de cette condition, difficile à démontrer, rend ainsi ardu le recours à ce fondement qui visait pourtant à accélérer la transition énergétique du parc tertiaire public. C'est regrettable puisque, en comparaison, cette condition n'est pas posée lorsqu'il est décidé de recourir à un marché global de performance ().
Les acheteurs pourront donc être amenés à privilégier le recours à cette forme de marché global plutôt qu'à la conception-réalisation dès lors qu'ils fixeront, au sein du contrat, des engagements de performance mesurables pouvant « notamment » porter sur le niveau d'activité, la qualité de service, l'efficacité énergétique ou l'incidence écologique. Mais dans ce cas, le marché devra au minimum comporter un volet maintenance, lequel doit être crédible, afin de pouvoir effectivement vérifier que les objectifs de performance inscrits sont atteints.
(1) La , si elle a été codifiée à droit constant, a fait l'objet de modifications purement rédactionnelles et a été répartie dans un nombre plus important d'articles.
(2) Etude d'impact, 3 avril 2018, page 190.
(3) A la suite, toutefois, de l'adoption du venant corriger lui-même une erreur contenue dans le portant partie réglementaire du Code de la commande publique.
(4) Pour plus de précisions sur le régime limité du recours à la conception-réalisation par les organismes HLM et les SEM immobilières et de construction, voir : « La conception-réalisation gagne du terrain », par Alain de Belenet et Raphaël Apel baum, « Le Moniteur », 21 décembre 2018, p. 72- 73.
(5) Voir notamment : et 222, 28 mars 2019 s'agissant du recours au motif technique ; s'agissant du recours au motif d'un engagement sur un niveau d'efficacité énergétique.