C’est sa première fois en France, alors il s’est démultiplié pour répondre aux nombreuses sollicitations qui affluent. Jay Lanier, aujourd'hui directeur environnement monde, est le petit-fils de Ray Anderson, le fondateur d’Interface, en 1973. L’illustre aïeul est décédé en 2011 et a laissé en héritage ce groupe pas comme les autres, martelant en son temps la responsabilité écologique des entreprises à une époque où évoquer ces sujets vous faisait passer, au mieux pour un doux rêveur, au pire pour le gourou d’une dangereuse secte anticapitaliste. « Mon grand-père avait l’habitude de dire que les chefs d’entreprises, dans lesquels il s’incluait, seraient un jour jugés », relate Jay Lanier. Pour écocide, évidemment.
Il faut dire qu’à l’époque, les dalles de moquette sont conçues à base de pétrole incinéré. Une hérésie en 2025. Une banalité confondante dans les années 1970. Le fondateur d’Interface ne s’y résout pas, compulse de plus en plus souvent des livres prophétiques sur l’environnement, opère un virage intime. Pour les générations futures, il souhaite changer de paradigme. Et prouver que compétitivité et productivité ne sont pas irréconciliables. « Son regard sur l’aventure entrepreneuriale procédait avant tout d’un impératif éthique », explique son petit-fils.
Des ambitions élevées sur les trois scopes
En 1994, Ray Anderson décide de transformer le « business model » d’Interface vers la circularité, une décision concrétisée un an plus tard avec le lancement d’un programme visant à éliminer la mise en décharge grâce à des solutions de réemploi et de recyclage. Le programme Ecometrics, mesurant annuellement l’impact environnemental de l’entreprise, est également lancé. « En 2017, nous avons lancé notre premier prototype de dalle de moquette à bilan carbone négatif suivi, un an plus tard, de la commercialisation de la première sous-couche pour dalle de moquette à empreinte carbone négative », rembobine Jay Lanier.
De 1994 à 2020, Interface a réduit de 96 % les émissions de gaz à effet de serre de ses usines, de 89 % leur consommation en eau et de 92 % les mises en décharge. 75 % d’énergies renouvelables sont utilisées dans leurs usines à l’échelle mondiale, pour un taux moyen d’utilisation de matériaux recyclés et biosourcés de 46 %. En 2020, Interface faisait valider par le SBTi (science based targets initiative) ses objectifs de réduction de CO2 à horizon 2030, à savoir -50 % sur les scopes 1,2 et 3 (achats de biens et services), par rapport à l’année de référence 2019. A date, l’entreprise est parvenue à réduire de 30 % ses émissions sur le scope 1, de 28 % sur le 2 et de 42 % sur le 3.
Le responsabilité du précurseur
D’après les chiffres de son programme Ecometrics, il a fait baisser de 4 % ses émissions de gaz à effet de serre en 2024 (soit une réduction de 392 842 tonnes de CO2 en un an). De plus, 80 % de l’énergie utilisée dans les usines du groupe provient de sources renouvelables, dont 62 % de la géothermie. Le groupe s’est également engagé à devenir une entreprise régénérative et carbone négative d’ici 2040. Aujourd’hui, Interface a recours à 52 % de matériaux recyclés ou biosourcés. « Sur toutes nos gammes de produits – dalles de moquette, vinyles LVT et sols en caoutchouc –, nous baissons notre empreinte carbone », détaille Jay Lanier.
Deux ans avant son décès, Ray Anderson s’était exprimé à la TED (Technology, Entertainment and Design) pour repréciser sa vision du métier d’entrepreneur. L’auteur de nombreux ouvrages à destination de ses pairs s’était fait le chantre d’un capitalisme vert l’ayant conduit à être consulté par les puissants de ce monde, dont l’ancien président des Etats-Unis, Bill Clinton. « Le premier candidat à une présidentielle américaine à avoir fait de l’écologie son cheval de bataille est Al Gore pour le scrutin de 2000, bien après que mon grand-père ait ouvert la voie », conclut Jay Lanier sous l’œil de ce dernier, immortalisé dans le grand bureau du siège parisien d’Interface par un buste en marbre. « Il a été et restera à jamais un précurseur en la matière. »