Votre rapport sur l’emploi des seniors appelle à une révolution culturelle : qu’entendez-vous par-là ?
Les politiques publiques menées au cours des années 70 concernant les seniors - mise en place des pré-retraites, mécanismes de prise en charge en cas de chômage…- ont contribué à façonner une vision générale de ces salariés. Avec une idée de fond : un senior qui s’en va, c’est une place offerte pour un jeune. Or, l’on s’est aperçu que cela ne marche pas ainsi ! A défaut, des effets positifs plus marqués se seraient fait sentir sur l’emploi des jeunes. En réalité, on n’embauche pas un junior pour la même raison que l’on conserve un senior dans l’entreprise.
Quelle est la particularité du BTP concernant le rôle des seniors ?
Dans la construction, nous aimons nos seniors : ils représentent une denrée rare, aussi nous efforçons-nous de les garder ! Dans notre secteur en effet, l’expérience est déterminante. Contrairement à l’industrie, nous ne sommes pas soumis à des process qui impliquent une répétition : chaque projet est différent. Même s’il ne s’agit pas de tout réinventer à chaque fois, c’est donc l’expérience acquise qui permet, sinon de reproduire, du moins d’adapter les connaissances et le savoir-faire à de nouveaux projets et de nouvelles techniques.
L’accès à la maîtrise de chantier relève par exemple d’un grand nombre d’années d’expérience et de formation. Nous avons ainsi choisi de substituer, dans notre rapport, le terme « salarié expérimenté » au mot « senior ». Mais le secteur du BTP, qui compte davantage d’emplois concernés par la pénibilité, doit travailler plus que les autres.
Quelles pistes ébauchez-vous sur le registre de la prévention ?
Dans les métiers difficiles, le sujet doit être traité dès le début de carrière. Nous devons permettre à nos collaborateurs, par le biais de la R&D, de bien vieillir au travail, et ainsi leur éviter l’usure. Chez Bouygues Construction par exemple, nous proposons du matériel electro-portatif afin de réduire l’exposition au port de charges lourdes, l’un des principaux critères de pénibilité sur les chantiers.
Nous devons poursuivre les efforts déployés pour permettre aux collaborateurs de travailler dans de meilleures conditions, et plus longtemps. Dans les grandes structures par exemple, le passage des fonctions de compagnons à celles de la maîtrise de chantier permet déjà d’alléger les tâches du collaborateur. Dans les pays nordiques, lorsqu’on embauche un compagnon âgé de 20 ans, on imagine déjà qu’à 40 ans, il exercera un autre métier : il s’agit donc de permettre aux collaborateurs d’acquérir des compétences durant leur carrière pour être en mesure de changer de profession.
Comment aménager les fins de carrière ?
Il s’agit, comme le préconise le rapport à travers différentes mesures, de faciliter, dans les organisations, des transitions douces vers la retraite. Et notamment de pouvoir envisager sans tabou -certains salariés craignent par exemple de solliciter un temps partiel auprès de leur employeur- la mise en place d’aménagements du temps de travail. Des solutions de cet ordre nécessitent d’être encadrées, avec en outre l’association des partenaires sociaux dans les entreprises.
Chez Bouygues Construction, nous allons par exemple signer un accord d’entreprise afin de mettre en œuvre des temps partiels choisis, pour les seniors, mais aussi pour les collaborateurs ayant des enfants en bas âge. De quoi leur permettre de régler des problèmes liés à la garde d’enfant, tout en rendant l’entreprise attractive.
Ainsi, une transformation culturelle s’impose sur l’emploi des seniors, mais pas seulement. Nous devons changer notre cadre rigide de référence sur le travail : le « présentiel », le temps plein… Car le travail est devenu multiforme, avec notamment le développement du télétravail, le cumul emploi-retraite… Le BTP doit, lui aussi, basculer dans cette révolution. Avec un enjeu économique de taille, dans un contexte de pénurie de compétences, pour rester performants et compétitifs.
En somme, l’idée directrice du rapport est qu’il n’existe pas une seule solution miracle, mais, donc, différentes pistes aussi bien sur le registre de la prévention, de l’agilité dans les entreprises que d’un changement de mentalités au sein de la population.