Responsabilité des constructeurs : faut-il refondre le régime des éléments d’équipement ?

Ces dernières années, les éléments d’équipement des bâtiments se sont multipliés, avec notamment l’essor des nouvelles technologies. Ce qui fait surgir de nombreuses interrogations en matière de responsabilité des constructeurs, auxquelles Cyrille Charbonneau et Marianne Faure-Abbad ont tenté de répondre lors d’une conférence « L’équipement dans tous ses états ».

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Elément d'équipement
« Le législateur a instauré une garantie spécifique aux éléments d’équipement [d’une durée biennale, NDLR], car la pérennité de l’équipement est plus courte que celle d’un ouvrage », énonce Cyrille Charbonneau, avocat associé au sein du cabinet Aedes Juris et professeur à l’ICH Paris.

« Le législateur a instauré une garantie spécifique aux éléments d’équipement [d’une durée biennale, NDLR], car la pérennité de l’équipement est plus courte que celle d’un ouvrage », énonce Cyrille Charbonneau, avocat associé au sein du cabinet Aedes Juris et professeur à l’ICH Paris, en guise d’introduction de son intervention lors du colloque organisé, jeudi 20 janvier, en présentiel – à l’université de droit de Poitiers - et en distanciel.

Article 1792-2 du Code civil

« La présomption de responsabilité [décennale] s'étend également aux dommages qui affectent la solidité des éléments d'équipement d'un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert.

Un élément d'équipement est considéré comme formant indissociablement corps avec l'un des ouvrages de viabilité, de fondation, d'ossature, de clos ou de couvert lorsque sa dépose, son démontage ou son remplacement ne peut s'effectuer sans détérioration ou enlèvement de matière de cet ouvrage. »

Article 1792-3

« Les autres éléments d'équipement de l'ouvrage font l'objet d'une garantie de bon fonctionnement d'une durée minimale de deux ans à compter de sa réception. »

La notion d’ « ouvrage » prime

La jurisprudence est venue préciser la notion d’élément d’équipement, comme le rappelle l’orateur. Avant 2000, la Cour de cassation retenait plutôt une qualification unitaire des éléments d’équipement ; puis, entre 2000 et 2013, sa position varie suivant les cas. En septembre 2013, après avoir écarté la garantie décennale, elle vient exclure la garantie biennale pour un carrelage dissociable au motif qu’il ne s’agit pas d’un élément destiné à fonctionner (Cass. 3e civ., 11 septembre 2013, n° 12-19483. Bull.) Le 13 février de la même année, elle avait considéré que le dallage collé ne constitue pas un élément d’équipement dissociable soumis à la garantie de bon fonctionnement et ne relevait ainsi que de la responsabilité contractuelle de droit commun (Cass. 3e civ, 13 février 2013, n°12-12016, Bull).

Désormais, la qualification de l’élément dépend de la qualification générale. « Si le tout forme un ouvrage, alors chaque composant peut engager la responsabilité décennale du constructeur. Et, même si le désordre affecte un élément d’équipement, dès que cela porte atteinte à l’intégralité de l’ouvrage, la garantie décennale s’applique à condition que l’élément soit réalisé dans le cadre d’un ouvrage immobilier», indique Cyrille Charbonneau.

Plus récemment, la Haute juridiction, dans une décision relative à l’installation d’une pompe à chaleur sur existant, a considéré que « tout élément d’équipement dissociable ou non posé dans un ouvrage neuf ou existant peut relever de la garantie décennale » à condition de rendre l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination(Cass. 3e civ, 15 juin 2017, n° 16-19640). Selon le praticien, cet arrêt a créé « la notion de « quasi-ouvrage » ».

Dissociable ne rime pas toujours avec équipement !

L’équipement est un élément participant à l’ouvrage et peut rendre applicable la garantie décennale. Mais il peut également ne pas la rendre applicable. En effet, « un élément dissociable n’est pas toujours un équipement », spécifie-t-il.

Dans une décision du 18 février 2016, la Haute juridiction a considéré qu’une toiture végétalisée n’était pas destinée à fonctionner et n’était donc pas un équipement. (Cass., 3e civ., 18 février 2016, n° 15-10750, Bull.) Même solution rendue pour un isolant. (Cass., 3e civ., 13 février 2020, n° 19-10249, Bull.)

Les éléments d’équipement échappent à l’activité professionnelle

L’équipement sert à distinguer plusieurs typologies de régimes juridiques et il existe encore dans la pratique un « article méconnu et peu utilisé », estime Cyrille Charbonneau. C’est l’article 1792-7 du Code civil qui dispose que « ne sont pas considérés comme des éléments d'équipement d'un ouvrage […] les éléments d'équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l'exercice d'une activité professionnelle dans l'ouvrage. ».

La Cour de cassation l’a appliqué dans un arrêt récent relatif à un désordre n’affectant que l’élément de surgélation de l’usine ayant uniquement une vocation professionnelle. Le jeu de la garantie décennale a été exclu (Cass., 3e civ., 17 décembre 2020, n° 19-14374.)

Vers un concept de plus en plus étendu ?

Pendant longtemps, la notion d’équipement ne figurait pas dans le Code de la construction et l’habitation. Désormais, son article L. 111-1 énonce que l’équipement désigne « toute installation, matériel ou dispositif auxiliaire au bâtiment, adapté et nécessaire à son usage normal ». Cette définition s’applique à l’équipement de bâtiment et est circonscrite à la construction et à la rénovation de bâtiment. Grâce à cette définition, « les équipements sont considérés comme des installations ou des dispositifs et non des matériaux », explique Marianne Faure, professeure à l'Université de Poitiers.

Ainsi, « un écran plasma intégré dans les murs d’un ouvrage, peut-il être considéré comme un matériel destiné à l’usage normal d’un bâtiment ? », se questionne la professeure.

Selon Cyrille Charbonneau, « les évolutions liées aux comportements posent la question, car ce que l’on installe dans l’ouvrage est lié à l’utilisation que l’on en fait ».

Dans l’attente d’un léger toilettage de la loi Spinetta

Depuis plusieurs années, de nombreux professionnels du droit sollicitent une réforme de la loi Spinetta. D’après Cyrille Charbonneau, « il faut prévoir un petit toilettage et non une grande réforme car cette loi fonctionne très bien en pratique, offre toutes les garanties attendues et assure une bonne protection aux maîtres d’ouvrage ». En revanche, des évolutions mineures s’avèrent nécessaires - et c’est ce qui était prévu avant l’apparition de la pandémie du Covid-19… Selon lui, « un dialogue très fort doit être instauré entre les praticiens et les institutionnels ».

Quant à Marianne Faure-Abbad, elle ajoute que l’association Henri Capitant - qui œuvre depuis plus de 80 ans à la promotion, la diffusion et la modernisation des droits de tradition civiliste - propose « d’exclure de la responsabilité des constructeurs les éléments d’équipements installés dissociables ».  

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