Dans un arrêt du 6 mars 2025 (n° 23-20.018, publié au Bulletin), la Cour de cassation considère pour la première fois que les conditions d’application de l’article 1792-7 du Code civil – relatif à l’exclusion du champ de la garantie décennale des éléments d’équipement à vocation exclusivement professionnelle – se trouvaient réunies à propos de la réalisation de travaux de rénovation d’une station de lavage de voitures.
Histoire d’une exclusion
Petit retour en arrière… Lors de l’adoption de la loi Spinetta de 1978 relative à la responsabilité et à l’assurance dans le domaine de la construction, il avait été décidé en première lecture, après quelques hésitations, d’introduire les ouvrages industriels dans le champ de l’obligation d’assurance.
Plus d’une dizaine d’années après son adoption, un débat s’était instauré au sein même de la Cour de cassation, entre la première et la troisième chambre civile. Il portait sur le point de savoir s’il convenait ou non, pour les bâtiments industriels ou agricoles, d’établir une distinction selon que les désordres affectaient un élément d’équipement ayant un rôle dans la fonction « bâtimentaire » ou n’ayant finalement d’autre objet que l’exercice d’une activité industrielle, et ce, alors même que rien dans la lettre du texte ne permettait d’opérer cette distinction.
Divergence entre les chambres de la Cour. La première chambre considérait qu’il n’y avait pas lieu de distinguer entre les éléments d’équipement d’un ouvrage, ce qui conduisait à intégrer les éléments de process industriel dans le champ d’application de la garantie décennale, tandis que la troisième chambre estimait au contraire qu’il convenait d’opérer une distinction.
Les enjeux qui s’attachent à ce débat sont considérables, en termes de qualité de garantie mais aussi en matière de souscription.
On rappellera que cette divergence s’inscrivait dans une jurisprudence qui avait conduit à superposer le champ d’application de la responsabilité civile (RC) décennale avec celui de l’assurance construction obligatoire.
La Cour avait en effet entendu si largement la notion de « travaux de bâtiment » posée par la loi comme le critère discriminant pour déterminer le champ d’application de l’obligation d’assurance, que tous les ouvrages sans distinction, y compris de génie civil, se trouvaient éligibles, non seulement à la RC décennale, mais aussi à l’obligation d’assurance. Et ce, alors qu’il était de l’essence même de la loi Spinetta que d’assigner à l’obligation d’assurance un périmètre plus étroit que celui de la responsabilité décennale.
Les enjeux qui s’attachent à ce débat sont évidemment considérables, en termes de qualité de garantie naturellement, mais aussi en matière de souscription. En marchés privés tout au moins, selon que l’élément d’équipement se trouve inclus ou non, le lot concerné par cet équipement intégrera ou non l’assiette de calcul de la prime dommages ouvrage (DO) ou du chiffre d’affaires servant d’assiette au calcul des primes en police RC décennale.
Ordonnance du 8 juin 2005. C’est pourquoi, à partir de 1995, les professionnels et les pouvoirs publics tentèrent de mettre fin à cette divergence entre les deux chambres de la Cour de cassation, mais aussi à certains excès de la jurisprudence. Ces travaux débouchèrent sur l’ordonnance n° 2005-658 du 8 juin 2005, dont l’objet fut de préciser les limites du champ d’application de l’assurance construction obligatoire.
Elle a ainsi posé une limite directe, avec la création de l’article L. 243-1-1 du Code des assurances (C. ass.) introduisant une liste fermée d’ouvrages exclus de l’obligation d’assurance, en remplacement de l’ancien critère de travaux de bâtiment totalement galvaudé par la jurisprudence. L’ordonnance a aussi érigé une limite indirecte – celle qui va nous intéresser ici – en instaurant un article 1792-7 du Code civil (C. civ.) excluant du champ des garanties légales de responsabilité, et donc par ricochet de celui de l’assurance construction obligatoire, certains éléments d’équipement installés dans ces ouvrages : ceux qui ont une vocation exclusivement professionnelle.
Des critères difficiles à réunir
L’article 1792-7 C. civ. énonce : « Ne sont pas considérés comme des éléments d’équipement d’un ouvrage au sens des articles 1792, 1792-2, 1792-3 et 1792-4 les éléments d’équipement, y compris leurs accessoires, dont la fonction exclusive est de permettre l’exercice d’une activité professionnelle dans l’ouvrage. »
Depuis son introduction dans le code cependant, la Cour de cassation saisie d’un pourvoi sur l’application de l’article 1792-7 n’avait jamais jusqu’ici admis que les critères d’application de l’exclusion étaient réunis et ce, pour deux types de raisons.
Pas d’élément… Première raison, l’élément d’équipement qu’on prétendait exclu du champ des garanties légales de responsabilité, et donc par ricochet de l’assurance construction obligatoire, devait être en réalité qualifié d’« ouvrage » et non d’« élément d’équipement », car il n’était pas installé dans un ouvrage neuf en cours d’édification, mais sur ou dans un bâtiment existant, et que ces conditions de pose justifiaient de qualifier celle-ci de « construction d’un ouvrage ».
L’élément d’équipement requalifié d’ouvrage n’était donc pas éligible à l’article 1792-7, c’est ce qui fut décidé dans la totalité des arrêts de la Cour de cassation rendus jusqu’ici (1).
... ou pas de vocation exclusivement professionnelle. Deuxième raison, en présence cette fois d’un véritable élément d’équipement : sa vocation « exclusivement professionnelle » pouvait être discutée.
C’est ainsi que, dans un arrêt du 14 décembre 2022, la Cour de cassation considéra que le réseau de câblage informatique d’un immeuble de bureaux « répond aux besoins de la fonctionnalité numérique de l’ouvrage nécessaire à tout bâtiment abritant une entreprise » et qu’il n’entre donc pas dans la catégorie des éléments d’équipement à vocation exclusivement professionnelle, exclue par l'article 1792-7 (2).
Première mise en œuvre de l’article
Mais aux termes de l’arrêt du 6 mars 2025, de façon inédite, la Cour de cassation considéra que les conditions d’application de l’article 1792-7 C. civ. étaient remplies, à propos de la réalisation d’un ouvrage neuf sur un existant.
Plus précisément, il s’agissait de travaux de rénovation d’une station de lavage de voitures, comprenant le terrassement des aires de lavage et du local technique, la préparation du fond de forme du terrain et des supports de dallage, la pose des réseaux, notamment celui d’eaux usées, ce dernier incluant la fourniture et la pose « d’un séparateur d’hydrocarbures » pour permettre le traitement des eaux usées et boueuses de la station.
Dans l’arrêt du 6 mars 2025, la troisième chambre civile de la Cour casse l’arrêt rendu en appel qui avait considéré, à propos du séparateur d’hydrocarbures équipant nouvellement la station de lavage, que les conditions d’exclusion du champ d’application de la RC décennale prévues par l’article 1792-7 n’étaient pas réunies. La cour d’appel de Rennes avait jugé en effet que, dans la mesure où le vice affectant cet élément d’équipement entraînait des désagréments pour les usagers, en les obligeant à utiliser la station de lavage en présence de refoulements d’eaux non filtrées, et conduisait à la fermeture des pistes concernées, la RC décennale du titulaire du lot était engagée au titre des désordres affectant cet équipement (CA Rennes, 1er juin 2023, RG n° 21/07033).
« Etranger à la fonction construction ». La Cour de cassation a estimé, au contraire, que cet élément d’équipement devait être exclu du champ d’application de la RC décennale et donc de l’assurance construction obligatoire, dans la mesure où sa fonction était le traitement des eaux potentiellement chargées de boues et d’hydrocarbures générées par l’utilisation de la station elle-même. Elle a suivi en cela l’assureur RC décennale, qui considérait dans son pourvoi que ce séparateur d’hydrocarbures était étranger à la fonction construction et que sa présence n’était finalement justifiée que par l’exploitation de la station de lavage.
Une portée incertaine
Cette décision est, certes, le premier arrêt de la Cour de cassation depuis vingt ans à considérer que les circonstances de l’application de l’article 1792-7 C. civ. sont réunies. Qui plus est, il s’agit d’un arrêt de section, publié au Bulletin et qui prononce une cassation. Pour autant, peut-on considérer qu’il a vocation à fixer pour l’avenir la jurisprudence sur l’interprétation de cet article ?
Application elliptique. Il est permis d’en douter dans la mesure où, même s’il est rendu au visa de l’article 1792-7, sa motivation ne comporte pas le chapeau introductif caractéristique d’un arrêt de principe. La cassation est prononcée sur la simple circonstance que « le séparateur d’hydrocarbures constituait un équipement de traitement des eaux potentiellement chargées de boues et d’hydrocarbures générées par l’utilisation de la station de lavage ».
En d’autres termes, le lien est établi entre l’existence de cet élément d’équipement et l’activité professionnelle qui s’y trouve exercée. Pour autant, sans doute en raison des insuffisances dans la rédaction du pourvoi, la Cour de cassation n’avait finalement pas été invitée à se prononcer sur le caractère « exclusif » de cette vocation professionnelle.
Critère de l’exclusivité. Faire de cet arrêt un arrêt de principe reviendrait à neutraliser durablement le terme « exclusif » figurant dans l’article 1792-7. Il serait désormais possible de considérer que, dès lors que l’élément d’équipement a un quelconque rapport avec l’exercice de l’activité professionnelle exercée dans l’ouvrage, sans que ce rapport soit exclusif, il devrait sortir des garanties légales de responsabilité et de l’obligation d’assurance. Chacun conviendra que, dans une usine ou un entrepôt, ce sera le cas de la majorité des éléments d’équipement le composant.
Dans l’esprit des rédacteurs de l’article 1792-7 C. civ., il s’agissait d’écarter les éléments dont la vocation « exclusive » était d’exercer l’activité en elle-même.
On rappellera en effet que Jean-Pierre Karila, l’un des coauteurs du rapport de 1997 qui avait précédé la rédaction de l’article 1792-7, avait écrit à propos du critère d’exclusivité que « c’est le critère finalement discriminant permettant de distinguer parmi l’ensemble des équipements de l’ouvrage, ceux qui ont vocation à être soumis soit à la responsabilité décennale soit à la garantie biennale. Seuls les équipements dont la vocation est exclusivement professionnelle sont exclus » (3).
Il ne s’agissait pas, dans l’esprit des rédacteurs, d’écarter tous les éléments de process, dès lors qu’ils avaient un quelconque rapport avec une activité professionnelle, ce qui est fréquemment le cas dans un ouvrage à caractère industriel ; mais uniquement ceux dont la vocation « exclusive » était non pas de permettre l’exercice d’une activité professionnelle, mais d’exercer l’activité en elle-même. Dans le présent exemple, l’exercice de l’activité professionnelle, c’est le lavage des véhicules. L’équipement en question avait aussi pour vocation de permettre au bâtiment d’accueillir l’exercice de cette activité en facilitant l’évacuation des eaux de lavage. C’est donc pour cette raison que l’impasse que fait l’arrêt sur le terme « exclusivement » semble contestable et dangereuse à terme.
Ainsi, il conviendrait de reprendre la distinction figurant au § 64 du Rapport sur le champ d’application de l’assurance construction obligatoire (4), qui tient lieu de recueil des travaux préparatoires à la rédaction de l’article 1792-7 C. civ., entre :
– les éléments d’équipement destinés à accueillir l’activité professionnelle en question et par conséquent à permettre à l’ouvrage de satisfaire à sa destination, laquelle selon les conventions des parties peut parfaitement avoir un caractère industriel, qui ne seront pas exclus ;
– et les éléments d’équipement destinés à l’exercice même de l’activité professionnelle, qui seront exclus.
(1) Cass. 3e civ., 19 janvier 2017, n° 15-25.283, Bull. ; Cass. 3e civ., 21 septembre 2022, n° 21-20.433, Bull. ; Cass. 3e civ., 8 juin 2023, n° 21-25.960.
(2) Cass. 3e civ., 14 décembre 2022, n° 21-19.377 ; Pascal Dessuet, « Le réseau de câblage informatique d’un immeuble est éligible aux garanties légales de responsabilité », RGDA janvier février 2023, p. 39.
(3) « Responsabilité assurance construction : la réforme du 8 juin 2005 », dans « Le Moniteur » du 16 septembre 2005, p. 6.
(4) Rapport de Jean-Pierre Karila, Hugues Périnet-Marquet et Corinne Saint-Halary-Houin sur le champ d’application de
l’assurance construction obligatoire, La Documentation française, 1997, RDI 1998, p. 1 et chron. Gilbert Leguay, RDI 1998, p. 112.