Réinsertion des détenus : les travaux publics créent leur école de la seconde chance

Le syndicat Les Canalisateurs et l’administration pénitentiaire ont construit un parcours de formation et de recrutement à destination de détenus en fin de peine en région Centre-Val de Loire. Focus sur une initiative qui a vocation à s'étendre au territoire national.

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Les participants au projet ont suivi une formation métier de 220 heures sur la construction de réseaux de canalisations pour l’eau et l’assainissement.

Une dizaine de détenus en fin de peine ont intégré, début avril, un poste de canalisateur au sein d’entreprises (1) situées en région Centre-Val de Loire.

Il s’agit de la dernière étape d’un parcours innovant conçu par le syndicat Les Canalisateurs et l’administration pénitentiaire, avec le soutien financier de la région. Son enjeu est double : favoriser l’insertion professionnelle des personnes préparant leur sortie de prison, tout en répondant au défi de la pénurie de main d’œuvre dans le secteur.

Remettre le pied à l’étrier à des détenus en fin de peine

Les besoins des travaux publics pour faire face aux départs et accompagner les évolutions de l’emploi se chiffrent à 1 100 postes de canalisateurs chaque année à un horizon de cinq ans. En outre, 87% des entreprises du secteur Canalisations-Assainissement annoncent avoir l’intention d’embaucher dans les trois prochaines années

« L’objectif du parcours de formation, élaboré pour le syndicat des Canalisateurs, est d’offrir des perspectives à des personnes détenues sans attendre leur sortie, afin de faire de leur peine un temps utile plutôt que de les laisser en proie à l’oisiveté. Grâce à un aménagement de peine au quartier de semi-liberté de la maison d’arrêt de Tours, les détenus peuvent alterner des périodes en centre de formation avec des périodes en entreprise le jour et rentrer en établissement pénitentiaire le soir », explique Emilie Bellanger, responsable Relations entreprises à la direction interrégionale des services pénitentiaires de Dijon (Centre-Val de Loire et Bourgogne Franche-Comté).

Job dating à la maison d’arrêt

Et d’ajouter : « certaines personnes incarcérées n’ont jamais travaillé ». D’où la nécessité d’un accompagnement renforcé pour rechercher un emploi et se remettre le pied à l’étrier pour la suite de leur parcours ».

Dans un premier temps, les employeurs se sont rendus à la maison d’arrêt de Tours (Indre-et-Loire) pour sélectionner des candidats dans le cadre de job dating. Une formation initiale de 35 heures sur les savoirs de base et la sécurité a ensuite été délivrée à destination des personnes identifiées, suivie de deux stages de deux semaines chacun en entreprise.

Après avoir obtenu un aménagement de peine sur la base d’une promesse d’embauche, les intéressés ont suivi une formation métier de 220 heures sur la construction de réseaux de canalisations pour l’eau et l’assainissement, dispensée par le BTP CFA Centre-Val de Loire.

Des formations dans et hors les murs de la prison

« Dans le cadre de ce parcours au format innovant, une partie des formations, notamment pour les sessions théoriques, s’est déroulée en milieu fermé,  et le reste à l’extérieur », décrit Corentin Kikelj, directeur général de l’entreprise Jérôme TP et administrateur au sein de la commission RH des canalisateurs. A l’issue de la formation métier, les participants au programme ont donc rejoint en CDI l’entreprise dans laquelle ils ont effectué leur stage.

« Nous avons aussi innové dans le cadre de ce parcours, en intégrant en cours de route quatre personnes suivies par la justice en milieu ouvert, qui font par exemple l’objet de mesures de suivi judiciaire hors incarcération, ou qui ont été condamnées à exercer des travaux d’intérêt général », complète Corentin Kikelj. Fort du succès de la démarche, le dirigeant de Jérôme BTP projette de la dupliquer dans d’autres régions ces deux prochaines années concernant le métier de canalisateur « et même, demain, de l’élargir à d’autres professions des TP ».

Combattre les a priori

La perspective d’accueillir des personnes sous main de justice est parfois susceptible de générer des a priori chez les employeurs et notamment des craintes en matière de sécurité. « Un véritable sujet qui peut représenter un frein à la démarche », reconnaît Emilie Bellanger, qui précise que le savoir-être et la capacité de travailler à l’extérieur des personnes détenues participant au projet a été évaluée lors d’une commission pluridisciplinaire unique composée de professionnels de l’administration pénitentiaire, direction, service pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP), unité sanitaire ou encore de psychologues.

« Les entreprises partenaires du projet, déjà sensibilisées sur le sujet, ont été invitées à visiter la maison d’arrêt, le quartier de semi-liberté et le SPIP », ajoute Emilie Bellanger, pour qui « rien n’est  pire que la méconnaissance. S’il est compliqué d’accueillir de grands groupes avec tous les collaborateurs d’une entreprise au complet, nous pouvons proposer des interventions sur site pour parler sans tabous des thèmes liés à l’incarcération, comme nous le faisons déjà dans le cadre d’autres partenariats ».

« Tout employeur est susceptible d’accueillir un ancien détenu à son insu », fait quant à lui remarquer Corentin Kikelj. « Mieux vaut ainsi embaucher en connaissance de cause un détenu qui a purgé sa peine, dans le cadre sécurisé et avec le suivi de l’administration pénitentiaire qu’offre ce parcours. »

(1)Jérôme BTP, Humbert, Sade, Sogea, Vernat TP, DEHE et EHTP.

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