Cette décision est-elle le reflet d’une tendance plus générale des collectivités à refuser de délivrer des permis de construire ?
Depuis les élections municipales de juin 2020, on observe effectivement sur le plan national, une volonté de certains élus de s’opposer de manière quasi systématique à l’implantation de bâtiments collectifs en milieu urbain. Les pouvoirs publics ont pris conscience de la multiplication de ces contentieux, qui doivent pouvoir bénéficier du même régime que celui qui a été accordé aux recours contre les autorisations positives.
Rappelons que le rapport Rebsamen a proposé d’améliorer le traitement des recours contre les refus d’autorisations de construire. Le décret du 24 juin 2022 modifiant le Code de justice administrative et le Code de l’urbanisme répond en partie à cette demande et va sensiblement améliorer la situation des promoteurs immobiliers puisqu’il étend aux décisions de refus, le régime de suppression du double degré de juridiction et le régime particulier de jugement dans le délai de 10 mois. Aujourd’hui, les juridictions statuent sur les refus en un an et demi, deux ans.
Pourquoi y’a-t-il autant de refus de la part des élus ?
Certains maires ont été élus en 2020 sur la base d’une profession de foi dans laquelle ils ont indiqué clairement « si je suis élu demain, il n’y aura plus de projet de construction d’immeubles collectifs sur mon territoire ». C’est ce que les promoteurs appellent les maires « anti bâtisseurs ». Certains édiles, quelle que soit la qualité de l’opération, sont complètement hostiles à la délivrance de permis de construire sur des terrains en milieu urbain hors friches. Si des friches existent, il faut d’abord bâtir dessus. Ce n’est qu’en cas d’impossibilité d’urbanisation sur ces fonciers, qu’éventuellement le permis sera accordé.
Cela va plutôt dans le sens des mesures de lutte contre l’artificialisation…
Oui, mais là où le bât blesse, c’est lorsque les règlements de PLU autorisent à ériger des bâtiments en R+5, + 6. Et que l’administration s’y oppose quand même en demandant au porteur de projet de ne faire que du R+3 ou R+4.
Peut-on parler de refus abusifs ?
Absolument. Dans l’affaire jugée le 30 juin 2022, le tribunal administratif de Strasbourg a mis en exergue ce type de refus abusifs. En l’espèce, la Ville de Strasbourg ne voulait clairement pas de l’opération – en l’espèce, une construction d’un immeuble collectif de six logements dans un quartier particulièrement dense de la ville – et a invoqué des motifs complètement fallacieux (dont l’incompatibilité avec une OAP [orientation d'aménagement et de programmation, NDLR] relative à la trame verte et bleue) que le juge a censurés. En Alsace, on assiste à un véritable marchandage de la part de certaines communes : les élus n’hésitent pas à imposer aux promoteurs de réduire de moitié l’importance de leur opération faute de quoi, le permis est refusé.
Quel est le pouvoir des juges lorsque le refus est illégal ?
Depuis un avis récent du 25 mai 2018, le Conseil d’Etat a consacré la solution selon laquelle lorsque le juge constate que le refus est entaché d’une illégalité et que l’autorité administrative n’invoque pas en cours d’instance d’autres motifs que ceux qui ont initialement fondé sa décision de refus, il peut enjoindre à l’administration de délivrer le permis. Cette position est appliquée de manière systématique par les juridictions dès lors que le requérant le demande. Dans une autre affaire récente, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a même ordonné à la commune de délivrer un permis de construire provisoire dans l’attente du jugement au fond (TA Strasbourg, 24 juin 2022, n° 2203689).