« Pas un grand pas pour l’humanité, mais tout de même un petit pas pour la prévention», juge Michel Ledoux, avocat au cabinet Ledoux et associés, au sujet de la proposition de loi sur la santé au travail, votée le 6 juillet par le Sénat.
Pour mémoire, le texte, adopté par l’Assemblée nationale en février dernier, met en musique l'Accord national interprofessionnel (ANI) du 9 décembre 2020 sur le sujet.
L’impulsion venait à l’origine du rapport dit « Lecocq » sur la santé au travail. « Un document qui préconisait un big bang pour le système de prévention », évoque maître Ledoux. Et à cet effet, notamment, la création d’une structure nationale unique qui aurait absorbé divers organismes tels que l’OPPBTP et les Carsat.
« Cette fusion a été abandonnée par les partenaires sociaux qui ont relevé, non sans pertinence, que les démarches en santé et sécurité initiées par les branches professionnelles sont précisément les plus efficientes, souligne Michel Ledoux. Les actions de l’OPPBTP, comme celles de la mutualité sociale agricole (MSA), en offrent une illustration implacable. »
Archiver toutes les versions du document unique
Si la proposition de loi n’est donc, aux yeux de l’avocat, « pas révolutionnaire », elle a le mérite à ses yeux de mettre l’accent sur la prévention primaire, qui consiste à traiter le risque à la source. « La principale avancée concerne le document unique d'évaluation des risques professionnels, dont l’importance se voit considérablement renforcée. »
Alors que celui-ci pouvait auparavant être effacé d’une année sur l’autre à l’occasion de sa mise à jour, l’employeur devra en conserver les versions antérieures, « et ainsi désormais archiver ses différentes versions pendant au moins 40 ans ».
L’enjeu est de taille, car cette mesure devrait permettre d’assurer la traçabilité des expositions des salariés, en particulier aux produits toxiques et nocifs. «De manière générale, les maladies professionnelles sont sous-déclarées et sous-reconnues, car certaines ne sont pas identifiées comme telles, éclaire Michel Ledoux. Aussi la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP) verse-t-elle chaque année plusieurs dizaines de millions d’euros au régime général à titre de compensation. »
Et d’ajouter : « à cet égard, le BTP représente le secteur qui a le plus progressé ces 30 dernières années s’agissant des AT, mais il reste du chemin à parcourir concernant les MP ».
Le médecin du travail devra par ailleurs participer activement à l’élaboration du DU et du plan d’actions de prévention. « Si sa rédaction reste de la seule responsabilité de l’employeur, le comité social et économique (CSE) devra aussi être consulté dans ce cadre », ajoute le professionnel du droit.
Un passeport prévention pour les salariés
Autre domaine concerné par la réforme : la formation. Le texte crée tout d’abord un passeport listant toutes les sessions sur la sécurité et la prévention des risques suivies par le salarié pendant sa carrière, ainsi que les attestations, certificats et diplômes décrochés dans ce cadre. « Un dispositif qui permettra notamment d’éviter des doublons», précise maître Ledoux.
Consulté par ses rédacteurs à l’occasion de l’élaboration de la proposition de loi, l’avocat, désireux « d’aller plus loin dans le domaine de la formation», avait plaidé pour l’instauration, dans les écoles d’ingénieurs et de commerce ou encore au sein des universités, d’un examen sanctionnant la maîtrise des principales règles de prévention, et obligatoire pour l’obtention du diplôme concerné.
« Le législateur ne nous a pas suivis, et nous le regrettons : il apparaît aujourd’hui inouï, alors que par ailleurs le conducteur d’un véhicule doit détenir un permis, que n’importe quel amateur en santé et sécurité au travail puisse diriger établissement de 2 000 personnes ! ».
Par ailleurs, la durée minimale de la formation en prévention suivie par les représentants du personnel passera de trois à cinq jours.
Prévenir la désinsertion professionnelle
Le texte prévoit aussi que le dossier médical en santé au travail suivra le salarié en cas de changement d’emploi, sauf en cas de désaccord de sa part.
« Pour protéger les personnes vulnérables et prévenir la désinsertion professionnelle, une cellule pluridisciplinaire sera créée au sein de chaque service de prévention et de santé au travail, reprend Michel Ledoux. L’idée : servir d’intermédiaire pour favoriser un dialogue entre entreprise et salarié, permettre l’organisation de visites de reprise et de pré reprise, mais aussi proposer des aménagements du poste ou du temps de travail afin de permettre à l’intéressé de rester dans son emploi. »
D’autre part, une visite de pré reprise permettra, en présence d’un arrêt de travail de longue durée, de préparer les conditions du retour du salarié. Y seront associés, outre le travailleur et l’employeur, le service de prévention et de santé au travail et le médecin conseil.
Le texte vise enfin une amélioration du suivi des travailleurs intérimaires ou d’entreprises sous-traitantes, qui pourront être reçus par le service de prévention et de santé au travail de l’entreprise utilisatrice ou donneuse d’ordre. « Car ce dernier connaît mieux les risques professionnels auxquels est exposé le salarié concerné que l’entreprise de travail temporaire, explique maître Ledoux, qui note, «un suivi insuffisant à ce jour des intérimaires, pourtant davantage touchés par les AT. »