Décryptage

Recul du trait de côte : une déferlante d'outils pour vivre avec la montée des eaux

Urbanisme - Grâce à un cadre juridique précisé, les territoires vont pouvoir tenter de relocaliser l'habitat.

 

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La loi Climat et résilience () a instauré un nouveau cadre juridique visant notamment à adapter la politique d'aménagement des collectivités territoriales au recul du trait de côte. Afin de le rendre effectif, des mesures complémentaires ont été adoptées par l' relative à l'aménagement durable des territoires littoraux exposés au recul du trait de côte.

Des outils de maîtrise foncière adaptés

Un nouveau droit de préemption spécifique à l'adaptation des territoires à ce phénomène a ainsi été créé par la loi ().

Méthodologie d'évaluation. Toutefois, il manquait, pour l'exercice de ce droit, la définition d'une méthodologie d'évaluation des biens, fondamentale pour une plus grande transparence de l'action publique, une meilleure maîtrise de la dépense publique et surtout une égalité de traitement. L'ordonnance définit cette méthode d'évaluation et précise que la valeur du bien est déterminée en fonction du prix du marché immobilier local sur des biens similaires situés dans la zone exposée au recul du trait de côte à l'horizon de trente ans (zone 0-30). Il s'agit de la principale méthode retenue par les services des domaines et le juge de l'expropriation.

Ainsi, le prix du bien exposé est défini « en priorité par référence à des mutations et accords amiables portant sur des biens de même qualification et avec un niveau d'exposition similaire situés dans cette même zone ». A défaut de disposer de références suffisantes, la valeur doit être déterminée par « référence à des mutations et accords amiables portant sur des biens de même qualification situés hors de la zone exposée au recul du trait de côte dans laquelle il se situe » avec une décote proportionnelle à la durée de vie restant à courir avant la disparition du bien.

La prise en compte de l'exposition du bien au recul du trait de côte, par comparaison avec un bien soumis à un niveau d'exposition similaire ou par l'application d'une décote, marque et réaffirme l'exclusion de ce risque de la catégorie des risques naturels majeurs, au sens du Code de l'environnement. Rappelons en effet qu'il n'est pas tenu compte de l'existence du risque pour l'évaluation en matière d'expropriation pour risque naturel. Cette méthode d'évaluation s'appliquera dans le cadre de la procédure du nouveau droit de préemption et dans le cadre de la détermination des indemnités en matière d'expropriation.

Enfin, il convient de relever que l'ordonnance est totalement muette sur la prise en compte de « l'état des ouvrages de protection et les stratégies locales de gestion intégrée du trait de côte » dans l'évaluation alors même qu'il s'agit d'éléments déterminants qui influent notamment sur l'exposition au risque. Ce silence est d'autant plus regrettable qu'il était précisément inscrit à l'article 248 de la loi Climat et résilience que le gouvernement se prononcerait sur ce point.

Le bail réel, un outil d'équilibre économique

Les outils contractuels existants ne sont ni suffisants, ni transposables au regard de la spécificité des problématiques des biens exposés au recul du trait de côte. Aussi, l'ordonnance a créé un « bail réel d'adaptation à l'érosion côtière », destiné à gérer les biens qui sont amenés à disparaître, à favoriser les relocalisations progressives et à générer des revenus pour instaurer un modèle économique viable.

Financement de la renaturation. Concrètement, l'Etat, une commune ou un groupement de communes, un établissement public y ayant vocation ou le concessionnaire d'une opération d'aménagement consent à un preneur, pour une durée comprise entre douze et quatre-vingt-dix-neuf ans, des droits réels immobiliers en vue d'occuper lui-même ou de louer, exploiter, réaliser des installations, des constructions ou des aménagements, dans les zones exposées au recul du trait de côte ().

A l'instar des autres baux réels de longue durée existants, le bail réel d'adaptation à l'érosion côtière sera cessible.

Le preneur devra s'acquitter d'un prix à la signature du contrat et, si cela est demandé, du paiement d'une redevance pendant la durée du bail. Dans l'esprit du dispositif, ces sommes visent principalement à assurer le financement à terme de l'opération de renaturation du bien concerné.

Cession et résiliation. A l'instar des autres baux réels de longue durée existants, ce bail sera cessible. Cependant, pour assurer la réalisation de l'objectif d'aménagement durable de ces territoires face au recul du trait de côte, et considérant les conditions d'acquisition et de mise à disposition des biens concernés, il est prévu un encadrement des prix de cession.

Par ailleurs, un mécanisme de résiliation anticipée est prévu et pourra être déclenché par l'autorité publique compétente lorsque l'état du recul du trait de côte sera tel que la sécurité des personnes ne pourra plus être assurée.

Les biens immobiliers mis à bail pourront être de toute nature : terrains bâtis ou non, logements, locaux à usage professionnel ou commercial, terrains de camping, parcs de loisirs… Néanmoins, les clauses du contrat seront adaptées à la localisation des biens immobiliers, leur destination, les usages et le niveau d'exposition au recul du trait de côte.

L'articulation entre ce nouveau régime et les obligations de renaturation, comprenant la démolition et la remise en état, a également été précisée. Ainsi, les coûts de la démolition et de la dépollution pèseront sur le bailleur (). En pratique, il s'agira, le plus souvent, de la collectivité territoriale.

Dérogations à la loi Littoral

Par ailleurs, l'ordonnance permet aux communes exposées au recul du trait de côte de déroger à certaines dispositions de la loi Littoral, notamment à l'obligation de construire en continuité de l'urbanisation existante ().

Tout d'abord, ces dérogations ne peuvent être utilisées que dans le cadre d'un contrat de projet partenarial d'aménagement (PPA) et sont uniquement mobilisables lorsque les constructions, ouvrages ou installations menacés par l'évolution du trait de côte ne peuvent pas être relocalisés au sein ou en continuité de l'urbanisation existante.

Accord du préfet. Les secteurs à l'intérieur desquels une dérogation pourra être octroyée sont délimités par délibération du conseil municipal ou de l'organe délibérant de l'EPCI concerné. L'accord du préfet et l'avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites sont requis. Enfin, il est expressément prévu que les dérogations ne pourront être accordées en cas d'atteinte excessive à l'environnement ou aux paysages.

Ces nouvelles dispositions sont bienvenues pour assurer l'effectivité des nouveaux outils de gestion du recul du trait de côte qui avaient été amorcés par la loi Climat et résilience. Néanmoins, le transfert de charges et de responsabilité de l'Etat vers les communes ainsi créé reste un sujet sensible qui a été (trop) rapidement analysé, comme l'a déploré le Conseil national d'évaluation des normes dans son avis du 25 mars 2022.

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