« Nous avons repris une vieille forme, et nous l'avons réinterprétée en l'allégeant », explique l'architecte Jean-Pierre Duval. Les bow-strings que la SNCF a choisis pour quatre grands ouvrages d'art du TGV Méditerranée conquièrent aujourd'hui les paysages du Vaucluse. Objectif : franchir de grandes portées en sachant qu'un train lancé à 300 km/h pourrait éventuellement être amené à freiner brusquement sur le pont. « La solution en arc est sortie immédiatement des calculs, rappelle Jean-Pierre Duval. A partir de là, le choix de l'acier était naturel. L'avantage est ensuite de pouvoir disposer d'une liberté importante pour les formes définitives. »
Le plus grand et sans conteste le plus spectaculaire est le double bow-string de La Garde-Adhémar, anciennement baptisé viaduc de Donzère. Dessiné par l'architecte Marc Mimram, cet ouvrage franchit en biais le canal de Donzère. Posé sur trois piles métalliques remplies de béton, le tablier utilise des appuis provisoires en phase de chantier. Son soudage achevé, des tours de montage sont installées dessus, afin d'assembler les quatre arcs courants (deux de chaque côté). Les deux grands arcs parallèles, qui relient l'ensemble des quatre petits arcs, sont soudés au moyen de nouvelles tours, retirées après l'installation des suspentes. Le viaduc est alors dévériné sur les appuis.
« Tous les arcs du pont de La Garde-Adhémar présentent une section creuse trapézoïdale, qui nécessite plus de cent passes de soudure pour les tôles les plus épaisses (13 cm) », précise Martial Dombrat, chef de district de la SNCF. Les pieds des petits arcs sont encastrés au milieu du pont, tandis que les pieds extérieurs constituent des appuis mobiles. Mais l'un des points les plus difficiles de l'assemblage concerne les suspentes : elles sont rayonnantes, c'est-à-dire qu'elles ne s'inscrivent pas dans un plan vertical. « Lors du dévérinage du pont en phase finale, nous mesurons les efforts dans chacune d'elles, car les effets de dilatation peuvent modifier de plusieurs centimètres les dimensions des éléments du pont. » En pied, chaque suspente est interrompue par un dispositif souple, qui se compose d'une plaque métallique qui lui est perpendiculaire, et dont l'épaisseur varie de 1 à 9 cm. Cette plaque est mise en précontrainte dans le sens de l'axe de la suspente, ce qui permet d'ajuster les efforts (voir photo).
A quelques kilomètres au sud, lorsque le canal rejoint le Rhône, le tracé du TGV traverse deux fois le fleuve, de part et d'autre d'un remblai de 750 m de long. Similaires du point de vue de leur forme, les viaducs de Mondragon et de Mornas ont logiquement été surnommés « les jumeaux ». Montés sur un remblai en rive, ils sont tous les deux poussés sur le Rhône grâce à des barges automotrices. Longs respectivement de 90 m et de 120 m, les bow-strings sont eux aussi biais. « Nous avons dédoublé les arcs, pour donner du dynamisme aux ponts, ce qui les allège », souligne Jean-Pierre Duval.
Les deux ponts dessinent deux gros dos-d'âne particulièrement beaux, étant donné les perspectives offertes par les vides ainsi créés. « Ils sont assemblés par soudage dans l'axe du tracé TGV, indique Laurent Milesi, chef de district à la SNCF. Afin de résister au vent, les arcs sont reliés entre eux par une croix métallique à leur sommet. Les contraintes longitudinales sont, elles, compensées par la présence d'oreilles en acier entre les membrures de chaque arc. » Les tabliers sont constitués de longerons qui reçoivent une dalle en béton armé, et présentent un intrados en forme de ventre de poisson. Les ouvrages pèsent 1 200 t (Mondragon) et 2 400 t (Mornas).
Des embases de piles de 30 m de long
Dernier des quatre bow-strings du TGV : le viaduc d'Avignon Sud, au-dessus de la gare de péage de l'autoroute A7. Cette fois, force est de constater qu'il ne s'agit pas d'une réussite. La gare de péage n'ayant pas été déplacée comme prévu à l'origine, le pont a dû enjamber 190 m en une seule fois. Et à cause de la proximité de l'aérodrome d'Avignon, l'arc a été aplati.
Au final, le bow-string réalise une prouesse technique, puisqu'il forme la plus longue travée de tous les ouvrages du TGV. Mais il est énorme, et s'appuie sur deux piles en béton qui reposent elles-mêmes sur des embases de 25 à 30 m de long. Un tour de force qui impressionne les automobilistes souhaitant pénétrer sur l'A7, mais qui risque de perturber les employés du concessionnaire ASF, lors du passage des trains au-dessus de leurs têtes !
FICHES TECHNIQUES
Viaducs de Mornas et de Mondragon
Architecte : Jean-Pierre Duval, avec le bureau d'études AR&C.
Entreprises : Baudin Châteauneuf, Spie, et Campenon Bernard SGE (Mornas), Richard Ducros et Secométal (Mondragon).
Marché : 352 millions de francs, dont 160 MF pour le métal.
Viaduc de La Garde-Adhémar
Architecte : Marc Mimram.
Entreprises : GFC, DTP, Intrafor, Buyck, avec Eiffel sous-traitant.
Marché : 165 millions de francs, dont 110 MF pour le métal.
Viaduc d'Avignon Sud
Architecte : Jean-Pierre Duval et AR&C.
Entreprises : Demathieu & Bard et Secométal.
Marché : 65 millions de francs.
PHOTOS:
Viaducs de Mornas et de Mondragon, sur une boucle du Rhône.
Pont de La Garde-Adhémar, sur le canal de Donzère.
Viaduc d'Avignon Sud, sur le péage de l'A7.