Jurisprudence

Quand l’impact visuel d’un projet éolien porte atteinte à «la commodité du voisinage»

Le Conseil d’Etat a récemment validé le refus d’un préfet d’autoriser la construction et l’exploitation d’un parc éolien en raison de la saturation visuelle que le projet était susceptible de générer. Une décision qui doit alerter les opérateurs sur le phénomène d’encerclement ressenti dans certaines zones géographiques et qui doit donc les amener à examiner précisément les effets cumulés de leur projet.

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éolien
Le phénomène de saturation visuelle qu'un projet éolien est susceptible de générer, peut être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au titre de l'article L. 511-1 du Code de l'environnement.
Environnement
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2023/03/01N°459716

Les recours contre les projets d’éoliennes terrestres sont légion, on le sait. Les opposants invoquant régulièrement la protection des paysages et la conservation des sites et des monuments – intérêts mentionnés par l’article L. 511-1 du Code de l’environnement – pour faire capoter un projet au titre de l’impact visuel. Ce que l’on sait moins en revanche, c’est si cet impact visuel peut également caractériser un « inconvénient pour la commodité du voisinage », intérêt également protégé par l’article L. 511-1. C’est à cette question qu’a répondu pour la première fois le Conseil d’Etat dans un arrêt du 1er mars 2023.

Effets de saturation et d’encerclement

Dans cette affaire, localisée dans l'Aisne, le préfet avait refusé cinq des six éoliennes d'un projet en raison des effets de saturation et d’encerclement résultant de l’accumulation des machines dans le secteur concerné. Ce refus a été validé par la cour administrative d’appel (CAA) qui a jugé « que le projet présentait des inconvénients excessifs pour la commodité du voisinage auxquels les mesures de réduction envisagées […] ne permettaient pas de remédier ».

Il faut dire que dans les environs, les éoliennes étaient omniprésentes : étaient en effet déjà construits ou autorisés 2 parcs éoliens comportant un total de 18 éoliennes à un kilomètre, 7 parcs éoliens comportant un total de 68 éoliennes à 5 kilomètres et 14 parcs éoliens comportant 126 éoliennes à 10 kilomètres.

Cadre de vie dégradé

Saisi en cassation par la société pétitionnaire, le Conseil d’Etat a rappelé qu’une autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures que spécifie l'arrêté préfectoral permettent de prévenir les dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés notamment à l'article L. 511-1 du Code de l'environnement. Et a confirmé l’arrêt de la CAA en jugeant que « l'impact visuel d'un projet, en particulier le phénomène de saturation visuelle qu'il est susceptible de générer, [peut] être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage ».

L’article L. 515-44 du Code de l’environnement relatif aux éoliennes a été modifié par la loi EnR (art. 2). Dorénavant, l’autorisation environnementale doit tenir compte entre autres « du nombre d'installations terrestres de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent déjà existantes dans le territoire concerné, afin de prévenir les effets de saturation visuelle en vue de protéger les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. »

Pour le rapporteur public, Nicolas Agnoux, l’impact, ici, ne se réduit pas « à un vague désagrément visuel mais est susceptible de dégrader le cadre de vie au point de porter atteinte à la commodité du voisinage ».

Effets cumulés

Et pour « apprécier si, et dans quelle mesure, le cumul d’éoliennes est de nature à caractériser des inconvénients pour la commodité du voisinage, c’est à une analyse au cas par cas qu’il appartient à l’administration de se livrer, sous le contrôle du juge de plein contentieux et sur la base des éléments figurant dans l’étude d’impact à qui il revient d’évaluer […] le cumul des incidences du projet avec d'autres projets existants ou approuvés ».

En pratique, cet examen s’appuie sur les indicateurs des services de l’Etat (les Dreal) en vue d'objectiver les effets de saturation (indice d’occupation de l’horizon et espace de respiration, tous deux associés à des seuils d’alerte indicatifs).

Perte de lisibilité et occupation continue de l’horizon

En l’espèce, au vu de l’étude d’impact, « les éoliennes du projet se détachaient des nombreux parcs éoliens déjà présents dans son périmètre immédiat ou plus éloigné, entraînant une perte de lisibilité du paysage et une occupation continue de l'horizon ».

La CAA avait relevé que le projet augmentait considérablement les angles d'occupation de l'horizon et réduisait de manière importante l'angle de respiration sur les communes concernées. Et, s’appuyant également sur la topographie des lieux, elle avait estimé que « ni le relief, ni la végétation ne pourraient masquer les éoliennes prévues par le projet ».

Juste répartition sur le territoire

Nicolas Agnoux met toutefois en garde : malgré la « crispation croissante » autour des éoliennes, ce critère tiré des inconvénients pour la commodité du voisinage « ne saurait être valablement invoqué pour critiquer la simple vue d’une ou plusieurs éoliennes depuis des habitations ». Il ne s’agit pas non plus de « consacrer in abstracto un seuil de densité maximal […] difficilement compatible avec l’objectif d’accroître le potentiel éolien en évitant le mitage des territoires ».

Mais la caractérisation des effets de saturation relève avant tout, pour le rapporteur public, « d’un débat, de nature politique, sur le degré d’acceptabilité sociale et la juste répartition des installations de production d’énergies renouvelables sur le territoire ». Un débat auquel la loi EnR du 10 mars 2023 est censée apporter des réponses, notamment en associant davantage les élus locaux à la planification des futures implantations.

CE, 1er mars 2023, n° 459716, mentionné aux tables du recueil Lebon

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